Avez-vous passé les six derniers mois sous un rocher ? Alors vous avez raté la myriade d’articles annonçant le dixième anniversaire de la commercialisation de l’iPhone. Vous n’avez pas loupé grand-chose : on raconte les mêmes histoires en boucle, on publie de mauvais bouquins, on fait se retourner les morts dans leur tombe. À force de niaise nostalgie, on en oublierait presque de mesurer le chemin parcouru.
Prenez mon iPhone EDGE, conservé dans son jus depuis quelques années, après avoir servi quatre utilisateurs différents. Il a bien quelques rayures, mais sa batterie tient encore la charge. Son bouton d’allumage est un peu capricieux, mais l’appareil se réveille en 35 secondes, deux secondes de moins que mon iPhone 7 Plus sous iOS 11. L’iPhone EDGE ne tourne pas sous iOS, le terme n’existait pas à l’époque, mais sous iPhone OS 3.1.1.
Ceux qui font aujourd’hui la fine bouche devant la refonte du mécanisme de gestion des tâches ou les premières briques d’un système de réalité augmentée devraient relire les notes de version de cette mise à jour vieille de huit ans. Rendez-vous compte : à l’époque, on applaudissait des nouveautés aussi incroyables que le copier-coller, les MMS, et l’application Dictaphone.
Le copier-coller a traversé les époques. Les MMS fonctionnent à condition de trouver une vieille carte mini-SIM, ou de bricoler une nano-SIM à l’aide d’adaptateurs et de fines feuilles de papier, les cartes modernes étant légèrement plus fines que les anciennes. L’iPhone enfin connecté à l’une des rares antennes EDGE encore en service, on se rappelle qu’il n’était qu’un piètre téléphone.
L’application Dictaphone, enfin, est l’une des rares que l’on peut encore utiliser. Les applications des principaux services en ligne ne fonctionnent plus, les API ayant changé au fil des années, et les nouvelles applications demandent iOS 8 ou 9. Mais on peut toujours se connecter à son compte iCloud pour récupérer ses données (même avec l’authentification à deux facteurs : il suffit d’ajouter le code à six chiffres à la suite du mot de passe), ou consulter la météo et le cours de la bourse.
Le navigateur n’est pas une échappatoire : les anciennes versions de Safari ne prennent pas en charge les dernières évolutions du chiffrement, et refusent donc de charger de nombreux sites récents. Et ceux qui se chargent se chargent lentement. Aveuglés par les incroyables progrès réalisés en matière de puissance des processeurs (centuplée !), de dotation en RAM (multipliée par 24 : le damier a disparu), de définition des écrans (multipliée par 2,5), ou de qualité des appareils photo (y’a pas photo), on en oublierait presque de penser aux puces cellulaires et Wi-Fi.
Or le poids des pages web a augmenté en même temps que la vitesse des réseaux : il a atteint 2,5 Mo en moyenne, alors qu’il dépassait à peine les 700 Ko en 2010. Des sites qui se chargent rapidement avec la puce 4G d’un iPhone 7 Plus se chargent péniblement avec la puce 3G d’un iPhone 4, et parfois pas du tout avec un iPhone EDGE. Déjà à l’époque de sa commercialisation, l’iPhone était furieusement en retard sur ce plan — j’ai longtemps regretté le modem 3G+ et l’appareil 5 Mpx de mon Nokia N95.
Qu’importe, me direz-vous, il y a le Wi-Fi ! Ce n’est guère mieux : alors que l’iPhone 7 Plus peut exploiter pleinement notre connexion 1 Gb/s avec sa puce 802.11ac MIMO, l’iPhone 4 se traîne avec sa puce 802.11n, et l’iPhone EDGE est à la peine avec sa puce 802.11g. De ce point de vue, l’iPhone EDGE a moins bien vieilli que certains ordinateurs des années 80 et 90, que l’on peut encore connecter efficacement avec un port Ethernet (voire un port AppleTalk ou série en bidouillant un peu).
Mieux : ils font toujours d’excellentes machines à écrire ou bornes d’arcade, puisque l’on peut installer leurs applications originales avec un CD ou une disquette, alors que l’App Store ignore le passé. À peine dix ans après son lancement, l’iPhone EDGE fait déjà figure de relique : les collectionneurs sont autant attachés que les utilisateurs pouvaient être frustrés par ce témoignage d’une extraordinaire avancée qui semble déjà si loin.