Peut-on encore faire des smartphones originaux quand ces appareils se résument aujourd’hui à des écrans ? Non seulement la réponse est oui, mais en plus elle vient de deux fabricants qui ont pendant longtemps suivi la route tracée par l’iPhone.
Xiaomi et Honor se sont émancipés de l’encoche, cet élément tellement incontournable en 2018 qu’on a pu croire que c’était la seule voie possible pour concilier taille d’écran maximale et caméra avant. Mais non, nous disent les deux constructeurs chinois, regardez nos derniers modèles phares, l’encoche n’est pas une fatalité. D’un côté, un système coulissant. De l’autre, un trou dans l’écran. Jetons donc un coup d’œil au Mi MIX 3 et au View 20.
Mi MIX 3 : le plaisir de la glisse
Xiaomi comme Honor sont connus des amateurs d’Android pour leurs smartphones à la fois bien équipés et abordables. Les deux constructeurs chinois ont sorti chacun une grosse cartouche le mois dernier.
Le Mi MIX 3 n’est pas le Xiaomi le plus cher du catalogue, mais pas loin. Vendu 529 €, il est équipé d’un processeur Snapdragon 845, de 6 Go de RAM, de 128 Go de stockage et d’un écran AMOLED 6,39".
Surtout, il se démarque du lot par sa conception coulissante. L’écran n’est pas solidaire du reste de l’appareil, il coulisse légèrement vers le bas pour laisser découvrir la caméra avant quand on en a besoin.
Cet aspect slider, qui fonctionne à l’aide d’aimants, marche très bien. Il suffit de pousser avec son pouce l’écran vers le bas pour que celui-ci glisse d'environ un centimètre. La pression nécessaire n’est ni trop forte ni trop faible, on ne risque pas d’« étendre » le téléphone par mégarde.
L’ouverture peut être accompagnée d’un son (il y en a plusieurs au choix) ainsi que du lancement de l’appareil photo ou d’une autre app.
On se prête vite à faire coulisser le Mi MIX 3 machinalement, comme on tripatouillerait un stylo. Il y a a priori de la marge avant de rencontrer un problème avec ce système, Xiaomi assure qu’il résiste à 300 000 ouvertures et fermetures.
Cette conception originale rend le Mi MIX 3 élégant. Rien n’interfère avec l’écran, on a celui-ci devant les yeux, et c’est tout… ou presque. Pour parachever ce plein écran (et chipoter), reste encore à se débarrasser de la bordure en bas qui n’est pas aussi fine que sur les côtés et en haut.
Avantage du slider, ceux qui ne prennent jamais de selfies ne sont pas « embêtés » par un appareil photo inutile. À l’inverse, ceux qui en prennent beaucoup disposent d’un module plus évolué que la concurrence. Il y a en effet un capteur 24 MP, un second capteur 2 MP destiné à l’effet bokeh et même un flash. Les résultats sont là, les photos prises avec l’appareil photo frontal sont de très bonne qualité (DxOMark a réalisé un test détaillé).
Cette conception coulissante implique aussi des contreparties. Le terminal est un peu plus épais que la moyenne (8,46 mm contre 7,7 mm pour l’iPhone XS Max), mais surtout il est lourd (218 g contre 208 g pour le XS Max qui est déjà un beau bébé). Autant je trouve encore l’épaisseur convenable, autant le poids me pose un peu problème (j'utilise un XS au quotidien).
Ajoutez à ça un dos en céramique très glissant (le plus glissant que j’ai jamais essayé), et le Mi MIX 3 n’est vraiment pas commode à utiliser d'une main. Autre grief concernant l’ergonomie, le lecteur d’empreintes au dos qui n’est pas bien délimité, même si avec l’habitude on finit par placer son index au bon endroit.
Et puis on n’y pense pas jusqu’à y être confronté : un câble USB-C un peu épais peut bloquer l’ouverture du téléphone. Sur six câbles USB-C essayés à la rédaction, deux sont concernés. Rien de rédhibitoire néanmoins, si on insère le câble USB-C après avoir fait descendre l’écran, ça passe (le bas de l’écran est alors très légèrement décollé du dos du smartphone). C’est de toute façon une situation assez peu fréquente et le câble fourni par Xiaomi a un embout fin.
Honor View 20 : une idée qui fait son trou
Le concurrent Honor a pris une trou, pardon, une toute autre approche. Pourquoi faire compliqué quand il suffit de faire un trou dans l’écran pour laisser apparaître la caméra ?
C’est le parti pris du View 20, le modèle le plus cher de la filiale de Huawei. Vendu 549 €, il est doté d’un processeur Kirin 980 (le plus puissant de Huawei), de 6 Go de RAM et de 128 Go de stockage.
L’intérêt de perforer l’écran est évident : on maximise l’espace occupé par l’écran en accordant la place strictement nécessaire à l’appareil photo frontal, et ce sans bouleverser la conception générale du smartphone. Comparé au Mi MIX 3 qui a la même taille d’écran, le View 20 est à la fois plus fin (8,1 mm) et sensiblement plus léger (180 g).
Ensuite, esthétiquement, c’est une question de goût. À mon humble avis, ce trou placé dans le coin supérieur gauche se fait oublier encore plus vite que l’encoche de l’iPhone.
C’est d’autant plus vrai quand on tient le téléphone en orientation paysage. L’orifice est alors caché par la main et il empiète moins sur le contenu. Le risque de « trou noir » qui fait disparaître un élément d’interface existe néanmoins : le trou est susceptible de masquer des boutons dans une app ou un jeu. On échappe de peu à ce problème dans PUBG.
Je ne suis pas tombé sur une application où cela était véritablement gênant. En cas de problème, il y a de toute façon une option pour encadrer la barre d’état qui comprend la caméra (la surface d’affichage des apps est alors amoindrie).
L’appareil photo qui est intégré ainsi n’en pâtit pas, il est de bonne qualité et sert même à l’authentification par reconnaissance faciale, ce que le Mi MIX 3 ne propose pas. Mais comme cette reconnaissance faciale n’est pas aussi sophistiquée que Face ID, un capteur d’empreintes digitales (que j’utilise essentiellement pour 1Password) est présent à l’arrière… et il est malheureusement placé un peu trop haut. Je suis obligé de modifier ma prise en main pour poser mon index, et je ne suis pas le seul à m’en plaindre.
L’originalité du View 20 ne se limite pas à son écran poinçonné. Il se fait aussi remarquer, y compris de loin, avec son dos bleu qui forme des motifs en forme de V. On aime ou pas — il faut savoir que Honor vise en particulier les jeunes —, mais ça a le mérite d’être unique en son genre.
Un logiciel surchargé
Vous êtes séduits par ce matériel ? Vous pouvez. En un mot, car ce n’est pas le sujet principal de l’article, le View 20 et le Mi MIX 3 sont bien finis, puissants, doués en photo et endurants (un jour et demi d'autonomie en moyenne).
Mais attendez un peu de découvrir le logiciel. Autant Xiaomi et Honor rivalisent d’ingéniosité pour débarrasser la face avant de tous les éléments superflus, autant ils ne font aucun effort pour proposer un système d’exploitation propre.
Les deux smartphones embarquent des applications maison qui font doublon avec celles de Google ainsi que des apps inutiles voire indésirables. Sur le Honor View 20 : Amazon, Facebook, Booking ainsi qu’un système censé recommander des apps en fonction de votre usage. Sur le Xiaomi Mi MIX 3 : Facebook, AliExpress et Opera (il y a pas moins de trois navigateurs préinstallés).
La plupart de ces applications peuvent être désinstallées ou désactivées, mais celles qui restent sont des horreurs en matière de confidentialité.
Par exemple, l’application Sécurité de Xiaomi propose par défaut de partager les noms de ses applications et leurs détails (on ne sait pas lesquels) avec trois entreprises tierces. Et après une « analyse de sécurité », on a parfois droit à une bannière de pub. Mieux vaut ne pas ouvrir cette app.
Du côté de Honor, outre le plagiat éhonté de l’icône de Safari pour l’application Boussole, de nombreuses apps maison demandent l’accès aux appels téléphoniques sans qu’on sache pourquoi. Vous voulez changer le thème de la surcouche ? Vous êtes prié d’autoriser cette app à accéder à vos appels, sans quoi vous êtes bloqué. Le respect de la vie privée ne fait pas partie du cahier des charges de ces deux fabricants.
Quant aux surcouches en elles-mêmes, Magic 2.0 pour le View 20 et MIUI 10.2 pour le Mi MIX 3, elles s’éloignent sensiblement de l’Android de Google. Je ne suis fan ni de l’une, ni de l’autre, je les trouve moins jolies et moins bien organisées que l’expérience « pure », mais puisqu’il s’agit d’Android, on est libre de personnaliser cela de fond en comble. Reste que ce n'est pas une excuse pour bourrer le système de trucs ne servant pas l’utilisateur. OnePlus, qui laisse intact le système de base, est un exemple à suivre.
Et c’est sans parler de l’incompatibilité du Mi MIX 3 avec la HD sur Netflix, myCanal ou Molotov, faute de prise en charge du niveau suffisant d’un DRM (Widevine L3 quand il faudrait du Widevine L1).
Pour conclure
Le Honor View 20 et le Xiaomi Mi MIX 3 montrent avec une certaine réussite qu’il est toujours possible d’être original, inventif et même, osons le mot, innovant sur le marché du smartphone aujourd’hui.
Le corps coulissant du Xiaomi est fun et pratique à utiliser, mais il implique des contraintes qui le restreignent sans nul doute à un marché de niche. On voit mal Apple produire chaque trimestre des dizaines de millions d’iPhone prenant cette forme.
La perforation de l’écran est, elle, une piste plus crédible à grande échelle. Samsung devrait d’ailleurs le montrer très bientôt avec les Galaxy S10. Mais Apple a une problématique que ses concurrents n’ont pas : la caméra TrueDepth des iPhone X ne se limite pas à un ou deux capteurs, elle est constituée de six composants (sans compter le haut-parleur et le micro).
Ça tombe bien, comme on n’arrête pas le progrès, certains composants pourraient être miniaturisés et permettre ainsi une encoche plus petite. Une évolution qui serait en préparation à Cupertino…