On peut difficilement qualifier l’Apple TV de console de salon. On trouve certes des jeux vidéo dans la boutique de tvOS, mais il faut se contenter bien souvent de titres mobiles gonflés aux stéroïdes. L’Apple TV a d’autres atouts, notamment son intégration au sein de l’écosystème iOS.
Mais si on n’est pas spécialement attaché aux plateformes d’Apple, on peut tout à fait aller voir ailleurs. Il y a les consoles de salon classiques bien sûr (dont la future Switch de Nintendo), mais Nvidia veut également se faire une place dans les salons. Le constructeur des cartes GeForce qui s’est récemment lancé dans l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique (pour l’automobile et la domotique, entre autres), a mis au point avec la Shield TV un boîtier tout-en-un capable de bien des prouesses.
Tout n’est pas parfaitement réussi, Nvidia voulant multiplier les propositions : console de jeu, media-center, boîtier de streaming… La Shield TV est tout cela, à des degrés divers.
Les forces en présence
Sous le capot, la Shield TV est un petit monstre de puissance. La console intègre un Tegra X1 maison, un système-sur-puce 64 bits équipé de 8 cœurs cadencés à 2 GHz, secondé par un GPU cadencé à 1 GHz (256 cœurs) ainsi que 3 Go de RAM. Le SoC Tegra X1 est assez peu courant : en dehors de la Shield TV, on le retrouve au cœur de la tablette Pixel C de Google et… de la Switch, la prochaine console de Nintendo. Dans ce dernier cas, la puce est moins performante, avec une fréquence d’horloge moitié moins rapide que la Shield TV.
Nous avons eu l’occasion de tester le modèle de base, c’est-à-dire celui équipé de 16 Go de stockage vendu 229 €. La configuration Pro, plus volumineuse et plus chère (329 €), est dotée d’un disque dur de 500 Go qui sert non seulement à s’épargner l’achat de cartes SD, mais aussi à héberger des vidéos : équipée de Plex Media Server, la Shield TV Pro sert aussi de point d’accès à tous les contenus. Rappelons qu'Android TV sait pleinement gérer les cartes SD (apps, images, sauvegardes, etc.).
Là où l’Apple TV n’a guère qu’un port Ethernet et une sortie HDMI à offrir (le port USB-C ne sert qu’aux développeurs et pour le support), la Shield TV est bien plus prolixe. À l’arrière de la petite console, on compte quatre ports : un Ethernet Gigabit, un HDMI 2.0 (avec HDCP 2.2), deux USB-A 3.0, ainsi que l’alimentation. De quoi brancher une clé USB ou un disque externe et alimenter la batterie de la manette avec le câble USB/microUSB (fourni), par exemple.
Le boîtier en lui-même présente un look un peu extraterrestre, avec ses formes anguleuses qui lui donne un air agressif, en particulier avec les accents verts présents un peu partout. Après tout, c'est la couleur de Nvidia. Ce qui est certain, c'est qu'on est loin de la bonhommie de l’Apple TV !
La Shield TV est fournie avec une télécommande qui rappelle l'ancien modèle « aluminium » de l'Apple TV… en plus grand toutefois. Plus imposante donc, on ne risque pas de la perdre entre deux coussins. Elle tient bien en main et ses boutons (quatre plus un pad) tombent aisément sous le pouce. Android TV oblige, le bouton pour lancer une requête vocale est proéminent.
La télécommande est Bluetooth, mais elle intègre un émetteur infrarouge afin d'allumer la télévision. En revanche, le système pour gérer le volume est un peu curieux : il faut glisser le pouce entre les deux « rails » présents en bas de la télécommande. Pour dire la vérité, on ne s’y est pas encore fait…
On trouve également dans la boîte un contrôleur qui n'est pas sans évoquer celui de la Xbox. La manette a un design bien affirmé avec ses formes anguleuses ; les deux sticks ainsi que les gâchettes inspirent confiance, moins les quatre boutons ABXY (le B notamment donnait constamment l'impression de rester coincé). Cette manette se révèle cependant assez agréable même si on est encore assez éloigné de la prise en main des contrôleurs de la Xbox ou de la PlayStation (deux accessoires qui peuvent être pris en charge, plus d’explications ici). On peut jumeler jusqu’à 4 contrôleurs Shield.
Bonne nouvelle pour les joueurs qui ne jurent que par le combo clavier/souris : ces périphériques sont supportés par la Shield TV… mais pas dans tous les jeux, malheureusement. Pour le moment, c’est encore au petit bonheur la chance.
Quoi qu’il en soit, on saluera la présence de la manette dans la boîte. Pour le prix demandé, on peut estimer que c'est la moindre des choses. Apple ferait bien de s'en inspirer pour son propre boîtier : nul doute qu'un bundle Apple TV + manette aiderait au développement de l'écosystème jeu vidéo de tvOS. Par contre, Nvidia pourrait fournir un câble HDMI…
Android TV, la plateforme a minima
Nvidia a confié à Google une partie du destin de la Shield TV. C'est en effet Android TV qui bat au cœur de la console, pour le meilleur comme pour le pire. Le meilleur, c'est le fonctionnement transparent de l'appareil avec les données du compte Google de l'utilisateur. Après identification, on retrouve en effet les applications et contenus précédemment téléchargés sur le Play Store, ainsi que les mots de passe enregistrés dans Chrome (très pratique pour s'identifier rapidement dans Netflix, par exemple) et diverses autres informations.
Android TV, c'est également une plateforme de contenus : vidéos, séries TV, musique, et surtout une boutique d'applications. Le catalogue est bien moins complet que sur Android, iOS, voire tvOS, mais on y trouve tout de même Spotify — qui pointe encore aux abonnés absents sur Apple TV — et à peu près tous les media-center du marché.
La sélection de jeux reste elle un peu maigre, en dehors des grosses pointures habituelles. tvOS bénéficie ici d'une petite longueur d'avance. Il est par contre très frustrant de voir dans sa sélection de jeux des titres téléchargés sur son smartphone qui se révèlent incompatibles avec Android TV. On comprend que les développeurs aient d'autres chats à fouetter que de soutenir à bouts de bras une plateforme un peu brinquebalante, mais Google pourrait s'arranger pour nous éviter cette déception (par exemple en masquant simplement les jeux incompatibles ?).
La recherche vocale reste en revanche un des points forts d'Android TV. Celle-ci est universelle : elle va fouiller dans les contenus Google (du Play Store à YouTube), mais aussi dans Netflix et le catalogue de jeux Nvidia. Ce support s'arrête cependant assez rapidement : les applications tierces comme Plex en sont exclues. C'est aussi le cas sur Apple TV. La recherche vocale est cependant disponible dans ces apps, mais elle reste contingentée à l'application.
Posséder un boîtier Android TV, c'est aussi avoir sous la main un Chromecast, et la Shield TV ne fait pas exception ! Depuis une application compatible (la sélection est assez impressionnante), il est très facile de lancer la lecture d'une vidéo ou d'une musique sur le boîtier depuis un iPhone ou un iPad (il suffit de toucher le bouton Chromecast). Et contrairement à AirPlay sur l'Apple TV, Chromecast permet d'utiliser le smartphone ou la tablette en même temps qu'un contenu est lu sur le téléviseur.
On comprend pourquoi Nvidia a choisi de s'appuyer sur Android TV pour sa Shield TV. Le système d'exploitation offre une expérience satisfaisante (même si elle se montre plus frustre qu'avec tvOS), et il est déjà possible de faire pas mal de choses immédiatement. Mais le boîtier ne se contente heureusement pas de ça.
La télévision au complet et en 4K
L’appareil porte un nom sans équivoque : la Shield TV est un appareil taillé pour la télévision par internet. En France, elle est même fournie avec un petit cadeau sympathique, à savoir 100 heures d’enregistrement de ses programmes préférés pendant deux mois sur l’excellent service Molotov (qui est moins joli sur Android TV que sur tvOS au passage).
On peut également télécharger les applications MyCanal, OCS (les séries TV d’Orange), et bien sûr YouTube, Dailymotion, Vimeo, FranceTVPluzz, les services de Google… sans oublier l’indispensable Netflix. Il y a là de quoi passer quelques soirées au chaud devant la télé.
La Shield TV bénéficie par ailleurs de quelque chose qui la placera devant l’Apple TV pour les possesseurs de téléviseurs 4K : le boîtier est en effet compatible 4K HDR. Nous avons eu l’occasion de tester quelques vidéos en 2160p, pour des résultats tout à fait convaincants. L’appareil affiche aussi ses images en HDR, mais malheureusement nous n’avons pas pu en profiter faute de téléviseur compatible.
La Shield TV sait faire son miel des formats les plus courants, ainsi que des conteneurs classiques. Difficile de prendre l’appareil en défaut, en particulier si on y joint un Plex. En bonus, le boîtier s’est montré très silencieux, y compris pendant les usages les plus lourds.
GeForce Now, le Netflix du jeu vidéo
La Shield TV n'est pas qu'un media-center. Si c'était le cas, ce serait un boîtier Android TV bien onéreux. L'appareil est aussi et surtout l'écrin de GeForce Now, le service de streaming de jeux vidéo mis au point par Nvidia. L'idée n'est pas nouvelle : OnLive est passé par là il y a quelques années, sans parvenir à s'imposer auprès des joueurs.
Nvidia a une carte à jouer sur le marché du jeu en streaming. Avant de concevoir des boîtiers TV, le constructeur est d'abord un concepteur de cartes graphiques et depuis quelques années un spécialiste des technologies de streaming avec Grid. GeForce Now est un moyen de présenter la puissance de cette plateforme au grand public... et de régaler les joueurs.
En matière de performances, il faut bien avouer que c'est assez impressionnant. Les jeux proposés s'affichent sans heurts dans leurs réglages graphiques les plus avancés. Par défaut, la plupart des jeux activent d'ailleurs les options maximales.
Nvidia vante des capacités quatre fois supérieures à celles d'une PlayStation 4, ou comparables à une GeForce GTX 1070 ou 1080. Des gros jeux comme Batman : Arkham Origins ou The Witcher 3 débourrent sérieusement. Sur un téléviseur 4K, on peut obtenir une définition 2 560 x 1 440 à 60 images par seconde pour la majorité des jeux. Quand on baisse en définition, on ne perd pas au change même si l’image peut présenter un rendu plus lissé. En tout, des performances graphiques impressionnantes, mais évidemment, ce n'est pas le boîtier lui-même qui en est responsable, mais les serveurs de Nvidia.
Pour bénéficier de la meilleure expérience, il n'est pas forcément utile d'avoir chez soi une connexion fibre. Nvidia recommande 50 Mb/s pour du 1080p à 60 images/seconde (un débit de 20 Mb/s est recommandé pour du 720p 60 i/s). Le constructeur, qui a mis en place six serveurs (gageons qu'il s'agit de fermes de serveurs) dans le monde, demande un modem ADSL2+ minimum pouvant assurer un ping de moins de 60 ms.
Durant nos tests, nous avons pu profiter du service GeForce Now en fibre via Ethernet, ainsi qu’en Wi-Fi (préférez la bande de fréquence 5 GHz). Dans ces conditions, la latence — l'ennemie mortelle du joueur en ligne — est inexistante. Les commandes répondent parfaitement et immédiatement. Ajoutez à cela des lancements aussi courts que possible (des titres exigent plus de patience que d'autres), et l'expérience est plutôt réussie.
Si GeForce Now se limite pour le moment aux produits Shield TV (il existe une tablette, une console portable et ce boîtier), à terme on pourra aussi jouer depuis un PC et même un Mac, grâce à un client qui est actuellement en version bêta. Il faut être résident des États-Unis pour demander un accès à ce service qui, malgré un nom identique, n'a pas beaucoup de rapport avec son équivalent pour Shield TV.
Sur ordinateurs, GeForce Now n'est pas un service de type Netflix. Pas d'accès illimité à un catalogue alimenté par Nvidia : ce que propose le constructeur ici, c'est de jouer aux jeux que l'on possède, comme si on avait sur son bureau un PC équipé d'une GTX 1080, le fin du fin du moment en matière de GPU. Cela fonctionne avec les jeux achetés depuis Steam, Uplay, Origin ou Battle.net.
Le modèle économique de GeForce Now est différent suivant la plateforme. Sur les produits Shield TV, il faut s'acquitter de 9,99 € par mois (le premier mois étant gratuit). Sur PC et Mac, c'est très différent puisqu'il faut acheter des heures de jeu. Pour 25 $, on obtient 20 heures pour jouer avec l'équivalent d'un ordinateur doté d'une GTX 1060, ou 10 heures avec une GTX 1080.
À l'inscription, Nvidia offre des heures gratuites : de 4 à 8 heures selon la carte graphique désirée. Cette formule, qui rappelle les forfaits de téléphonie (ou les abonnements internet AOL du temps glorieux de l'accès internet en 56k) semble un peu alambiquée et surtout, un peu chère ; rappelons qu'il faut au préalable avoir acheté les jeux auxquels on veut s'adonner.
À noter pour finir que Nvidia conserve les sauvegardes pendant 5 ans. Il est possible de se désabonner puis de se réabonner, on retrouvera ses progressions dans les jeux.
Nvidia GameStream : jeux en flux tendu
La dernière brique sur laquelle repose l'argumentaire de la Shield TV, c'est le GameStream. L'idée est simple : pouvoir diffuser et jouer sur le téléviseur un jeu stocké sur son PC (équipé d’une carte GeForce GTX), ce dernier étant diffusé par l’entremise de la console. Chaque appareil Shield embarque une application GameStream pour se connecter au PC et en gérer les préférences.
Tout cela est bel et bon et sera sans aucun doute d’un grand intérêt pour les possesseurs de PC musclés, mais les utilisateurs Mac sont bien moins lotis ! S’il existe une adaptation open source de GameStream pour macOS et iOS, et même un client Chrome (Moonlight), ces applications ne permettent que de recevoir les données (et de jouer aux jeux en streaming depuis le PC hôte) sans rien changer à la nécessité d’avoir un ordinateur compatible sous la main.
Nous avons bien tenté notre chance sous Boot Camp avec un MacBook Pro 15’’ mi 2012, mais la GeForce GT 650M de ce vénérable ordinateur lui interdit le GameStream.
Pour conclure
Quand on vient du monde de l’Apple TV, on regarde la Shield TV d’un œil intrigué. Malgré sa petite taille, le boîtier impressionne par l’accumulation de fonctions proposées. Petit miracle, tout s’articule plutôt bien, même s’il faut s’habituer à l’ergonomie particulière d’Android TV.
Si on peut trouver un peu pauvre le catalogue de jeux de la plateforme de Google, l’appareil se rattrape largement avec le service GeForce Now qui présente des performances vraiment étonnantes, pour peu qu’on dispose d’une bonne connexion (ceux qui possèdent à la fois un téléviseur 4K et la fibre seront aux anges)… et qu’on soit d’humeur à s’alourdir d’un forfait supplémentaire. Sans oublier qu’il est nécessaire d’acheter certains titres du catalogue pour y jouer.
Du côté des services de TV en ligne, ainsi que l’aspect media-center, difficile de prendre en défaut cette console qui prend en charge nativement la plupart des formats vidéo, et qui peut même se transformer en serveur Plex. Et là aussi, avec de bonnes performances à la clé. De ce point de vue, la Shied TV est un écrin impeccable pour démontrer les capacités du système-sur-puce Tegra X1.
Alors évidemment, on peut regretter que la fonction GameStream ne soit pas prise en charge nativement sur Mac, mais on peut difficilement reprocher à Nvidia les choix technologiques d’Apple. Reste la question du prix : à 229 €, la Shield TV est l’un des boîtiers Android TV les plus onéreux du marché. Si on souhaite en tirer le meilleur profit, il faut y ajouter l’abonnement GeForce Now (9,99 € par mois), ainsi que le coût des jeux au cas où ils ne seraient pas disponibles dans le catalogue du service de streaming.
Tout cela reste en bout de course moins cher qu’un bon gros PC « gaming », pour des performances au niveau d’une des meilleures cartes graphiques actuellement disponibles. Difficile ensuite de revenir sur l’Apple TV et ses jeux mobiles adaptés au grand écran.