Malgré tout le respect que l’on doit au jack, le connecteur plus que centenaire est condamné à plus ou moins long terme. Apple a mis un solide coup de pioche dans la tombe de cette technologie avec l’iPhone 7, proposant deux alternatives : le Lightning ou le sans fil.
Mais voilà, malgré son âge avancé, la place qu’il prend et les inconvénients qu’il peut occasionner, le jack a au moins pour lui un argument massue : il est universel et fonctionne de manière transparente. Il suffit de brancher un casque ou des écouteurs sur n’importe quel appareil pour que la magie de la musique opère. Pas de configuration à installer, aucune manipulation compliquée à réaliser, un taux de réussite proche de 100%. Qui dit mieux ?
Mais alors, pourquoi réparer ce qui fonctionne bien ? Apple s’est expliqué sur le sujet : le jack, « c’est un dinosaure » a déclaré Greg Joswiak. C’est « un trou rempli d’air », détaille Dan Riccio, « un obstacle à pas mal de choses que l’on voulait mettre dans l’iPhone » (lire : Apple : « La prise jack est un dinosaure »). Un argumentaire bien rôdé, mais que propose le constructeur pour pallier la disparition de ce vénérable connecteur ?
Il y a le Lightning, bien sûr, et Apple ne fait pas dans la demi-mesure en glissant dans le paquet de l’iPhone non seulement des EarPods Lightning, mais aussi un adaptateur pour brancher un bon vieux casque jack. Mais dans le monde sans fil qu’Apple appelle de ses vœux, pourquoi ne pas sauter carrément le pas ?
Il y a cependant un petit problème : le Bluetooth. Une technologie sans fil très courante, presque autant que le jack, mais dont la fiabilité n’a vraiment rien à voir. Configuration complexe, déconnexions intempestives, fonctionnement erratique… Les défauts du Bluetooth sont connus et malheureusement, ils ne sont jamais résolus malgré les promesses du groupement d’intérêt responsable de cette technologie.
Pour cette raison, et d’autres encore, Apple a mis au point la puce W1. Une des missions de ce système-sur-puce, c’est de faciliter le jumelage entre l’iPhone et le produit audio qui en est équipé. Jusqu’à le rendre presque aussi transparent que la prise jack… mais c’est dans le presque que réside tout le problème, et qui est parfaitement — hélas — illustré avec le Solo3 Wireless de Beats.
Solo3, un casque Apple ou presque
Aussi étonnant que cela puisse paraitre, le premier produit audio à bénéficier du W1 et disponible dans le commerce n’est pas un appareil provenant d’Apple, mais de sa filiale Beats. Le constructeur a renouvelé sa gamme avec plusieurs nouveaux casques et écouteurs sans fil dotés du SoC : l’entrée de gamme Beats EP, les intras Powerbeats3 et le Solo3 qui, au contraire de ses camarades et des AirPods, est livrable dès maintenant.
L’occasion est belle de tester à nouveau ce casque, après une deuxième génération que nous avions appréciée l’an dernier (lire le test). Le Solo3 conserve bon nombre d’atouts de son prédécesseur, à commencer par un packaging bien fourni : on trouve une coque de transport et deux câbles. C’est un peu ironique sachant que c’est un casque sans fil, mais ces câbles sont bien utiles : le premier permet de recharger la batterie du périphérique, le second est un jack/jack.
Quel est l’intérêt de ce câble jack ? En cas de batterie à plat, il permet simplement de continuer à écouter de la musique sur son iPhone… équipé de son adaptateur Lightning, évidemment. La télécommande, d’excellente qualité, sait contrôler la lecture musicale, prendre un appel et activer Siri. Grosse déception en revanche pour l’autre câble et, plus généralement, pour la recharge de la batterie du casque : le tout s’opère non pas grâce au Lightning, mais via microUSB, une connectique inconnue des appareils Apple.
On comprend que Beats ne veuille pas s’aliéner une grande partie de sa clientèle sous Android, mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir proposé un petit adaptateur Lightning/microUSB ? Les utilisateurs d’iPhone seraient ainsi restés dans leur jardin fermé, sans léser personne. Ce choix est d’autant plus curieux qu’Apple ne cesse de mettre l’accent sur le Lightning dans ses produits mobiles.
Près d’un an et demi après le précédent Solo sans fil, on aurait vraiment aimé qu’Apple et Beats trouvent le moyen de troquer le microUSB pour le Lightning. Les adeptes de la Pomme devront donc faire une petite place pour ce nouveau câble qui ne servira qu’à recharger le Solo3. Pas terrible pour une expérience « sans fil ». D'autant que Beats a déjà sorti un produit se chargeant en Lightning...
Qualité audio et autonomie au rendez-vous
Quant au casque en lui-même, son design et ses fonctions sont très proches de ceux de son prédécesseur. Assez discret pour un casque Beats, le Solo3 sait se faire aussi ramassé que possible quand on plie ses oreillettes (le tout pouvant être transporté dans l’étui fourni, très pratique).
Les finitions sont de qualité, exception faite de certaines parties comme les boutons de contrôle sur l’oreillette gauche : au toucher comme au cliquer, on sent nettement le côté plastique. Pour près de 300 €, on s’attend à mieux. Au passage, Siri s’active sans problème en maintenant le doigt sur le bouton principal, y compris sur Mac.
Les oreillettes en cuir rembourré sont fort agréables, mais elles ont tendance à « chauffer » les esgourdes si on marche un peu trop longtemps avec. L’ajustement du casque au dessus de la tête est facilité par un système coulissant efficace, mais les porteurs de grosses lunettes sont prévenus : sa conception est telle que pour rester solidement en place sur le chef, les oreillettes doivent appuyer en continu sur les oreilles. Au bout d’un moment, cette pression constante peut être douloureuse avec des branches de lunettes un peu épaisses (même sans bésicles, il est fatiguant d’écouter de la musique toute la journée avec ce type de casque).
Le verre à moitié plein de l’histoire, c’est que le son est transporté pratiquement du producteur au consommateur, en laissant à la porte le maximum du bruit parasite de son environnement. On est loin d’un système actif d’isolation sonore évidemment, qui pose encore des problèmes à Apple et son W1 (lire : Il n'y aura sans doute pas de nouveau Beats Studio à base de W1 cette année), ou encore du confort procuré par les casques circum-auriculaires, avec leurs oreillettes qui couvrent complètement les cages à miel (ils ont cependant le défaut de l’encombrement). Le Solo3, qui appuie sur les oreilles, est un casque supra-auriculaire.
En matière de qualité audio, les habitués du Solo2 et de son cousin sans fil ne seront pas dépaysés, elle est sensiblement identique. Le Solo3 conserve sa propension à favoriser les basses fréquences, mais on est très loin du « son » Beats d’avant l’acquisition par Apple, celui qui noyait tout sous d’épaisses grosses basses. Ce nouveau casque est bien mieux équilibré même si le son n’est pas neutre. Les adeptes de musiques urbaines, de rock ou de rythmes électroniques seront un peu mieux servis que les autres.
Tout comme ses prédécesseurs, le Solo3 est un casque dynamique avec des attaques percutantes, y compris à moyen volume. On n’a pas grand-chose à reprocher en fait au son délivré par ce casque, si bien sûr on ne recherche pas une qualité audiophile, qui n’est de toutes manières pas la clientèle visée par ce produit. Avec le câble jack, la qualité est équivalente, mais le volume est plus fort. Là encore, c’est comme avec le Solo2.
Le Solo3 n’est pas le mauvais bougre au moment d’écouter de la musique. La signature sonore reste un peu typée c’est certain, mais globalement il s’en sort bien dans à peu près toutes les situations. Ce son a visiblement été travaillé pour plaire au plus grand nombre, et ceux qui n’ont pas de prétention dans ce domaine apprécieront sans aucun doute ce que ce casque est capable de sortir.
L’autre point fort du Solo3, c’est son autonomie. C’est bien simple, le casque est increvable. Après une recharge complète un vendredi, la batterie affichait toujours un solide 55% le mercredi suivant, ce avec des temps d’écoute de deux heures en moyenne chaque jour en Bluetooth, en passant fréquemment d’un appareil à un autre.
Je pense qu’il me faudrait quatre ou cinq jours supplémentaires à ce rythme pour arriver au bout des 40 heures promises par Apple… De quoi relativiser la critique sur le port microUSB, qui ne servira pas si souvent, finalement !
C’est en tout cas un sacré bond en avant par rapport au Solo2 qui offrait déjà une généreuse autonomie d’une dizaine d’heures. La puce W1 fait ici des miracles. C’est elle en effet le chef d’orchestre qui mène la batterie à la baguette. Ce sera aussi le cas sur les AirPods évidemment, pour lesquels le constructeur annonce 5 heures d’autonomie pour chaque écouteur.
Si vous manquez de temps pour une recharge complète, la batterie du Solo3 intègre une fonction « recharge rapide » baptisée Fast Fuel : cinq minutes de charge suffisent pour trois heures d’écoute.
Quand c’est simple, tout va bien
Ce qui est formidable, avec un connecteur jack, c’est qu’il suffit de brancher le casque à l’iPhone et bim, ça fonctionne. Impossible de faire plus simple, et ce n’est pas le W1 qui va changer cela. La puce mise au point par Apple pour les AirPods est aussi présente dans le Solo3, et elle est censée faire mieux que le Bluetooth en matière de connexion et de jumelage entre un casque/des écouteurs et le smartphone.
Dans les faits, c’est vrai. La première configuration est d’une simplicité enfantine : il suffit d’appuyer sur le bouton d’allumage du casque pour voir apparaitre sur l’iPhone un panneau d’alerte invitant à connecter les deux appareils entre eux. Et après ? Eh bien c’est tout.
Non seulement on s’épargne la galère de la connexion Bluetooth, mais encore la magie d’iCloud permet d’appairer le casque avec tous les autres appareils en sa possession connectés au même compte iCloud ! Sont concernés l’Apple Watch, l’iPad, l’iPod touch et le Mac, pour peu qu’ils soient tous bien à jour. Le smartphone et la montre connectée ont été un peu plus privilégiés que les autres, puisque le casque sait quand basculer de l’un à l’autre, selon l’appareil qui lit de la musique.
Dans cette configuration, il n’y a pas grand chose à dire : cela fonctionne et même plutôt bien. La fiabilité du passage entre l’iPhone et l’Apple Watch est un régal ; il y a bien un petit temps de latence sur la montre, entre le moment où on touche le bouton lecture et celui où la musique parvient au casque, mais cela n’étonnera pas tous ceux qui ont déjà eu à utiliser un casque Bluetooth avec la Watch.
Le Solo3 s’intègre bien dans iOS. Le niveau de la batterie s’affiche dans le widget du même nom aux côtés de l’Apple Watch. Le casque apparait évidemment dans le panneau de sélection de la sortie audio, tout comme une petite icône dans la barre du haut. L’intégration est discrète, mais donne vraiment l’impression que le Solo3 fait véritablement partie de l’iPhone — et en un sens, c’est le cas à l’instar de l’Apple Watch.
À plusieurs, c’est pas meilleur
Alors, tout va bien ? Si on en reste là, oui, et c’est d’ailleurs le scénario mis en avant par Apple pour ses AirPods. Mais cela devient beaucoup plus compliqué quand d’autres appareils rentrent en ligne de compte.
Pour écouter un morceau sur l’iPad, toucher le bouton lecture de l’app Musique ne lancera pas la chanson sur le Solo3, il faut auparavant sélectionner le casque dans le panneau de musique d’iOS 10. Sa présence met parfois un petit temps avant d’apparaître, ce qui peut provoquer une certaine confusion. Il faut parfois aller le chercher dans les réglages Bluetooth de la tablette.
Avec le Mac, ce n’est plus du tout aussi transparent que les promesses d’Apple le font miroiter. Il faut en effet connecter le casque via le menulet Bluetooth de la barre du haut, et patienter quelques instants. Le casque devrait ensuite apparaitre dans le bouton de diffusion d’iTunes.
Le Mac fait d’autant plus figure de parent pauvre du W1 que l’affichage du niveau de batterie du casque est absent de la barre des menus. C’est dommage et incompréhensible alors que ce niveau est présent pour la Magic Mouse et le Magic Trackpad, deux périphériques qui carburent au Bluetooth eux aussi. Autre grief : sur mes deux Mac, un seul s’est jumelé au casque via iCloud sans demander son reste. Le second n’a « vu » le Solo3 qu’au bout de quelques jours, et après deux ou trois redémarrages. Curieux…
Quant à l’Apple TV, il est carrément absent de la liste : pour utiliser le Solo3 avec le boîtier, il faut l’appairer « à l’ancienne » et à la main, en Bluetooth. On ignore la raison pour laquelle le W1 ne communique pas les données de jumelage à la box TV dont le système d’exploitation partage de nombreux points communs avec iOS et qui est habituellement connectée au même compte iCloud que tous les autres appareils.
Peut-être qu’à la faveur d’une prochaine mise à jour de tvOS, l’Apple TV gagnera ses lettres de noblesse en même temps que son entrée dans l’écosystème W1.
Dès qu’on sort du duo iPhone + Apple Watch, on se retrouve donc bien loin de la simplicité et de la transparence promises par le constructeur. Des bugs persistent : le Solo3 peut ainsi « perdre » sa connexion avec l’iPhone et l’Apple Watch après une utilisation avec un iPad ou un Mac. Sur iPhone, il est assez facile de retrouver le chemin via le panneau Bluetooth des réglages, où le casque est présent dans la liste des périphériques, mais pas connecté. Sur la montre en revanche, le panneau Bluetooth a toutes les difficultés du monde à reconnecter avec le casque.
Mais le pire surgit quand on a la mauvaise idée de jumeler à nouveau le casque avec un autre compte iCloud. Le casque perd alors les pédales et ne sait plus à quel saint se vouer. Des appareils issus de plusieurs comptes iCloud peuvent fonctionner mais pas tous, ou de manière instable. Pour éviter les problèmes, mieux vaut s’arranger pour jumeler le Solo3 avec un seul compte iCloud, ou se résoudre à utiliser le cordon jack fourni avec les appareils de l’autre compte iCloud.
Une des théories qui circulent est que la puce W1 et/ou le compte iCloud conserve(nt) en mémoire des informations de connexion. J’émets humblement l’hypothèse que ces données ne seraient pas nécessairement purgées après un nouvel appairage, provoquant des incompatibilités. Si la puce W1 a sans doute sa part de responsabilité dans cette cacophonie, on soupçonne aussi fortement iCloud de pédaler dans la semoule — ce ne serait pas la première fois que le nuage d’Apple est encombré.
Pour revenir à la normale, la solution, du moins celle qui m’a permis de retrouver un fonctionnement à peu près cohérent, c’est de réinitialiser le casque (il faut appuyer une dizaine de secondes sur son bouton d’allumage), puis de redémarrer tous les produits du même compte iCloud. Et de croiser les doigts pour que tout revienne à la normale…
Pour schématiser, on se retrouve à gérer non seulement les embrouilles d’un W1 encore balbutiant, mais aussi les galères habituelles du Bluetooth. À tout prendre, on se serait contenté des problèmes connus liés à la dent bleue…
Pour conclure
Le Solo3 Wireless est une douche froide. D’un côté, sa qualité sonore est convaincante, son autonomie est excellente (une des meilleures du marché) et sa conception s’appuie sur un design bien rôdé et efficace. Le casque pèche là où on attendait la puce W1.
Ce n’est pas la prétention d’Apple, mais en aucun cas ce système-sur-puce ne peut prétendre à remplacer le jack, qui conserve toujours son principal atout : la facilité d’utilisation et l’universalité. Le jumelage est rapide avec l’iPhone et l’Apple Watch, mais dès qu’on ajoute de nouveaux appareils, le cocktail devient détonnant et le casque perd la boule. Et c’est pire encore si on a la mauvaise idée d’appairer plus d’un compte iCloud.
Espérons qu’Apple prépare activement une mise à jour, car les mêmes problèmes risquent de se répéter avec les AirPods (est-ce la raison pour laquelle les écouteurs sans fil ne seront disponibles que fin octobre ?). Pour en revenir au Solo3, c’est un casque performant mais finalement guère plus que son prédécesseur, qui certes offre une autonomie bien plus faible… mais aussi une centaine d’euros de moins sur la facture.
Le W1 reste une technologie d’avenir qu’Apple compte rentabiliser dans la gamme Beats, dans ses propres AirPods évidemment, mais aussi, pourquoi pas, dans de futurs produits. Il faudra affiner la partie logicielle et s’arranger pour que les casques et écouteurs W1 puissent fonctionner de la manière la plus transparente possible entre plusieurs appareils (au delà du duo iPhone et Apple Watch), voire plusieurs comptes iCloud. Comme au bon vieux temps du jack.