Après le lancement en novembre 2012 de la Nexus 10, Google a donné l'impression de délaisser le secteur des tablettes de grand format pour mieux se concentrer sur celui des ardoises de 7 pouces. La Nexus 7 a connu un bon succès, en grande partie grâce à son petit prix (et aussi à ses fonctionnalités).
Malgré le succès des différentes générations de Nexus 7, le moteur de recherche a décidé de changer complètement son fusil d'épaule à l'occasion de l'édition 2014 de ses tablettes. Exit donc les modèles de 7 et de 10 pouces : le catalogue se contente désormais de la Nexus 9 qui, comme son nom l'indique presque, embarque un écran de… 8,9 pouces.
À l'instar de ses prédécesseures, la Nexus 9 cache une double identité : sous le logo Nexus, bat en fait une tablette en partie conçue et fabriquée par un autre. Un classique pour cette gamme de produits co-développée avec Google : si le smartphone Nexus 6 émane du labo de Motorola, la Nexus 9 provient elle de HTC, qui fait là son retour (discret) dans le secteur des tablettes.
Un design milieu de gamme
Résultat de l'acculturation Google, la « signature » HTC se remarque assez peu. Il n'y a pas grand chose de commun entre le smartphone One (M8) et cette Nexus 9, au niveau du design s'entend. Si l'on peut apprécier le design du smartphone, la qualité de sa conception ou de ses finitions (lire : Test du HTC One (M8)) qui en font vraiment un produit premium à l'égal de l'iPhone, la Nexus 9 est bien loin de jouer dans la même cour que l'iPad Air. Malgré ses ambitions affichées.
Au dos, on retrouve un revêtement plastique au touché doux qui n'est pas sans rappeler celui du Nexus 5. La prise en main s'en trouve largement facilitée et les accidents malheureux réduits d'autant. Les bords doucement arrondis de l'ardoise ont obligé HTC à faire déborder l'appareil photo, à la manière de l'iPhone 6 — et comme sur les smartphones d'Apple, ce n'est pas très heureux, même si la proéminence est moins accentuée sur la Nexus 9.
Le contour de l'appareil est en métal, mais HTC réussit l'exploit de le faire ressembler à du plastique, ce qui renforce l'aspect « milieu de gamme » d'une tablette qui est pourtant censée représenter le haut du panier en matière d'ardoise Android. Une impression encore accentuée par les boutons sur la tranche (allumage et volume), en plastique, et qui répondent globalement assez mal aux sollicitations : on ne sait jamais vraiment si on a bien appuyé dessus, ce qui est un peu embêtant.
Au niveau des tranches inférieure et supérieure de la Nexus 9, viennent se nicher deux ouvertures qui permettent aux haut parleurs de donner la pleine mesure de leur puissance. Le design de la façade avant de la tablette n'en sort pas nécessairement grandi (et ce sont de vrais attrape-poussière), mais c'est un mal pour un bien : l'enceinte BoomSound, une pièce rapportée de HTC, offre une très bonne qualité audio, largement au niveau de l'iPad Air 2… quelques vibrations en moins.
Difficile de dire si c'est le cas de toutes les unités, mais notre modèle de test fait preuve d'une fragilité certaine à l'endos : il suffit d'appuyer légèrement pour « enfoncer » le dos, provoquant dans la foulée un bruit qui ne rassure pas quant à la solidité globale de la tablette. Un peu inquiétant pour la bonne tenue de l'appareil dans les semaines et les mois à venir… Preuve du malaise, Google et HTC ont revu leur copie : les derniers modèles de Nexus 9 désormais livrés sont exempts de ces défauts de jeunesse qui font tache.
Si la première impression est la plus importante, alors autant dire qu'on n'a pas vraiment été emballé par les premiers instants de prise en main de la Nexus 9. Le design semble issu de l'usine de n'importe quel fabricant de tablettes no name, on est loin de retrouver la patte HTC. Même Samsung a su faire mieux avec la Galaxy Tab S sortie en début d'année; quant à la comparaison avec l'iPad, elle n'est vraiment pas à l'avantage de Google. Ce que l'on peut accepter pour une tablette à prix plancher comme l'était la Nexus 7, on peut difficilement le comprendre pour un produit qui s'oppose frontalement à l'iPad Air 2013, qui reste encore aujourd'hui une des meilleures tablettes de sa catégorie.
Si l'on veut retourner le couteau dans la plaie, on peut comparer la prise en main de la Nexus 9 avec son concurrent d'Apple : l'iPad Air fait mieux au niveau de son épaisseur (7,5 mm contre 7,95 mm), et même si le poids de la tablette Apple est plus important (469 grammes, contre 425 grammes pour la Nexus 9), l'apparente densité de l'ardoise Android donne l'impression qu'elle est plus lourde. Apple a su mieux répartir le poids des différents composants de son iPad. Évidemment, l'iPad Air est plus grand que la Nexus 9, puisque son écran est lui aussi plus grand.
Une tablette à base de popopollipop
Passées ces considérations esthétiques, que vaut réellement la Nexus 9 ? Le premier contact avec l'écran ne provoque pas d'exclamation de joie particulière, mais pas de déception non plus. La définition de la tablette est identique à celle de l'iPad Air (2 048 x 1 536), avec une résolution supérieure : 289 pixels par pouce contre 264 ppp pour l'iPad, ce qui est logique puisque la diagonale de la dalle est moins élevée (8,9 pouces contre 9,7 pouces sur la tablette d'Apple).
Au contraire de l'iPad Air 2, l'écran n'est pas laminé. Les éléments d'interface se placent « sous » et non pas « sur » la plaque de verre (comme sur la dernière tablette d'Apple); l'absence de laminage explique également l'épaisseur de la Nexus 9. Pour le reste, la qualité de l'écran est plutôt bonne. Les noirs sont profonds et les couleurs bien rendues et naturelles, avec un blanc vraiment éclatant. On est ici au même niveau que l'iPad Air, c'est donc un résultat tout à fait satisfaisant. Par contre, notre tablette de test souffre d'une fuite de lumière en haut de son écran, ce qui témoigne encore une fois du peu de soin accordé par HTC à l'assemblage de la tablette.
Le format 4/3 de l'écran permet une utilisation confortable, aussi bien à l'horizontale qu'à la verticale; pour rappel, la Nexus 7 affichait un format de 16/9ème qui n'était pas particulièrement agréable à utiliser autrement qu'en mode portrait, excepté pour la lecture vidéo. Revers de la médaille, les films et séries TV seront encadrés d'épaisses bandes noires, mais cela n'étonnera pas les utilisateurs d'iPad.
Pour le reste, l'expérience de la Nexus 9 tourne essentiellement autour d'Android 5.0 Lollipop. Sur smartphone, le dernier parfum du système d'exploitation de Google est une réussite que nous avons salué à sa juste mesure (lire : Prise en main d'Android 5.0 Lollipop). Ce qui fonctionne bien sur smartphone donne de très bons résultats sur une tablette. Les animations discrètes, les aplats de couleur, les illustrations façon bande dessinée sont amusantes et évitent d'envahir l'espace vital de l'utilisateur. La lecture de Google Now est particulièrement agréable, la présentation en deux colonnes de cartes étant très efficace.
En multitâche, on retrouve évidemment la consultation façon Rolodex des applications : l'effet est réussi, mais quand on commence à avoir beaucoup de logiciels ouverts (ce panneau liste aussi les documents ouverts, par exemple les fichiers texte, en plus de l'application Docs en elle-même), cela devient rapidement le bazar. Il est difficile de s'y retrouver, mais heureusement on pourra supprimer une carte d'un mouvement vers la gauche.
Coup de frais sur l'écran
Android a toujours eu un coup d'avance en matière de notifications, et Lollipop fait souffler une certaine fraîcheur dans ce domaine aussi. iOS 8 a amélioré la polyvalence des notifications, rattrapant son retard sur Android qui permet, depuis longtemps, d'agir directement sur une notification reçue. Android 5.0 conserve évidemment tout l'héritage des possibilités d'interaction (ouvrir le client Mail pour répondre à un courriel, partager une image, piloter la musique…). En revanche, contrairement à iOS 8 et Messages où il est possible, depuis la notification, de répondre à un message, sous Android 5.0 la notification d'un message Hangout oblige à l'ouverture de l'application. Rien de très grave, mais on perd un peu en immédiateté des échanges.
Un glissement vers le bas affiche le centre de contrôles qui, osera-t-on l'écrire ici, est bien plus joli que celui d'iOS. En plus de l'activation du mode avion, de la lampe torche ou du blocage de la rotation de l'écran, celui-ci permet également de basculer d'une session utilisateur à une autre (la bascule est aussi disponible directement depuis l'écran de verrouillage). Une fonction présente depuis Android 4.2 et qui prend tout son sens sur une tablette, un produit dont une des vocations est d'être posé sur la table basse du salon, là où chaque membre de la famille pourra l'utiliser. À quand une fonction similaire dans iOS ?
Une fonction d'économie d'énergie permet d'utiliser la tablette « sur la réserve » en désactivant des animations, en réduisant les performances globales (le processeur passe de 2,5 GHz à 1 GHz) et limite l'actualisation des données en arrière-plan. Il est possible d'activer la fonction à la main, ou lorsque la batterie descend à un certain niveau (5% ou 15%).
Material Design, la signature de design d'Android 5.0, s'adapte parfaitement au format tablette : il est loin le temps où on pouvait se moquer des applications pré-installées d'Android, mal fichues et laides. Pour tout dire, il n'est pas interdit de préférer le travail de Matias Duarte, designer en chef chez Google, à celui de Jony Ive depuis iOS 7. Le design de Lollipop, du choix des couleurs aux icônes, forme un tout très cohérent donnant à Android un visage accueillant et plus « humain » que les précédentes itérations de l'OS de Google… et plus chaleureux qu'iOS.
Malheureusement pour la Nexus 9, elle souffre du même mal que les autres tablettes Android. Le Play Store de Google, très fourni en applications tierces pour smartphones et phablettes, n'offre qu'une maigre sélection de logiciels optimisés pour les ardoises. Il arrive même parfois que certains apps mobiles ne puissent tout simplement pas s'installer sur les tablettes, à l'image de Mailbox… Comme d'habitude, les constructeurs auront beau concevoir et produire les meilleurs produits du monde, si on n'y trouve pas ou peu de logiciels, cela ne sert pas à grand chose, à moins de se limiter aux applications Google et à la consultation de contenus (pour une raison ou une autre, Google offre d'ailleurs le film Gravity).
Une sucette au goût amer
Apple n'a pas manqué de vanter les mérites de l'appareil photo de l'iPad Air 2, car il paraît que la prise de vue avec une tablette est en passe de rentrer dans les mœurs. Certes, la tablette permet effectivement de prendre des photos de bonne qualité (équivalente à celle d'un iPhone 5). Google emboîte le pas d'Apple avec la Nexus 9. La tablette Android embarque un capteur photo de 8 mégapixels (f/2.4) qui, sur le papier, peut en remontrer à celui de l'iPad Air 2 (et plus encore à celui de l'iPad Air, qui se contente de 5 mégapixels). HTC a même rajouté un flash, là où sur iPad, il faut croiser les doigts et espérer bénéficier d'une bonne lumière ambiante.
Dans les faits, les photos réalisées avec la Nexus 9 n'ont rien de franchement exceptionnelles. Certes, dans les scènes de faible luminosité, la tablette de Google met minable l'iPad Air, mais le contraire eut été étonnant, étant donné la présence d'un flash. On est surtout déçu par le temps de réaction de l'appareil photo, qui prend tout son temps pour se déclencher… et il est souvent trop tard pour capturer le moment désiré.
Preuve une fois de plus que la valeur ne s'acquiert pas avec le nombre de mégapixels : la qualité des clichés n'a rien de franchement folichon. Il faut vraiment se trouver dans des situations de très bonne luminosité pour obtenir des photos intéressantes, car pour le reste, on a le droit à un bruit envahissant et à des couleurs maussades qui ne feront pas changer d'avis ceux qui pestent sur le ridicule de prendre des photos avec une tablette (on a le droit de ne pas être d'accord avec cette dernière phrase, NDLR).
Android 5.0 propose deux exclusivités que l'on ne retrouve pas dans iOS. L'effet Focus se concentre sur le sujet au premier plan, floutant l'arrière plan. Le filtre fonctionne bien mais il faut prendre le temps de bien le réaliser (les résultats seront donc meilleurs avec une nature morte ou un objet). Photo Sphere est une fonction sympathique mais un peu gadget, qui permet de réaliser des images sur 360°. Le processus est un peu long (il faut « viser » un point sur l'écran et remplir petit à petit l'intérieur d'une sphère) et les résultats sont parfois aléatoires (des fantômes apparaissent ici ou là); c'est amusant durant une soirée ou pendant une balade en forêt — la technologie est particulièrement efficace quand on bénéficie d'une bonne profondeur de champ. Google propose Photo Sphere sur iPhone et iPad au travers d'une app dédiée.
Des performances qui chauffent
En matière de puissance brute, la Nexus 9 bat toutes les tablettes Android du secteur, grâce au processeur K1 de Nvidia : avec 64 bits et 192 cœurs sous le capot, c'est un moteur extrêmement véloce qu'HTC et Google ont choisi pour motoriser leur tablette. Geekbench, qui mesure la puissance de calcul des processeurs, annonce des performances dans la roue de l'A8X de l'iPad Air 2 pour les tâches monocore (1926 pour le K1, 1804 pour l'A8X). En multicore, l'A8X enfonce toute concurrence avec un score de 4527 (3382 chez Nvidia).
Mais comme toujours, si les applications ne sont pas optimisées, il ne sert à rien de posséder un foudre de guerre. Et cela se sent particulièrement avec les graphismes dans les gros jeux 3D de type Asphalt 8 ou Horn : les textures rappellent des performances d'il y a trois ou quatre ans, certains effets (météo, nuages, fumées…) sont absents ou très atténués sur la Nexus 9, l'aliasing reste très présent dans certains titres… Bref, on n'en prend pas vraiment plein les yeux. Et ce n'est pas nécessairement la faute du K1, qui par ailleurs offre une expérience satisfaisante au sein de l'environnement d'Android (même si on ne pourra s'empêcher de noter quelques ralentissements de temps à autre).
Il se pose donc un réel problème d'optimisation pour les applications les plus gourmandes, même si tous les jeux ne sont pas à mettre à même enseigne : un titre comme Injustice : God Among Us se montre aussi agréable sur la Nexus 9 que sur l'iPad Air. Par contre, très rapidement, l'intensité des calculs nécessaires pour ces logiciels se traduit par un dégagement de chaleur qui ne provoquera pas de gêne certes, mais que l'on sentira très nettement dans la zone autour de l'appareil photo.
En matière d'autonomie, la batterie de la Nexus 9 (d'une capacité de 6 700 mAh contre 8 827 mAh pour l'iPad Air et 7 340 mAh pour l'iPad Air 2) permet d'utiliser la tablette durant 8 heures environ, en utilisation standard (relevé régulier des courriels, jeux, consultation web, vidéos YouTube). Ça n'est pas si mal, puisque l'autonomie de l'iPad Air 2 tourne également aux alentours des 8 heures. En évitant les sessions trop intenses de jeu vidéo, il sera possible de tenir largement du matin au soir.
Pour conclure
Il n'y a pas grand chose qui puisse sauver la Nexus 9 de la noyade. Dans le secteur de la téléphonie, Google est parvenu à résoudre l'équation contre iOS; mais le moteur de recherche n'a pas encore trouvé la martingale sur le marché de la tablette. Google tient avec Android 5.0 une arme redoutable, dont l'ergonomie et l'interface sont suffisamment attractives pour retenir ou attirer dans ses rets tous ceux qui ne sont pas suffisamment attachés à l'écosystème mobile d'Apple. Il subsiste toujours le point noir du catalogue logiciel, bien moins fourni que sous iOS, et qui cantonne trop souvent les tablettes Android à de la simple consultation de contenus (Google vise pourtant les usages plus productifs avec un étui/clavier Folio que nous n'avons pas pu tester). Dans le domaine logiciel, l'iPad reste le maître incontesté.
Ce qu'on peut accepter d'une tablette à 200 euros devient franchement rédhibitoire pour un produit qui a l'ambition de se mesurer au champion de sa catégorie. Le design sans âme, les finitions et la conception de la tablette ne peuvent aucunement justifier le prix demandé de 399 euros (d'ailleurs, elle est déjà régulièrement en promotion sur Amazon). Google et HTC ont au moins la volonté de faire amende honorable, en proposant discrètement des versions modifiées et mieux fagotées de leur tablette. Il n'en reste pas moins que les premiers acheteurs sont gros-jean comme devant, avec leur version alpha.
Et si on ajoute l'absence d'optimisation des applications au processeur K1, on se retrouve avec une tablette dont la médiocrité tranche cruellement avec la volonté de faire de la Nexus 9 le porte étendard des tablettes sous Android 5.0. Lollipop, qui mérite mieux que cette ardoise.