Avec l’acquisition des parts d’Ericsson dans leur joint-venture commune, Sony compte se lancer en nom propre dans le marché de la mobilité. C’est déjà le cas avec une gamme de deux tablettes, la Tablet P pliable, à deux écrans, et la Tablet S plus classique, mais avec un profil semblable à nulle autre. C’est justement cette Tablet S dont nous vous proposons aujourd’hui un aperçu : Sony la met beaucoup en avant, mais en a pourtant déjà baissé le prix, signe de ventes plutôt molles. Un insuccès mérité, ou un aveuglement des clients potentiels ? La réponse dans notre test !!
Une tablette originale…
Il faut reconnaître à Sony le mérite d’avoir proposé deux tablettes réellement originales : la Tablet P, qui peut réellement se glisser dans une poche de blouson ou un sac à main, se referme comme un livre et possède deux écrans 5,5". La Tablet S, elle, est d’un format slate plus classique, mais avec une petite originalité : elle présente un profil en goutte d’eau, censé être ergonomique. À l’heure où toutes les tablettes se ressemblent, au point que les sociétés se battent à coup de procès et que les fabricants de matériels Android se confondent, cette initiative est bienvenue.
Du dessus, la Tablet S est pourtant une tablette tout ce qu’il y a de plus conventionnel, avec son bel écran « TruBlack » de 9,4" offrant une définition de 1280x800 pixels, cerné d’un large cadre noir portant une webcam VGA. Le placement de cette webcam, ainsi que le format 16:9 de l’écran, invite à une orientation paysage, justement renforcée par le renflement du dos de la tablette, qui semble comme repliée sur elle-même. Sony a fait le choix délibéré de sacrifier la finesse pure (17,4 x 24,1 x 1,1 cm) au profit de l’ergonomie — un choix qui tranche avec la mièvrerie des Samsung, Motorola et consorts, et qui, au final, paye.
La tablette posée sur une table, l’écran est donc en légère pente : la lecture est plus agréable, comme la frappe sur le clavier. La prise en mains est elle aussi améliorée par ce profil en goutte d’eau. En orientation paysage, le centre de gravité est décalé vers le haut, un ou deux doigts venant buter contre le repli pour sécuriser la préhension ; le tout est plutôt équilibré, une sensation renforcée par le poids raisonnable de la Tablet S, 598 grammes. En orientation portait, le tablette se cale dans la main, à la manière d’un magazine dont on enroule les pages. Problème : l’asymétrie du profil dans cette orientation complique la saisie aux pouces au clavier, alors que l’écran 9,4" est juste de la bonne taille pour cet exercice.
Bref, ce profil original est une véritable réussite ergonomique, mais il condamne de facto l’orientation portrait — Android Honeycomb est de toute façon plutôt optimisé pour l’orientation paysage.
Le dos de la tablette est recouvert d’un matériau plastique texturé attirant les traces de doigts, au sommet duquel on trouve un capteur 5 MP. De manière générale, les plastiques employés ne sont pas du meilleur effet, et le contraste noir piano / gris mat n’est pas particulièrement élégant. Les ajustements sont bons et on n’entend pas de craquements, mais les matériaux manquent de qualité et sont d’une banalité sans nom. Pensez télécommande de télévision des années 1990, robuste mais sans charme…
Les ports et boutons sont disposés de chaque côté de la tablette, dans les flancs dessinés par le profil, qui comportent aussi deux petits hauts parleurs peu puissants et au son assez étouffé. À droite, le bouton de mise en / sortie de veille, les boutons de volume et un bouton de remise à zéro, ainsi que la traditionnelle diode de notifications ; à gauche, une prise casque, et une trappe dissimulant un port micro-USB et un emplacement SD(XC) (plutôt que micro-SD, un bon point).
On ne peut malheureusement pas recharger la tablette avec le port micro-USB : il faut obligatoirement passer par un port propriétaire, situé en bas de la tablette, et donc le chargeur fourni par Sony. Oui, le connecteur 30 broches d’Apple est tout aussi propriétaire ; mais présent près d’un demi-milliard d’appareils dans le monde, il est aujourd’hui un standard de fait, et il est dur de ne pas trouver un câble adapté en quelques minutes, chez un ami ou dans un magasin quelconque. Difficile d’en dire autant pour le connecteur de Sony… Heureusement, l’autonomie est assez bonne, autour de 8h30 en lecture continue de films — on a pu passer un long week-end de fêtes sans s’inquiéter du niveau de batterie.
La firme nippone fournit, en option, un adaptateur USB femelle > micro-USB, le câble SGP-UC1, qui permet d’importer des médias depuis un support externe vers la tablette. Ne fonctionnant pas avec les disques externes 2,5" auto-alimentés, il ne fait rien de plus que le kit de connexion pour iPad, mais il fonctionne tout aussi bien avec les appareils photo, et supporte aussi les clefs USB.
Notons enfin la présente d’un émetteur infrarouge, quasiment invisible sur la face supérieure. Il transforme la Tablet S en télécommande universelle : l’occasion d’aborder le volet logiciel de cette tablette, entre Android Honeycomb et applications Sony.
…gâchée par un logiciel en retrait…
Sony a fait le choix d’Android Honeycomb comme système principal pour la Tablet S. La firme nippone confirme son bon suivi du couple matériel / logiciel en ayant fourni des mises à jour régulières apportant les nouveautés d’Android 3.2.1 et ajoutant des apps (PlayStation Store, Video Unlimited, Party Streaming).
Car comme d’autres fabricants, Sony utilise sa propre surcouche au-dessus de Google, et ajoute ses propres apps. Cette surcouche reste légère (plus que la TouchWiz de Samsung, par exemple), et amène quelques bonnes idées, comme un « dock » dans le coin supérieur droit ajoutant au champ de recherche Google un accès rapide à quatre fonctions ; ou encore un tri de la liste des apps selon différents critères.
Près de deux ans après la présentation de l’iPad, Android nous paraît cependant en retrait sur le terrain des tablettes. L’OS de Google regorge de bonnes idées, c’est un fait incontestable : son mécanisme de multitâche est ingénieux et plus visuel que celui d’iOS ; l’efficacité de son système de notifications et d’accès rapide aux paramètres n’est plus à démontrer ; la possibilité de charger des médias depuis une carte SD et l’accès à un mini-navigateur de fichiers sont souvent plus directs que la logique d’Apple ; la métaphore des bureaux regorgeant de raccourcis et de widgets est une alternative valable à la grille d’icônes des écrans d’accueil d’iOS.
Mais Android, en tout cas dans sa version Honeycomb, manque globalement de réactivité, de cohérence, d’attrait et de simplicité. On est trop souvent obligé de taper deux ou trois fois pour déclencher une action ; les animations de défilement et de zoom sont trop souvent saccadées, même sur cette tablette pourtant puissante (Nvidia Tegra 2 double-cœur à 1 GHz, GPU GeForce 333 MHz) ; et les applications semblent trop souvent (même lorsqu’elles proviennent de chez Google) manquer de cohérence et de finition. Honeycomb n’est pas un mauvais OS ; c’est simplement un OS inachevé, et ça se sent.
Quelques choix lourds ont néanmoins une incidence non négligeable sur les opérations, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est encore et toujours le système de notifications d’Android, accessible ici au pouce, qui est infiniment plus élégant et utile que celui d’iOS, notamment dans sa version castrée sur iPad. L’accès rapide aux paramètres (réglages WiFi notamment) est aussi un énorme plus de l’OS de Google (quoique nous ayons eu quelques problèmes de reconnexion WiFi en sortie de veille). On peut toujours placer la compatibilité Flash dans les points positifs, même si Adobe a abandonné le développement de son lecteur mobile, de toute manière de plus en plus inutile dans un monde passant à une cadence soutenue aux lecteurs HTML5 utilisant divers codecs (H.264, WebM, etc).
Le pire, c’est certes les lenteurs et le manque global de finitions, mais aussi quelques décisions d’interface, comme l’utilisation de boutons virtuels (précédent, accueil, multitâche). Certaines applications ont tendance à les masquer, et il faut alors taper une première fois pour les afficher, puis une deuxième fois pour les utiliser, un comportement irritant que l’on retrouve aussi sur le Kindle Fire d’Amazon.
Il faut aussi évoquer la qualité globale de l’Android Market, déplorable lorsqu’on la compare à celle de l’App Store en général, de la sélection pour iPad en particulier. Il faut être franc : au sortir du carton, la Tablet S en fera un peu plus qu’un iPad ; à court terme, elle en fera autant, les grands classiques étant présents sur toutes les boutiques ; mais pour le moment, la qualité des apps et leur variété sont en faveur d’Apple sur le long terme — il n’est pas sûr que ce soit toujours le cas d’ici la fin de l’année et la multiplication des appareils sous Ice Cream Sandwich.
…mais rattrapée par l’offre Sony ?
Sony propose néanmoins de nombreuses applications maison, qui peuvent peut-être rattraper un peu le coup. En plus des quelques modifications cosmétiques apportées à Honeycomb, la firme japonaise livre un inutile SelectApp (un catalogue d’apps sur le Web), un trop limité Lecteur de flux social (agrégateur Twitter ou Facebook), mais aussi une liseuse numérique, l’accès aux boutiques multimédia Sony, une intrigante télécommande universelle, et la compatibilité PlayStation.
Reader, la liseuse numérique, doit prochainement offrir l’accès au Reader Store, la boutique d’ebouquins de Sony. Pour le moment, c’est une simple application de lecture, tout de même compatible ePub et PDF. Elle est entachée des mêmes problèmes qu’Android, transitions saccadées et lenteurs occasionnelles ; mais elle révèle le bon contraste de l’écran, la facilité du réglage de sa luminosité, et son bon format 9,4" (quoique le 16:9 soit plus adapté à la lecture de vidéos).
La lecture de vidéos, justement, est l’affaire de l’application Video Unlimited, accompagnée de Music Unlimited — les deux boutiques multimédia de Sony autrefois connues sous le nom de Qriocity. Music Unlimited est le service d’écoute de musique en streaming sur abonnement de Sony, disponible contre un abonnement de 3,99 € (accès basique) ou 9,99 € par mois (accès au catalogue Premium et à la recherche). Une offre bien placée face à la concurrence, mais qui souffre de sa faible diffusion — Deezer ou Spotify sont plus universels. Video Unlimited, vous l’aurez compris, est son pendant cinématographique : c’est un classique service de vidéo à la demande, dont les prix sont souvent supérieurs à ceux de l’iTunes Store.
L’application Télécommande tire parti de l’émetteur infrarouge de la tablette pour la transformer en télécommande universelle programmable, à la manière de la gamme Harmony de Logitech. Cette fonction ne se limite pas aux matériels de Sony : on a pu contrôler un téléviseur LG sans peine. Sony fournit de nombreux profils par fabricant (mais pas une liste des modèles), et permet de programmer les éventuelles touches manquantes en pointant la télécommande d’origine sur la tablette (une idée mise au point dans les années 1980… par Steve Wozniak !). L’ensemble fonctionne, mais reste plutôt basique, sans les raffinements proposés par d’autres. On reste de plus assez dubitatif sur l’intérêt de contrôler son téléviseur avec sa tablette…
Il faut enfin parler de la compatibilité PlayStation, puis la Tablet S fait partie des quelques appareils certifiés (…par Sony) et capables de faire tourner les jeux PlayStation sans accrocs. Là encore, on reste sur sa faim : certes, les parties de Medievil ou de Pinball Heroes rappellent de très bons souvenirs, mais Sony s’est ici contenté du strict minimum — à savoir un bête émulateur que l’on pourrait retrouver sur d’autres tablettes. Les jeux n’ont pas été adaptés (la mention des slots carte mémoire sur une tablette ne manque pas de sel), conservent leur définition d’origine (les pixels sont donc bien visibles et mettent d’autant peu en valeur les jeux originaux), et les contrôles tactiles sont bien moins agréables à utiliser que le pad du Xperia Play. Pour finir, la boutique PlayStation offre pour le moment une sélection bien chiche. Une fonction accessoire donc, mais qui permet à Sony de coller son logo PlayStation au dos de sa tablette — pas sûr que cela suffise à la faire vendre.
Pour conclure
Cette Tablet S laisse une impression en demi-teinte. C’est une réussite incontestable sur le plan matériel : elle n’est certes pas exempte de défauts (mais quelle tablette l’est ?), mais son design paye par son originalité et son ergonomie. Sony a osé prendre des risques et se démarquer de la concurrence, et a fort bien fait : plutôt que de faire la course (illusoire et vaine) à la finesse, la Tablet S se positionne clairement comme une tablette de salon, et cela fonctionne. Et même très bien.
Elle est malheureusement desservie par un logiciel en retrait : Android Honeycomb ne manque pas de qualités, mais il n’est pas encore mûr, et n’est pas au niveau d’iOS. Son offre applicative est limitée, et ce ne sont pas les applications de Sony qui relèvent franchement le niveau. L’ensemble n’est pas mauvais, il manque seulement de saveur et d’une touche de finition pour vraiment provoquer l’imagination. Ice Cream Sandwich devrait certainement changer les choses, mais en l’état, il est tentant de reléguer la Tablet S aux côtés de la HP Touchpad ou du BlackBerry PlayBook — de bonnes tablettes, mais « bon » n’est pas assez.
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