Les applications de « lecture différée » ont le vent en poupe : Instapaper, qui a créé le genre en 2008 a depuis été rejoint par Readability et Pocket (ex-Read it Later). Bien que semblables, ces trois applications ne font pas tout à fait la même chose, et ont chacune un modèle économique différent. Laquelle choisir ? Éléments de réponse dans notre aperçu :
Lancée à l'été 2008 en même temps que l'App Store, Instapaper a créé la catégorie des applications de lecture différée. Marco Arment, son développeur, a toujours tenu à ce qu'elle se limite à la gestion des articles textuels, dans une interface sobre, mais élégante. C'est la principale différence avec les autres applications du domaine : lorsque Read it Later s'est transformé il y a quelques jours en Pocket, elle a ajouté la sauvegarde d'images et de vidéo en plus de celles des articles. Le nouveau moteur de Readability, quant à lui, prend mieux en compte la vidéo : le domaine le plus sauvegardé sur ce service n'est autre que YouTube.
Instapaper paye son ainesse et sa philosophie par l'interface la plus sobre des trois, pour ne pas dire la plus austère. Elle ne gagnera aucun concours de beauté, mais son interface est facile à comprendre et donc à utiliser, et se révèle plutôt fonctionnelle. On regrettera néanmoins, sur iPad, que l'interface principale soit si peu adaptée aux choix profonds effectués par Marco Arment, alors que l'interface de lecture est un pur régal.
Readibility est incontestablement une réussite visuelle : son interface a été conçue par Teehan+lax, un studio réputé. L'accent a été mis sur la disparition des menus pour laisser un maximum de place au texte, mais c'est parfois au détriment de l'usabilité : impossible de deviner, à la première utilisation, qu'il faut balayer l'écran pour revenir d'un article vers la liste des éléments sauvegardés. Readibility est plus cohérente qu'Instapaper et sa version iPad est une version iPhone subtilement agrandie, une métaphore qui fonctionne mieux.
Pocket met l'accent sur la présentation : chaque article, par exemple, est souligné par une image qu'il contient. Sur iPad, elle reprend le principe de la grille d'Instapaper, mais puisqu'elle est illustrée, elle prend sens : on a l'impression de se retrouver face à un véritable journal personnalisé. Du point de vue fonctionnel, Pocket est plus proche d'Instapaper que de Readability, et c'est tant mieux : l'application est au final belle et fonctionnelle.
Au-delà de ces considérations générales, il faut aussi étudier de près l'interface de lecture, puisque c'est celle dans laquelle on va passer le plus de temps. Celle d'Instapaper est incontestablement un cran au-dessus — cette fois, la sobriété paye. Le choix des polices est simplement parfait, et les différentes options proposées (taille de la police, taille de la colonne de texte, mode nuit, luminosité) permettent d'adapter rapidement l'environnement de lecture aux conditions. Le défilement automatique en fonction de l'inclinaison est un plus indéniable, notamment dans les transports en commun.
L'interface de Readability n'est pas beaucoup moins convaincante, mais elle est pénalisée par des choix hasardeux en matière de polices : les créations de Hoefler & Frere-Jones sont réputées, mais aucune n'est véritablement adaptée à une lecture prolongée. Le mode nuit de Readibility semble néanmoins être le plus subtil des trois applications. Là encore, Pocket est à mi-chemin : elle ne propose que deux polices, mais les deux choix sont excellents (dont Proxima Nova), et suffisent au final.
Pocket est néanmoins handicapé par un moteur moins intelligent que celui de ses deux concurrents. Il est certes adapté à plusieurs types de contenus, mais il échoue au final à être bon dans chacun des domaines : il n'arrive parfois pas à comprendre qu'un élément sauvegardé est une vidéo, a souvent du mal à reconnaître les dates d'un billet, et ne supprime souvent pas des éléments parasites au texte (liens, cartouches).
Readability souffre des mêmes défauts, quoique son nouveau moteur, Iris, ait amélioré la situation. On retrouve néanmoins trop souvent des liens ou des apartés au milieu d'un article, et des articles répartis sur plusieurs pages sont parfois tout simplement coupés. Après de nombreux essais, il apparaît que Readability s'en sort souvent mieux que Pocket dans la gestion de YouTube ou de Wikipedia, un comble puisque Pocket propose un filtre dédié à la vidéo.
Le grand gagnant, ici, est Instapaper : Marco Arment est un spécialiste du web et du parsing de contenu (il fut directeur technique de Tumblr), et travaille énormément à la reconnaissance des différentes sections d'un article. Il est tout simplement impossible de prendre en défaut Instapaper avec des articles textuels, même sur les sites les plus obscurs. Bien sûr, ce service est incapable de gérer les vidéos et les pages web qui ne sont pas des articles, contrairement à Readability ou Pocket, mais c'est un choix assumé. Arment a donc beaucoup travaillé cet aspect de son application, mais en délaissant son site web : il n'a jamais été particulièrement attractif, et est aujourd'hui carrément rebutant. On remarquera que cliquer sur un lien ne permet pas de voir une version épurée du site, mais la version originale. Instapaper est néanmoins le seul service proposant de classer les articles en dossiers, en plus de la séparation articles à lire / articles archivés. Le seul aussi à mettre en avant une option d'exportation du contenu dans un format simple, le CSV.
Le site de Readability est sans conteste non seulement plus clair et plus agréable à utiliser que celui d'Instapaper, mais aussi plus fonctionnel : toutes les fonctions nécessaires sont à portée de clic. On regrettera néanmoins que les options d'exportation soient cachées dans les options, et que le format proposé ne soit pas le plus simple pour le tout-venant (JSON). On apprécie que cliquer sur un lien dirige vers une version épurée de l'article avec toutes les fonctions du service à proximité, on déteste par contre que les éléments partagés avec des amis renvoient non vers le site original, mais vers une frame sur les serveurs de Readability — une manière de profiter du contenu des autres pour faire la promotion de son service qui est détestable.
Le site de Pocket tente de retranscrire l'ambiance de l'application, ce qui est plutôt appréciable, d'autant qu'il est assez rapide — cette grande cohérence est une force de l'ex-Read It Later. Cliquer sur un lien emmène sur une version simplifiée de l'article original, avec un lien vers le site complet, sans le cadre imposé par Readability. Enfin, ce service propose une exportation dans un format très simple, mais peu pratique : une simple page HTML. Là encore donc, Pocket apparaît comme étant au milieu des pratiques de ses concurrents.
Marco Arment a toujours été clair : Instapaper n'est disponible et ne sera disponible que sur iPhone et iPad, et sur Kindle e-Ink via un service associé. Les abonnés payants à son service peuvent néanmoins utiliser, sur Android, le très prometteur, mais aussi très incomplet Papermill, développé par un tiers. Readability comme Pocket sont directement disponibles sur Android en plus d'iOS, et quelques applications Mac gèrent les trois services. Instapaper, Readability comme Pocket sont disponibles comme option de partage dans de très nombreuses applications iOS, dont iGeneration pour iPad (et la prochaine version de MacG Mobile qui ne propose qu'Instapaper pour le moment). Instapaper ne propose pas d'extension navigateur, se contentant d'un bookmarklet, contrairement à ses deux concurrents.
Papermill pour Instapaper et les applications Android de Readability et Pocket.
Il faut enfin aborder un dernier point rarement mentionné lors de la comparaison de ces applications, mais pourtant le plus important : le modèle économique de ces services, mais surtout leur pérennité. Le modèle d'Instapaper est clair : l'application universelle est payante une fois (3,99 €), et c'est tout. Vous pouvez souscrire un abonnement (3 $ le trimestre) permettant d'activer des fonctions supplémentaires, dont l'accès à l'API nécessaire pour utiliser des clients de tierce partie, mais Instapaper fonctionne parfaitement sans. Marco Arment met un point d'honneur à ne pas accepter d'investissements extérieurs et travaille sur son application à plein temps : cette stratégie a le mérite d'être claire, et de ne pas avoir évolué depuis le premier jour.
Instapaper sur iPad
Readability est sans doute l'application le moins stable des trois : fondée et financée par Arc90, elle a changé trois fois de modèle économique en un an, et ne s'est mise à la lecture différée pure que très récemment. Le service propose un abonnement de soutien qui permet de rémunérer les créateurs de contenu, mais son fonctionnement opaque est souvent décrié. Pocket est un peu plus claire : l'application est désormais gratuite, comme le service associé, sans publicité ni abonnement. La société a en fait récemment ouvert son capital à des investisseurs privés, et cherche désormais à attirer le maximum d'utilisateurs sur le plus grand nombre de plateformes pour être rentabilisée plus tard, sans doute sous la forme de publicités.
Readability et Pocket sur iPad
Bref, Instapaper semble au final être la meilleure application de lecture différée pure : elle est moche, elle est ennuyeuse, mais elle fonctionne fantastiquement bien avec un moteur de qualité. La grande clarté de Marco Arment est un plus non négligeable dans ce paysage concurrentiel, surtout après la vague de fermeture de services web plus ou moins similaires. Si vous cherchez une application plus polyvalente, tournez-vous vers Pocket : le service est moins chaotique que Readability et son application souvent supérieure, malgré un moteur plus enclin à l'erreur. Enfin, n'oubliez pas qu'avec la Liste de lecture et le mode Lecteur, Apple propose un système qui peut être utilisé de la même manière : il est moins pratique, moins immédiat, et nécessite Safari, mais il ne requiert pas d'application tierce.