C’était annoncé : la 5G est la star du Mobile World Congress (MWC). Alors que l’édition 2017 du grand salon des télécoms avait marqué la (quasi) finalisation des standards de cinquième génération, cette édition 2019 « célèbre » la (quasi) disponibilité des premiers réseaux et des premiers appareils compatibles. « La 5G est là », clame fièrement Ericsson. Mais la 4G ne disparait pas pour autant.
Il faut dire que la 5G… n’est pas tout à fait là. Selon la GSMA, l’association professionnelle qui organise le MWC et participe à la définition des normes de réseau mobile, seuls dix-huit pays auront déployé un réseau 5G d’ici à la fin de l’année. « Il faudra quelque temps avant que la 5G n’atteigne une masse critique », explique le rapport annuel de l’association d’opérateurs et d’équipementiers, « bien que certains marchés connaitront une croissance relativement rapide ».
Les Coréens sont en pointe, les Américains ne sont pas en reste, et les Japonais veulent déployer un réseau national avant les Jeux olympiques de 2020. Mais ces pays hyper-développés et ultra-connectés sont loin de représenter la réalité des réseaux mondiaux. À l’échelle du globe, le nombre des connexions aux réseaux 4G vient seulement de dépasser celui des connexions aux réseaux 2G1. Avec 3,4 milliards de connexions en 2018, les réseaux de quatrième génération restent minoritaires (43 %) face aux réseaux 2G et 3G.
Ils devraient enfin passer la barre des 50 % cette année, dix ans après la commercialisation des premières offres 4G, et même atteindre 60 % des connexions en 2023. Ce n’est alors que leur progression atteindra un plateau, sous l’effet du déploiement des réseaux 5G, qui doivent être présents dans 116 pays et représenter le tiers des connexions en 2025. D’ici là, les réseaux 4G continueront d’évoluer.
Le « chemin vers la 5G » d’AT&T, comme celui des autres opérateurs, passe par les méandres des évolutions des normes LTE. L’opérateur américain fait un premier pas avec son réseau LTE-A employant une modulation 256QAM (qui permet d’améliorer les conditions de réception), le MIMO 4x4 (qui permet d’augmenter l’efficacité spectrale de la cellule radio), et l’agrégation sur trois porteuses (qui permet de combiner trois blocs de fréquences pour augmenter les débits).
Vous n’avez rien compris ? AT&T explique que « ces technologies servent de rampe de lancement à la 5G », au point de parler de réseaux « 5G Evolution », une astuce marketing qui ne manquera pas de susciter la confusion des clients. Il manquera pourtant un deuxième pas avant la 5G : la 4G LTE-LAA, qui permettra d’exploiter certaines bandes de fréquences sans licence2, notamment la bande des 5 GHz utilisée par les réseaux Wi-Fi, sans le risque d’interférences que posait sa prédécesseure la 4G LTE-U.
Et « c’est pas fini », comme dirait un certain opérateur au carré rouge, puisqu’il faut encore parler de la 4G LTE-A Pro. Comme la 5G, elle capitalise sur l’agrégation de porteuses pour dépasser le gigabit : 1 Gb/s avec quatre porteuses, 2 Gb/s avec sept, et même jusqu’à 3 Gb/s avec 32. Comme la 5G aussi, elle veut répondre aux besoins de l’internet des objets, en intégrant la spécification LTE IOT qui permet d’utiliser de toutes petites bandes de fréquences pour communiquer entre 100 kb/s à 1 Mb/s.
Agrégation de porteuses, spectre sous ou sans licence, modulation 256QAM, MIMO massif… Toutes ces technologies forment le socle de la 5G, sur lequel reposent les travaux sur la latence et la robustesse du réseau, et bien sûr le recours aux ondes centimétriques et millimétriques (lire : C’est quoi, la 5G ?). Autrement dit : pour tisser demain des réseaux de cinquième génération, il faut déployer aujourd’hui des réseaux de quatrième génération plus perfectionnés.
« En améliorant le réseau LTE existant », dit ainsi AT&T, on « prépare pour le futur de la connectivité ». « Alors que nous entrons dans l’ère de la 5G », ajoute Qualcomm, « la 4G LTE va continuer de fournir une large couverture et des services essentiels qui compléteront les premiers déploiements 5G ». Les évolutions de la 4G permettent d’éprouver le matériel, et plus encore les logiciels de gestion, sans lesquels la 5G ne pourra tout simplement pas exister.
Les deux réseaux vont cohabiter pendant des années, la 4G assurant la couverture la plus large, tandis que la 5G apportera débits et capacité, comme l’explique Qualcomm :
Il devient clair que la 4G LTE-A Pro fournira la couverture sur laquelle reposera la 5G, notamment dans les premiers temps du déploiement des réseaux de cinquième génération. Les utilisateurs utiliseront la 4G LTE la plupart du temps, et passeront en 5G uniquement dans les zones urbaines les plus denses. Selon toute vraisemblance, les opérateurs déploieront des réseaux 4G LTE à l’échelle du pays, et réserveront la 5G aux zones sous contrainte de capacité, ou bien aux endroits où l’on trouve le plus d’utilisateurs « premium ». Ainsi, les opérateurs étendront leur couverture 5G de manière progressive, sans que les utilisateurs ne puissent sentir une grande différence entre la 4G et la 5G.
De fait, les réseaux devraient finir complètement entremêlés. Intel et Ericsson ont montré que les opérateurs pouvaient partager le trafic 4G et le trafic 5G sur la même porteuse, et passer de l’un à l’autre en fonction des besoins à l’échelle de la milliseconde. Qualcomm propose de connecter les voitures autonomes aux deux réseaux en même temps, la 4G améliorant la portée et la 5G réduisant la latence. Nokia et Ericsson ont utilisé les mêmes arguments lors de leurs présentations dédiées à la réalité augmentée.
Bref, le passage de la 4G à la 5G ne sera pas une rupture, mais une continuité. Les réseaux mobiles sont composés de spectres, et les normes de réseaux sont un spectre, un éventail de sous-spécifications qui évoluent parallèlement, faisant fi des marques commerciales bien définies. La 4G continuera d’évoluer dans l’ombre pendant que la 5G attirera la lumière, les deux normes se complèteront et se répondront, et les réseaux seront toujours plus rapides et plus robustes.
- En excluant les connexions aux réseaux cellulaires spécifiques à l’« internet des objets » (IOT). ↩︎
- L’utilisation des ressources spectrales est contrôlée par les gouvernements, soucieux d’éviter les interférences, et de préserver les fréquences utilisées à des fins publiques ou militaires. Certaines « bandes » ne peuvent être utilisées sans obtenir une licence (attribuée, en France, par l’Arcep), alors que d’autres peuvent être utilisées plus librement. La procédure d’attribution des bandes de fréquence, qui doit répondre à des objectifs de développement mais aussi à l’intérêt financier de l’État, agace certains opérateurs. Ainsi lors du MWC, Stéphane Richard a déclaré que la France avait pris « un an de retard dans la 5G », une manière pour le PDG d’Orange de faire pression sur le régulateur. On comprend dès lors l’intérêt pour les bandes de fréquence « libres », et l’agrégation de fréquences « licenciées » et « libres » pour former de grands blocs de fréquences et augmenter les débits. Pour en savoir plus, lire : « 3G, H+, 4G LTE : un guide des normes réseau » et « 4G LTE : explications sur les bandes de fréquences ». ↩︎