SFR, né Société française du radiotéléphone en 1987, a connu une histoire tumultueuse faite de nombreux rachats et de lourdes réorganisations internes. La dernière en date marque un nouveau départ qui accole l’opérateur au carré rouge à Numericable.
Après une longue séquence au cours de laquelle on a vu Bouygues Telecom et Altice (maison-mère de Numericable) faire assaut de propositions toutes plus alléchantes les unes que les autres, c’est finalement Patrick Drahi, le patron d’Altice, qui a remporté la timbale… À grands coups de dette puisque les 13,4 milliards d’euros lâchés à Vivendi, l’ancien propriétaire de l’opérateur, ont été empruntés à des banques qui ne se sont pas faites prier pour apporter leur contribution — Patrick Drahi aurait pu en effet lever plus de 70 milliards d’euros auprès des investisseurs !
Et Altice ne s’est pas arrêté en si bon chemin. L’argent ne coûtant pas cher, il s’est offert l’opérateur virtuel Virgin Mobile, et en ce début d’année, Altice a remis au pot pour racheter les 20% restants de Vivendi dans SFR afin d’avoir les mains complètement libres. Mais pour faire quoi ?
Le Meccano des marques
L’ambition de Patrick Drahi est immense : faire de Numericable-SFR le numéro 1 des télécoms en France. Et pour ce faire, il va falloir faire du ménage dans les offres car le catalogue du groupe est touffu, ce d’autant qu’on y trouve non seulement les forfaits de SFR, mais aussi ceux de Numericable, de Virgin Mobile, de Joe Mobile et de BuzzMobile ! Un grand fourre-tout dans lequel il est humainement impossible de s’y retrouver, avec des offres cannibales qui se font concurrence.
En ce qui concerne le petit poucet BuzzMobile, le couperet est tombé le 10 février : les activités de ce MVNO, lancé en juin 2012 et spécialisé dans la carte prépayée « ethnique », cesseront le 31 mars. SFR conseille aux clients de l’opérateur virtuel de basculer vers une de ses offres prépayées destinées aux appels internationaux.
Que faire de SFR ?
Le rapprochement entre Numericable et SFR s’est lui opéré très rapidement après le feu vert de l’Autorité de la concurrence autorisant l’acquisition de la marque au carré rouge. De nouvelles offres sont ainsi apparues au catalogue de SFR, commercialisant la box de Numericable (augmenté des boîtiers domotiques de SFR dans le forfait le plus onéreux). Numericable conserve de son côté sa propre gamme, avec en plus la possibilité de souscrire à un forfait 4G SFR.
Quant à l’avenir de la marque SFR en elle-même, il semble assuré. En mars dernier, Patrick Drahi annonçait que la marque en danger était plutôt Numericable, tandis que la « marque emblématique » du groupe allait devenir SFR :
C’est une marque très forte en France et SFR a actuellement 28,6 millions d'abonnés contre 1,7 pour Numericable. Il serait donc plus juste d'utiliser la marque SFR pour ne pas trop brusquer tous nos clients.
Néanmoins, le nom du groupe devient Numericable-SFR. Au fil des acquisitions et des fusions, la marque au carré rouge a sans aucun doute acquis une certaine culture des mouvements en interne. Si la prise de contrôle par Altice a permis de faire le ménage au sein de l’équipe historique (qui n’a pas vraiment su répondre à la déferlante Free), le management issu de Numericable n’a pas l’habitude de manœuvrer le paquebot qu’est SFR. Des équipes se retrouvent en sureffectif sur des projets bloqués, d’autres au contraire manquent de bras et de matière grise pour assurer la livraison.
La culture des économies insufflée par Patrick Drahi ralentit les processus de décision : la moindre dépense de plus de 500 euros est épluchée et doit être validée, pratiquement au niveau du comité exécutif. La plupart des projets ont été gelés lors de la prise de contrôle effective (lire nos informations sur Stargate et Sunrise ci-dessous), y compris des projets déjà signés voire quasiment achevés. Des annulations ont même été décidées pour des projets terminés à 95%… Il en va de même pour les contrats de prestations qui sont renégociés malgré la signature en bas de l’accord. Et beaucoup de projets prioritaires fixés par la nouvelle direction en place devaient être bouclés pour début avril, mais les budgets pour les réaliser n’ont pas été validés en temps et en heure (quand ils l’ont été).
Comme SFR a subi au cours de son histoire beaucoup de bouleversements capitalistiques, l’infrastructure technique qui gère la clientèle s’est développée de manière « organique » (comprendre : « bordélique »). Les systèmes d’information (SI) de l’entreprise, comprenant entre autres les différentes bases de données sont, de l’aveu même d’une source, assez hétérogènes, et jusqu'à récemment pour un client avec plusieurs lignes il pouvait y avoir autant de titulaires. Un casse-tête pour les conseillers clientèle.
L’opérateur a entamé en 2008 un chantier qualifié de titanesque pour consolider ses différents SI. Le budget consacré à ce projet a été dépassé, et sans doute doublé par rapport aux prévisions initiales. L’arrivée de Numericable a gelé l’avancée des travaux. Si on rajoute les SI des autres marques au sein de la base anarchique de SFR, on imagine l’écheveau de complexité auquel font face les ingénieurs de l’entreprise.
La valse Joe et Virgin
Au rapprochement des offres entre Numericable et SFR, se rajoute la difficulté d’intégrer Virgin Mobile et Joe Mobile. Les deux opérateurs low cost ciblent des publics assez différents. D’un côté, Virgin tente d’appâter les ados et les jeunes adultes avec des campagnes de publicité décalées mettant en scène l’amuseur Ramzy. De l’autre, Joe Mobile s’adresse plutôt aux geeks et à ceux qui maîtrisent leur smartphone sur le bout des doigts, grâce entre autres au concept de cockpit qui permet de gérer finement les heures de communication et le volume des données 3G/4G.
La dernière campagne de pub TV de Joe Mobile date du printemps dernier.
Sur le papier, il parait inévitable que ces deux entités se rapprochent, voire fusionnent tout simplement au profit de Virgin Mobile, une marque mieux établie et plus grand public — il n’est sans doute pas innocent que le MVNO ait récemment lancé son propre cockpit, dont les fonctions de contrôle parental n’ont rien à voir avec celles de Joe. La coquille où résidait Joe Mobile, SNBL, a été dissoute en toute fin d’année dernière pour être complètement intégrée à SFR. Le MVNO appartient désormais totalement à Numericable-SFR, c’est d’ailleurs marqué en toutes lettres dans les mentions légales de Joe Mobile.
En interne, des réunions sur la fin de Joe Mobile ont bien eu lieu, mais d’après nos informations, la réflexion sur l’avenir des marques est toujours en cours. Mais si SFR devait lâcher le couperet sur Joe, l’opérateur organiserait une sortie programmée, avec des offres promotionnelles poussant les clients Joe à basculer chez SFR ou une autre offre low cost type RED. Sans compter, encore une fois, que la complexité de l’infrastructure SI de SFR favorise ce type de transition « en douceur ». Mais la fin de Joe est encore très hypothétique : « Le rachat d'une société par une autre n'est jamais simple et le rachat de SFR et Virgin par Numericable n'échappe pas à la règle », explique un CM sur le forum de l’opérateur virtuel. Certes, on peut estimer dans ce cas que les cordonniers sont les plus mal chaussés, mais la teneur des échanges laisse penser qu’à leur niveau, les animateurs de la communauté Joe continuent de tenir bon la barre.
RED est aussi au centre des interrogations. La réflexion autour de ces offres à bas coût très enchâssées au sein de SFR tournerait autour de la possibilité de donner un peu d’autonomie à la filiale, à l’image de Sosh avec Orange — et à l’inverse de B&YOU avec Bouygues Telecom, mais ce dernier est dans une situation très différente (lire : La fusion entre B&You et Bouygues Telecom est effective). SFR pourrait tout aussi bien décider de fusionner les offres RED avec celles de Virgin : si d’aventure l’opérateur décidait aussi d’y intégrer Joe, cela ferait de Virgin Mobile un poids lourd dans le paysage des MVNO.
À l’heure actuelle, rappelons-le, tous les scénarios sont sur la table. SFR pourrait tout aussi bien décider de ne conserver que Virgin, ou au contraire laisser vivre RED, Joe et Virgin. Cela paraît toutefois peu probable.
Trouble transparence
La communication est un art difficile et exigeant, en particulier chez des opérateurs où la transparence est un concept assez nouveau. Au point d’ailleurs de se tirer des balles dans le pied ! On l’a vu encore récemment avec les clients des offres RED qui ont reçu un SMS les avertissant de nouvelles conditions pour les services Carrés… auxquels ils ne sont pas éligibles.
Mais plutôt que d’énoncer clairement les changements pour ces services, l’internaute se voit présenter un tableau listant les différences de traitement entre les forfaits SFR et RED. Au détriment de ces derniers, où tous les services sont payants — et pour cause, RED étant une des filiales low cost de SFR. Ces prix n’ont rien de scandaleux, car ils n’ont tout simplement pas évolué. L’impression n’en reste pas moins désastreuse et le message qui demeure est celui d’un opérateur qui augmente ses prix. Communication ratée sur toute la ligne, et scandale sur les réseaux où l’on appelle à la résiliation tous azimuts, y compris dans nos colonnes (lire : Hausses de tarifs chez SFR : et c'est pas fini).
Il faut cependant souligner que l’impression de hausse sournoise des prix est tenace, en particulier dans un univers où on crie facilement à l’arnaque (parfois à tort). C’est aussi l’effet pas très agréable qui émane du changement unilatéral concernant l’option TV pour les clients ADSL qui n’y ont pas souscrit : celle-ci est désormais obligatoire. Il ne s’agit certes que d’un euro par mois (et SFR précise que cela n’ouvre pas obligation de reverser la redevance), mais forcer ainsi la main des clients est plutôt malvenu sur un marché où ce sont les opérateurs qui doivent se montrer plus conciliants pour recruter les clients. Et SFR en a même rajouté une louche en facturant cette fameuse option en s’exonérant de son obligation d’information…
Le quadruple play de Virgin se prend les pieds dans le fil
Autre exemple de communication déficiente : l’offre quadruple play Virgin Box by SFR semble sur le papier plutôt intéressante, avec de l’ADSL, du téléphone et de la TV pour 30 euros par mois. Si on y ajoute 15 euros, on repart avec un forfait 20 Go de 4G (lire : Virgin Box by SFR : de l’internet et 20 Go de 4G). Moins cher que chez Free en somme ! Sauf qu’après le 14 avril, date limite de souscription, les prix s’envolent pour les clients qui auront trop tardé à prendre leur décision : la box passe à 35 euros (l’option TV redevient payante à 5 euros), le forfait 4G à 20 euros… qui ne comprendra plus que 3 Go au lieu des 20 de l’offre de lancement.
En bout de course, à 55 euros par mois, la Virgin Box by SFR sera l’une des propositions les plus onéreuses du marché. Mais après tout, ce type d’opération de lancement à prix très avantageux est fréquent chez tous les opérateurs, mais Numericable-SFR a perdu ici une occasion de jouer la transparence, voire de prendre le problème à l’envers en le transformant en argument commercial : souscrivez maintenant, après ce sera plus cher !
D’après nos informations, la communication au sein du groupe est en cours de remaniement. La future équipe ne manquera pas de travail, ne serait-ce que pour effacer des mémoires les augmentations de 1 ou 2 euros un peu mesquines pratiquées plus ou moins en douce par Numericable.
Stargate et Sunrise : deux projets SFR avortés
Avant qu’Altice ne vienne bousculer les projets de SFR, l’opérateur au carré rouge avait dans ses tuyaux plusieurs nouveautés qui auraient dû être lancées pour relancer l’intérêt du public. Il y avait notamment deux projets pour lesquels nous avons obtenu quelques informations. Stargate était ambitieux : il s’agissait alors de combler le retard pris par SFR sur la Freebox.
Stargate ferme la porte aux étoiles
Ce produit devait créer un effet de gamme avec l’autre boîtier de base, qui sert indifféremment à toutes les marques du groupe (y compris, depuis peu, pour Virgin Mobile). Stargate devait être plus simple à configurer, offrir une meilleure communication avec les produits TV, les appareils mobiles ainsi que la famille de produits domotiques SFR Home, et apporter une petite touche de « magie » au travers de fonctions comme le support de la 4K, le partage à domicile ou encore l’enregistrement évolué.
Dans la configuration imaginée, Stargate devait être fourni avec une clé HDMI de type Chromecast et comporter, entre autres choses, un service de jeu dans le nuage, des applications dédiées (YouTube, Napster, services TV en ligne…), le contrôle parental, un service d’autodiagnostic… Ce projet aurait dû être lancé en septembre 2015 mais des problèmes de budget (une première version trop coûteuse par rapport aux estimations) ainsi que l’achat par Numericable ont mis le projet en mode pause — et d’après nos informations, ce serait toujours le cas.
Le soleil se couche sur Sunrise
Sunrise montrait la volonté de SFR de retenir les familles dans ses filets. Après avoir souscrit à une offre à prix « normal », le client pouvait créer des lignes additionnelles pour les membres de sa famille à prix réduit. Il s’agissait de faire basculer facilement et rapidement toute la famille dans les rets de l’opérateur.
Le client en question devait choisir un forfait Sunrise, comprenant une ligne fixe, ainsi qu'une ligne mobile SFR, puis un certain nombre de lignes supplémentaires à attribuer à ses proches (de 5 à 10). Des difficultés techniques se sont dressés devant Sunrise, comme la gestion des espaces clients des différents utilisateurs de l’offre, ou encore la migration et la portabilité des numéros, notamment pour consolider les dates et les montants de facturation de la famille.
Sunrise devait coûter un million d’euros pour être mise en place, mais à l’été dernier, il a été demandé de réduire la facture de moitié; là aussi, le projet a été stoppé avec l’arrivée de Numericable dans l’équation.
Et demain ?
Où s’arrêtera Patrick Drahi ? Difficile à dire. L’homme d’affaires est dans les petits papiers des investisseurs : d’un simple claquement de doigts, il peut lever des montagnes d’argent pour financer ses envies les plus folles — la dernière en date n’est autre que Bouygues Telecom, pour lequel SFR aurait fait une offre de 7,5 milliards d’euros. L’État lui-même ne verrait pas d’un mauvais œil la consolidation du marché des télécoms pour revenir à trois opérateurs.
Mais au vu des difficultés actuelles que rencontre Altice à regrouper sous la même bannière SFR la pléthore d’offres diverses et variées de ses différentes marques, on se demande comment il pourrait y rajouter ce mastodonte qu’est Bouygues Telecom. Sans oublier que les échéances s’approchent, tout particulièrement les enchères pour les fréquences « en or » des 700 Mhz, que Free lorgne avec gourmandise.