Apple a eu le nez creux en achetant les droits sur CODA, adaptation américaine de La Famille Bélier : Apple TV+ est le premier service de streaming à remporter l'Oscar du meilleur film, au nez et à la barbe de Netflix qui cherche en vain depuis des années à décrocher cette timbale. Il s'en est fallu d'un cheveu (et d'un chèque de 25 millions de dollars) pour que ce soit Amazon qui ait ce privilège, puisque le géant du commerce en ligne guignait aussi le film.
Avec CODA, Apple TV+ décroche ses premiers Oscars
Peu importe les circonstances, c'est un très joli coup pour Apple TV+ qui se positionne à Hollywood comme une plateforme sur laquelle il faudra compter à l'avenir. En fait, c'était déjà le cas depuis le début : dans l'industrie, le service est connu pour ne pas mégoter sur les frais de production des films et des séries TV. L'ambition et les ressources financières sont là1, mais Apple TV+ semble souffrir d'une crise de croissance en interne, selon les sources de Business Insider.
Les différents échelons décisionnels d'Apple TV+ seraient inadaptés aux réalités hollywoodiennes, soutiennent plusieurs dirigeants de sociétés de production. Les avocats de la plateforme ne seraient pas forcément familiers des pratiques et des subtilités de la législation du secteur. Il y a aussi de bêtes problèmes de paiement de factures, qui reflèteraient une culture d'entreprise consistant à étirer les délais aussi longtemps que possible, selon une source qui a vendu une série.
Autre souci : les partenaires auraient très peu d'informations sur le succès ou l'insuccès de leurs productions auprès des abonnés Apple TV+. Un grand classique chez Apple, dont se plaignent aussi les éditeurs de presse ou les podcasteurs.
Le marketing autour des films et des séries TV poserait aussi des difficultés. « C'est comme s'ils [Apple TV+] vendaient un iPhone, pas du contenu », déplore un dirigeant. Les détails d'un nouveau projet sont tenus au secret jusqu'à la dernière minute, souvent jusqu'au dévoilement public du programme. Encore une fois, ce n'est pas un problème d'argent : l'an dernier, Apple aurait ainsi dépensé 213 millions de dollars pour faire la promo du service dans les médias traditionnels selon Katar, contre 3 millions pour le marketing de l'Apple TV (le boîtier).
Par ailleurs, les cadres d'Apple TV+ auraient l'obligation de se référer en permanence à leurs boss, ce qui ralentit tout le processus décisionnel. « Ils veulent tout faire eux-mêmes », souligne un autre responsable. « Mais ils n'ont pas suffisamment d'effectifs ». Maintenant que la pandémie, qui a forcé à mettre sur pause pas mal de tournages, est plus ou moins derrière nous, la cadence avec laquelle il faut faire face à l'afflux de productions est infernale, et cela provoque des burn-out en interne d'après un ancien employé d'Apple.
La solution, c'est de recruter de nouveaux employés, cadres et dirigeants et c'est ce qu'Apple s'emploierait à faire. Ce d'autant qu'aux productions originales, s'ajoute la diffusion de compétitions sportives, à commencer par des matchs de baseball vendredi prochain. Toutefois, ces difficultés — pour pénibles qu'elles puissent être — sont largement conjoncturelles. Et Apple a suffisamment démontré sa volonté de compter dans le paysage du streaming pour lui faire confiance : l'entreprise va mettre les moyens qu'il faut.
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Selon Wells Fargo, Apple va engloutir 8 milliards de dollars en contenus pour sa plateforme de streaming en 2022. C'est moins que les 13,6 milliards de Netflix, mais Apple TV+ produit beaucoup moins d'heures de programmes. ↩︎