L'industrie musicale va dans le mur. Ce n'est pas une déclaration de Pascal Nègre au milieu des années 2000, mais de Jimmy Iovine, le père d'Apple Music, aujourd'hui. Dans une interview accordée au New York Times, le jeune retraité d'Apple s'exprime sans concession sur l'industrie du disque, qu'il connait comme sa poche.
S'il a cofondé Beats en 2006 avec Dr. Dre, c'est parce que la réponse de l'industrie vis-à-vis de Napster « n'était pas cool », or Jimmy Iovine veut être cool. « J'ai pensé "oh, je suis à la mauvaise soirée". Puis j'ai rencontré plusieurs personnes de la tech, notamment Steve Jobs et Eddy Cue d'Apple, raconte celui qui était alors patron du label Interscope (Eminem, 50 Cent, U2…). Et je me suis dit "la voici la bonne soirée". Nous devons intégrer cette manière de penser dans Interscope. »
Steve Jobs l'a aidé personnellement à faire ses premiers pas avec Dr. Dre dans la fabrication de produits audio, un domaine dans lequel il ne connaissait rien. « J'ai toujours pensé que la technologie allait permettre aux gens d'écouter de la musique d'une meilleure façon, et qu'il fallait tout promouvoir par le biais d'un service de streaming », déclare Jimmy Iovine, qui, après avoir vendu des millions de casques, crée Beats Music, qui tombera rapidement dans l'escarcelle d'Apple pour devenir Apple Music.
Tout va pour le mieux, alors ? Non, « un problème se pointe pour le business du streaming, et a fortiori pour le business de la musique », prévient le ponte. «[Le problème], c'est la marge. Il n'y a pas d'économie d'échelle. Chez Netflix, plus vous avez d'abonnés, moins vos coûts sont élevés. Pour le streaming de musique, les coûts restent les mêmes », explique-t-il.
Et ce n'est pas le seul problème, selon lui :
Les services de musique en streaming sont des commodités — ils se ressemblent tous. Regardez ce qui marche pour la vidéo. Disney n'a rien d'autre que des contenus originaux. Netflix a une tonne de contenus originaux. Mais tous les services de musique en streaming sont les mêmes, et c'est un problème.
Un constat très amer pour celui qui a lancé Apple Music en 2015 et qui n'a manifestement pas réussi à l'emmener dans la direction qu'il aurait voulue. Jimmy Iovine, qui a quitté Apple à la fin de son contrat en 2018, a tenté en vain de jouer la carte des exclusivités pour démarquer Apple Music.
Le grand manitou imaginait que les utilisateurs allaient s'abonner à plusieurs services de musique, une situation qui pourrait se produire dans l'univers de la vidéo, les programmes étant en train de se fragmenter sur plusieurs services (Netflix, Disney+, Apple TV+…). Mais il n'a pas réussi à imposer sa stratégie.
L'exclusivité de l'album Blonde de Frank Ocean sur Apple Music en 2016 a mis le feu aux poudres. Écartée de la distribution par surprise, Universal a immédiatement répliqué en mettant fin à toutes les opérations d’exclusivité au niveau mondial. Bien qu'il s'en soit défendu après cette affaire, le plan de Jimmy Iovine était certainement de faire d'Apple une nouvelle maison de disques.
« Ce qui se passe quand quelque chose devient une commodité, c'est qu'une guerre des prix s'ensuit. Si vous pouvez obtenir exactement la même chose à côté pour moins cher, quelqu'un va se pointer et faire baisser le prix », prévient-il.
Pour éviter justement que les marges se réduisent, les maisons de disques chercheraient à faire remonter les prix des forfaits famille de Spotify (d'ailleurs plus strict sur les participants à un abonnement famille), Apple Music et des autres.
La bataille des exclusivités voulue par Jimmy Iovine pourrait bien se produire après tout, mais pas pour la musique : « Spotify tente sa chance avec les podcasts. Qui sait, ça marchera peut-être. Ce que fait Daniel Ek avec Spotify est extraordinaire. » Le service suédois a notamment signé un partenariat avec Barack et Michelle Obama pour un podcast exclusif. Apple ne voudrait pas se faire devancer et prévoirait de sortir le chéquier pour avoir également des podcasts en exclu sur sa plateforme.
Bien qu'Apple Music ne soit pas devenu complètement ce qu'il espérait, Jimmy Iovine en tire néanmoins une satisfaction, à savoir la proximité avec le public : « si j'étais toujours à Interscope, je serais inquiet de ne pas avoir de relation directe avec les consommateurs. Les artistes et les plateformes de streaming ont ce rapport direct. […] Les artistes ont maintenant quelque chose qu'ils n'avaient jamais eu auparavant, un moyen de communication massif et direct avec leur public. »
Reste qu'il n'aura pas réussi à imposer non plus Connect, le canal de communication intégré à Apple Music, qui a été débranché quelques mois après son départ.