Le kiosque à journaux Apple News+ est prévu en Europe mais lorsque cela se fera, il débutera par le Royaume-Uni. C'est tout ce qu'en a dit la Pomme à propos du Vieux Continent. Ce qui signifie que le jour où l'on verra cette app chez nous, elle aura peut-être évolué dans son interface et son fonctionnement.
Dès lors il ne s'agit pas de comparer de façon exhaustive Apple News+ à LeKiosk, mais de voir si le service d'Apple, dans sa forme actuelle, a de quoi rendre impatient un habitué des kiosques français. La réponse pourrait être : pas tant que ça.
L'hexagone est bien pourvu en matière de presse numérique (il y a aussi ePresse, SFR Presse…). On peut souscrire un abonnement directement ou retrouver ces catalogues de journaux et magazines au travers des forfaits des opérateurs internet. Apple n'arrivera pas en terrain vierge.
L'un des principaux acteurs est LeKiosk, avec l'app du même nom et sa formule illimitée regroupant 1 600 titres (le catalogue contient de la presse française mais aussi anglaise et italienne). Cette formule revient à 9,99 € par mois (0,99 € le premier mois d'essai) et il en va dans la presse numérique comme dans la musique en streaming, tout le monde s'est assis sur la marche de 10 € mensuels. Apple News+ coûte 9,99 $/mois aux États-Unis (pour 300 titres anglophones).
Une maison de la presse chez soi
Dans chaque service il y a foison de journaux et de magazines à lire, dans quantité de thématiques. Chacun aussi a ses grands absents. Ne cherchez pas Le Monde, ni Libération ou Le Figaro sur LeKiosk (ces deux derniers faisaient partie de l'offre auparavant, aujourd'hui on ne les trouve que lorsque LeKiosk est proposé par des tiers), pas plus qu'il n'y a le Washington Post ou le New York Times chez Apple. Les stratégies de développement sur le web des uns et des autres ne s'alignent pas forcément avec les politiques de ces plateformes de distribution (partage des revenus et des données abonnés).
Le service français a quelques grands titres nationaux comme Le Parisien, l'Équipe, Le Journal du Dimanche, de gros régionaux tels que Ouest France ou La voix du Nord, sans oublier des hebdos type Le Point et l'Obs mais pas l'Express. Et puis il y a beaucoup de mensuels spécialisés. Chez Apple on fait valoir le Wall Street Journal, TIME, National Geographic, The New Yorker, Wired, Elle, Fortune et tout ce qu'il faut pour suivre l'actu déco, ski, moto, fitness, cuisine, enfants…
Tous les titres n'y sont pas mais il y a tout de même beaucoup à lire pour un tarif plus que raisonnable. À la limite, ce n'est pas tant le choix qui fait défaut que le temps libre pour en profiter au maximum.
Interface(s) de lecture
Chacun s'efforce de présenter ces contenus d'une manière agréable pour la lecture sur écran. Le problème, si on peut le qualifier ainsi, est qu'il n'y a pas d'homogénéité entre les titres et parfois même entre les articles d'un même numéro. La faute en incombe aux éditeurs qui n'exploitent pas, quelle qu'en soit la raison, les outils disponibles.
Le cas le plus fréquent est celui du PDF, utilisé sur les deux services. Le contenu se lit en zoomant manuellement dans les textes et les images. Avec comme conséquences des visuels pas toujours dans la meilleure des définitions — c'est dommage quand la photo ou les illustrations sont une composante importante du titre — et une navigation fastidieuse.
Un exemple dans LeKiosk, avec le gros mensuel déco IDEAT où il faut constamment jouer du zoom pour plonger dans les textes. Pour ne rien arranger, certains de ces magazines ont une maquette où le texte est minuscule et tassé comme dans une assiette remplie d'un bourre-cochons.
Apple News+ a son lot de titres dans ce format PDF qui n'apporte pas de véritable valeur ajoutée face à la lecture sur papier. Zoomez dans les images de ces articles et la vue se brouille, les pixels surgissent.
S'il faut trouver un avantage aux numéros en PDF ce sont leur sommaires très visuels qui permettent de balayer le contenu. Exactement comme ces magazines qu'on feuillette rapidement en attendant que l'œil soit accroché par un sujet.
LeKiosk est plus malin qu'Apple News+ à cet égard. Le chemin de fer du magazine (la succession des pages qui le composent) est visible en bas de chaque article, comme une timeline que l'on peut faire défiler. Alors que chez son concurrent il faut taper sur la petite couverture qui apparaît dans le coin inférieur d'un article pour être ramené tout au début du numéro, dans son sommaire général, avant de pouvoir repartir ailleurs.
Le PDF n'est toutefois qu'un pis-aller, ces deux services proposent chacun leur format ou mode de lecture amélioré. Dans Apple News+ c'est le format de fichier Apple News qui améliore la présentation des textes, optimise la maquette en fonction de l'écran et autorise l'insertion d'éléments multimédias. La couverture animée de National Geographic montrée au lancement du service en est un bon exemple (on verra si les autres éditeurs suivent le mouvement).
La lecture optimisée grâce au format Apple News est proche de ce que l'on obtient dans Safari en passant une page web en mode lecteur. Texte et images se suivent, sans fioritures ni parasites, et on peut avoir des vidéos intégrées ou des effets visuels. On trouve aisément des magazines optimisés Apple News dans le catalogue.
LeKiosk n'est pas en reste pour rendre plus lisibles des articles, avec une fonction baptisée "Lecture Smart". Sa présence pour un article est signalée par une bulle bleue. Un tap et on bascule dans ce mode où les textes occupent mieux l'écran et où les photos peuvent être zoomées sans pertes trop visibles. Le soir, on peut choisir un mode sombre qui passe le texte en blanc sur fond noir.
Lorsqu'une page contient plusieurs articles lisibles en "Smart", ce mode demande de choisir. Et un sommaire dédié liste tous les autres articles disponibles sous cette forme.
Car la magie de cette présentation n'est pas partout présente. Au sein d'un même magazine on peut avoir des pages qu'il faudra zoomer et d'autres adaptées en Lecture Smart. La logique dans l'utilisation de cette présentation n'est pas criante.
Ci-dessous à gauche on aurait bien aimé en profiter tant le texte est dense mais ce n'est pas prévu. À défaut, l'app invite à aller directement aux prochains articles optimisés. Mais pourquoi eux — de formats pourtant plus courts — et pas le précédent ?
Puisqu'on est dans les griefs, celui-ci pour le format Apple News : la présentation des sommaires. Elle est d'une tristesse confondante : une simple liste de titres, sans mise en valeur d'un sujet plutôt qu'un autre. Les grands reportages sont au même rang que la petite rubrique mensuelle.
Les éditeurs peuvent faire mieux et c'est déjà en train d'évoluer. Il y a un avant et un après le lancement d'Apple News+. Par exemple avec National Geographic où l'on voit ci-dessous les trois dernières éditions.
À gauche, numéro de février, on avait du PDF. Au centre, pour l'édition de mars d'avant le keynote d'Apple c'est le format Apple News qui a été utilisé. Et tout à droite, pour le numéro montré durant le keynote, on voit que l'éditeur a soigné la présentation du sommaire et la couverture contient une photo animé. C'est vers ça que les éditeurs sont encouragés à aller.
Il arrive également qu'un éditeur améliore un numéro déjà sorti. Il y a quelques temps le dernier exemplaire du mensuel Variety se lisait en PDF. Puis d'un jour sur l'autre, il est passé par la moulinette du format Apple News qui profite aux articles les plus longs.
Enfin, dans les deux apps il y a moyen de retrouver rapidement les numéros ou éditions précédemment lus, et de mettre des articles de coté. Malheureusement ce n'est pas possible systématiquement là encore. Dans LeKiosk on ne rangera dans sa bibliothèque d'articles que ceux au format Smart Lecture, et chez Apple uniquement ceux formatés Apple News.
À l'usage il n'y a pas un service qui domine franchement l'autre. Apple News+ ne transcende pas l'expérience de lecture mais il semble plus facile de tomber sur des titres optimisés avec son format, que de numéros exploitant à fond le Smart Lecture de son concurrent. Chacun a ses atouts et ses inconvénients, avec comme point commun un catalogue où la lecture des titres oblige à une certaine gymnastique, selon que le contenu a été optimisé ou non.
On dispose de tablettes et de smartphones puissants, avec d'excellents écrans, tout est là pour que les contenus soient mis en valeur. Mais les éditeurs qui seront présents sur plusieurs plateformes vont-ils consacrer du temps et des moyens à optimiser leurs titres pour chacune ?
Apple, ce lointain concurrent
Est-ce que LeKiosk redoute l'arrivée d'Apple ? Déjà cette perspective est pour l'heure extrêmement floue. Si cela devait se faire en France, il faudrait d'abord juger sur le catalogue proposé, explique Antoine Duvignacq, chargé de la communication au sein du service français :
La construction d'un catalogue aussi riche passe par un travail permanent de relation de confiance avec les éditeurs partenaires pour donner aux utilisateurs la possibilité de choisir. C'est ce dernier point qui s'annonce être un vrai challenge pour Apple qui devra localement travailler ses relations et trouver des accords avec les différents éditeurs. Auront-ils la volonté de se concentrer sur des catalogues restreints ? Cela sera un vrai point de différence avec notre volonté de respecter la pluralité.
Quoi qu'il en soit, l'achat par Apple du service Texture pour concevoir Apple News+, puis son lancement le mois dernier, sont perçus sous l'angle du verre à moitié plein :
Nous accueillons la nouvelle de manière enthousiaste pour plusieurs raisons. Premièrement, c'est la preuve que LeKiosk a eu une intuition très forte fin 2006 en lançant un service de presse numérique alors même que l'iPhone, l'iPad et tout l'éco-système des applications n'existaient pas. Deuxièmement, l'arrivée d'Apple va permettre de démocratiser encore plus l'usage des services de presse digitale ce qui profitera aux autres acteurs.
Avant qu'Apple ne lance son kiosque en France, il faudra que son prédécesseur, Apple News tout court, et sa petite sélection quotidienne d'articles, sorte du cadre étroit de son widget sur iOS. C'est dire si la route risque d'être longue avant d'avoir un Apple News+ remplis d'une presse française.