Pour son doctorat, Hubert Léveillé Gauvin s’est intéressé à l’influence des services de streaming, comme Spotify ou Apple Music, sur la composition musicale. Ses conclusions ne sont pas très étonnantes : avec un catalogue de plusieurs dizaines millions de titres à leur disposition, les utilisateurs de ces services ont tendance à être plus sélectifs. Ils passent très rapidement au titre suivant s’ils ne trouvent pas un morceau suffisamment accrocheur et, consciemment ou inconsciemment, les artistes s’adaptent à ce nouveau contexte.
Le doctorant québécois a analysé environ 300 singles qui sont passés par le top 10 entre 1986 et 2015. Chaque morceau a été étudié et classé en fonction de cinq critères : longueur du titre, le tempo, le temps d’attente avant la première parole et celui avant d’entendre le titre et enfin le thème des paroles. Entre ces deux dates, il a observé une augmentation en moyenne du tempo de l’ordre de 8 %, mais ce n’est pas le changement le plus important.
L’impact le plus visible est en effet le temps d’attente avant d’entendre l’interprète chanter, la durée de l’introduction musicale pour le dire autrement. L’étude montre que cette durée a chuté entre 1986 et 2015, de l’ordre de 75 %. Au milieu des années 1980, il fallait attendre en moyenne 23 secondes pour entendre une syllabe ; au milieu des années 2010, il n’en fallait plus que cinq.
Hubert Léveillé Gauvin explique cette baisse par la nécessité de capter l’attention de l’auditeur le plus tôt possible. Plusieurs études ont déjà montré que la voix était toujours plus efficace pour cela que des instruments et dans un contexte où des millions de titres sont disponibles, c’est devenu un critère essentiel. Le chercheur évoque ainsi « l’économie de l'attention » et il reconnaît qu’il ne s’attendait pas à une chute aussi spectaculaire.
Tous les changements pointent d’ailleurs dans la même direction. Les titres sont aussi en moyenne plus courts aujourd'hui qu’il y a trente ans et ils se résument de plus en plus souvent à un seul mot. Par ailleurs, le titre est en général l’un des premiers éléments des paroles, alors que les morceaux des années 1980 faisaient patienter les auditeurs nettement plus longtemps.
Naturellement, il y a des exceptions à toutes les époques et l’étude évoque en guise d’exemple l’introduction de 20 secondes dans « Somebody That I Used To Know » de Gotye, un grand succès de 2012. Le jeune chercheur donne aussi deux archétypes : d’une part « Nothing's Gonna Stop Us Now » de Starship sorti en 1987 et d’autre part « Sugar » de Maroon 5, un tube de 2015.
Source : Les Echos