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Tintin au pays de l'iBooks Store

Mickaël Bazoge

mercredi 18 janvier 2017 à 14:30 • 20

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En 1929, le quotidien Le Petit Vingtième envoyait son meilleur reporter, Tintin, enquêter au pays des Soviets. Une aventure qui a marqué le début d’une des plus grandes réussites de la bande-dessinée mondiale. Le reporter à la houpette n’a ensuite jamais cessé de parcourir le monde (et même la Lune !), avec 24 albums qui ont traversé le 20e siècle. Si l’on connait l’œuvre de Hergé sous leur forme classique — le papier —, la société Moulinsart mise aussi sur le numérique.

Cette entreprise, qui veille jalousement sur l’héritage d’Hergé, a créé Tintin.com en 1995. « À l’époque, vous pouviez compter le nombre de sites web français sur les doigts d’une main ! », explique avec une pointe de fierté Yves Février, en charge du multimédia chez Moulinsart. Au printemps 2013, l’application Les Aventures de Tintin apparaissait sur l’App Store pour permettre aux utilisateurs d’iPhone et d’iPad de lire dans les meilleures conditions l’œuvre complète du dessinateur.

L’événement de ce début d’année a bien sûr été la sortie d’une nouvelle version de Tintin au pays des Soviets. Non seulement cet album passe du noir et blanc à la couleur, mais encore il est disponible sur l’iBooks Store, une première pour Moulinsart… et pour Apple. Nous avons profité de l’occasion pour discuter avec Yves Février et Michel Bareau, directeur artistique, qui s’est occupé de la colorisation de l’album.

Comment est venue l’idée de coloriser cet album ?

C’est au cours d’essais dans notre laboratoire de recherche et de développement que nous nous sommes dit qu’on pouvait essayer de coloriser Tintin au pays des Soviets. Nous avons étudié les tons et la manière de le faire, et on a sorti sept ou huit planches. Les ayants droit [d’Hergé] ont adhéré à l’idée, mais ce n’était pas du tout dans l’intention de publier. Puis ils ont donné leur accord pour l’ensemble de l’album. L’engrenage a commencé à tourner !

Comment a été définie la palette de couleurs ?

Notre position, c’est que cela ne sert à rien d’essayer de se mettre dans la palette utilisée par Hergé pour les autres albums de la collection papier. En 1929 [année de sortie de l’album, NDLR], il n’avait pas établi sa méthode de coloriage et il n’avait pas de palette, à part pour la couleur des vêtements de Tintin qu’il avait fait figurer pour une gouache de couverture : du bleu, des bottes rouges, un ton chair pour la peau et les cheveux entre le blond et le blond vénitien.

En partant du principe qu’on ne faisait pas un coloriage mais bien une colorisation, on prenait une distance par rapport au côté « sacré » de l’œuvre classique, qui est une œuvre « fermée ».

Techniquement parlant, comment s’est déroulé le travail de colorisation ?

Nous avons travaillé à partir du maximum d’originaux que nous possédions. Environ 80% des originaux ont été numérisés en 2 540 DPI. Nous avons réalisé le montage des originaux dans InDesign, donc 138 planches. La colorisation a été effectuée dans le livre, planche par planche. Cela nous a permis de travailler par séquences et double-pages. Les Mac ayant beaucoup évolué au niveau de la rapidité, du rafraîchissement de l’image et des transmissions, nous avons pu nous permettre une colorisation en haute résolution.

Y a-t-il eu un travail d’adaptation spécifique pour la version numérique ?

Pour la version numérique, Apple est partie des fichiers InDesign natifs qui ont servi à la version papier, et dans laquelle on a pris en compte les tons, la matière et le rendu du papier. Nous avons réalisé beaucoup de tests d’impression sur différents papiers.

Le traitement numérique a été réalisé par Apple, qui s’est chargée de la génération du fichier ePub destiné à l’iBooks Store. Pour la version disponible dans notre application, nous sommes partis des fichiers natifs également, que nous avons traités et intégrés [chez Moulinsart].

Pour Apple, c’était une première… et pour nous aussi. Il y a un important savoir-faire d’Apple pour l’ePub. Ils ont, comme nous, des exigences de qualité très élevées. La qualité obtenue par Apple sur la base de nos fichiers natifs se voit et se démontre quand on agrandit une case sur un écran de 32 pouces ! Il n’y a aucune perte, aucune pixellisation, ce qui est difficile à obtenir avec nos outils de conversion ePub, ou ceux intégrés à InDesign.

C’est la première fois que nous travaillons avec des fichiers natifs, que ce soit pour l’iBooks Store ou la collection disponible dans l’application. Avec les autres albums de Tintin, nous n’avons pas cette chance, nous ne travaillons pas avec des fichiers aussi « purs ».

Pour la série des albums classiques, nous partons des films qui ont servi à l’impression offset pendant la deuxième moitié du 20e siècle chez Casterman. Ils ont été numérisés avec des scanners spéciaux. C’est complètement différent comme matériel de départ.

Avez-vous l’intention de proposer le reste de la collection Tintin sur l’iBooks Store ?

Nous devons voir avec Apple. Avec Tintin au pays des Soviets, nous avons une sorte de modus operandi centré sur trois ou quatre objectifs. Nous allons les analyser, et si l’album les remplit, il y a de fortes chances pour que nous allions plus loin dans notre stratégie iBooks Store.

Nous voudrions mettre en place un pont entre l’iBooks Store et l’App Store, pour faire en sorte qu’un lecteur ayant acheté un livre iBooks puisse le retrouver dans notre application, et inversement. Nous en discutons actuellement avec Apple.

Tintin au pays des Soviets est également disponible sur le Play Store. Vos relations avec Google sont-elles de même nature qu’avec Apple ?

Nous avons des relations avec l’un et avec l’autre. Le lancement de la version colorisée de Tintin au pays des Soviets, tant du point de vue papier que numérique, répond à une stratégie relativement originale. Nous avons travaillé sur plusieurs terrains, en particulier le numérique, nous pensons que c’est important dans une démarche globale.

À ce propos, la version anglaise de l’album colorisé n’existe qu’en numérique, distribuée sur l’App Store et le Play Store.

Comment a été accueillie la version numérique de cet album ?

Il y a deux types d’accueil, l’accueil médiatique qui a été phénoménal, et puis il y a l’accueil des lecteurs. À voir les commentaires sur les différentes plateformes, et les différents retours que nous avons reçus, c’est très positif.

Illustration bandeau : © Hergé - Moulinsart 2017

Quelle stratégie numérique pour Tintin ?

On peut l’applaudir ou le regretter, mais aujourd’hui le premier contact avec une œuvre, comme une bande dessinée par exemple, passe par le numérique. « Si vous n’existez pas numériquement, à terme vous disparaitrez, même si vous continuez à exister physiquement. C’est un principe qui a convaincu tout le monde ici, même si économiquement, c’est encore marginal », explique Yves Février.

La stratégie numérique de Moulinsart repose d’abord sur l’application mobile, disponible sur iOS comme sur Android. On y retrouve toute l’œuvre d’Hergé : Tintin bien sûr, mais également Quick et Flupke, ainsi que Jo, Zette et Jocko. Au fil des achats d’albums, le lecteur débloque de petites figurines pour décorer sa bibliothèque virtuelle !

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Un des objectifs de cette application est de proposer « toutes les langues en un seul endroit », ambitionne Yves Février. « Il n’y a pas un point de vente quelque part dans le monde qui vous offre la possibilité — tant physique que numérique — d’acquérir Tintin dans toutes les langues possibles et imaginables dans lesquelles les albums ont été traduits ».

Une poignée de langues sont aujourd’hui disponibles, le français et le néerlandais bien sûr, mais aussi l’anglais et le japonais sous la forme d’achats intégrés. L’application comprend aussi des pistes audio, elles aussi à acquérir via des micro-paiements. « Il y a trois manières d’adapter l’œuvre à l’audio : l’adaptation littérale, qui est simplement l’enregistrement audio des phylactères. Il y a l’audio pour l'accessibilité, qui est un petit peu différent du précédent. Et il y a l’audio dramatisé », détaille le responsable du multimédia à Moulinsart.

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« Nous avons tout un stock en français avec l’INA que nous allons mettre en valeur. Il existe des possibilités en anglais, mais il faut voir avec la BBC, ce qui est un peu plus compliqué. Nous sommes aussi en cours de production avec France Culture et la Comédie Française pour six nouvelles adaptations radiophoniques ». Un travail de fourmi et de titan à la fois, qui va demander plusieurs années d’efforts et de négociations !

Moulinsart entend aussi développer le « rich media » afin d’offrir une expérience de lecture enrichie : « Il s’agit d’ajouter une couche apportant des éléments supplémentaires en rapport avec l’œuvre », tout en respectant bien évidemment l’intégrité des albums. « Nous voulons mettre en place un écosystème numérique qui permette à l’utilisateur d’accéder à notre contenu, quels que soient sa plateforme et ses appareils », conclut Yves Février.

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