Avec des catalogues qui contiennent plus de 30 millions de morceaux, il est humainement impossible de faire le tour des contenus proposés par les services de streaming. Pour se différencier les uns des autres, Apple Music, Spotify et consorts jouent volontiers la carte de l’exclusivité, mais ce n’est pas suffisant. Pour attirer les amateurs de musique, ces services ont mis en place de petites armées de spécialistes chargées de créer des listes de lecture « à la main ».
« Il n’est pas question de projeter nos opinions personnelles », explique dans un très long article de Buzzfeed Scott Plagenhoef, le grand manitou des playlists à Apple Music. « Il s’agit d’être de bons bergers et de bons stewards, en taillant dans ce vaste catalogue ». Les listes de lecture personnalisées, c’était le cheval de bataille de Jimmy Iovine à l’époque où Apple Music s’appelait Beats Music.
Lors de l’acquisition de Beats, Tim Cook expliquait qu’il avait craqué pour ces playlists, plus sans doute que pour les casques eux mêmes. Les trois milliards de dollars versés pour acheter le constructeur ont surtout servi à récupérer l’équipe « très rare et difficile à trouver » d’experts musicaux chargés de la conception de ces playlists. L’équipe de Spotify compte une cinquantaine de chasseurs de musique, Apple Music des « dizaines » d’employés à plein temps, Google Play Music une vingtaine de spécialistes, dans ce qui ressemble au meilleur des boulots au monde.
Le service d’Apple propose actuellement 14 000 listes de lecture personnalisées, contre des « dizaines de milliers » chez Google Play Music et 4 500 chez Spotify. À la décharge de Spotify, les listes de lecture d’Apple Music sont beaucoup plus courtes. L’article donne aussi quelques chiffres qui démontrent, s’il en était besoin, l’incroyable attrait des utilisateurs de Spotify pour certaines des listes de lecture mises au point par le service : Today’s Top Hits dénombre 8,6 millions d’auditeurs, Rap Caviar 3,6 millions, Baila Reggaeton 2,5 millions. Globalement, une trentaine de playlists comptent plus d’un million d’abonnés.
Spotify a indiqué que plus de la moitié de ses 100 millions d’utilisateurs écoutent ces listes de lecture, ce qui génère plus d’un milliard d’écoutes chaque semaine. Sur l’ensemble des services de streaming, un morceau écouté sur cinq provient d’une playlist créée par un humain.
À chaque service de streaming sa petite tambouille technique. Chez Spotify, on utilise une boîte à outils propriétaire baptisée "Keanu", en relation avec l’acteur héros de la trilogie « Matrix ». PUMA, pour Playlist Usage Monitoring and Analysis, est une des applications qui sert le plus : elle permet d’obtenir des statistiques très précises concernant le nombre de lecture, de "skips", de sauvegarde des morceaux dans une liste de lecture. Cela permet de connaitre les titres qui fonctionnent ou pas et d’affiner la sélection dans les playlists.
Chez Google Play Music, on se sert d’un outil équivalent dans lequel chaque morceau possède un "score" lié à son nombre de lectures, de "skips", de j’aime/j’aime pas. Les experts des playlists accèdent à ces informations avec un logiciel appelé Jamza, qui recommande tel ou tel morceau à ajouter à une liste. Mais il ne s’agit que d’une aide à la sélection : en bout de course, c’est l’humain qui choisit quel morceau fera partie de telle ou telle playlist. Il s’agit, après tout, d’établir une différence sur un marché où tout le monde propose le même contenu.