Le retrait par Taylor Swift de sa discographie sur Spotify a remis en lumière les difficultés éprouvées non seulement par les artistes pour récolter les fruits de leur travail, mais aussi par les services de streaming pour tirer leur épingle du jeu dans un secteur où les maisons de disques engrangent la majorité des revenus. L'Adami, qui gère les intérêts des artistes-interprètes, a ainsi publié une pleine page de publicité dans Le Monde appelant à partager équitablement les revenus générés par les services web (sur un abonnement à 9,99 euros par mois, l'artiste ne récupère que 0,46 euros). La rémunération des auteurs-compositeurs-interprètes est un peu plus étoffée : ces derniers touchent en moyenne 14,6% d'un forfait chez Deezer ou Rdio.
Les gagnants du secteur sont surtout les labels, qui exigent notamment des plateformes de streaming un minimum garanti qui n'entre pas dans le calcul des relevés d'exploitation des chansons. L'Adami va mettre sur pied une « coalition internationale » qui poussera l'industrie à se montrer plus équitable envers les artistes; parmi les solutions envisagées, « la perception directe de la part artistes via la gestion collective ».
De son côté, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Daniel Ek, le fondateur et CEO de Spotify, est d'accord avec Taylor Swift. Dans un long billet paru sur le blog de l'entreprise, il écrit que « l'art a une vraie valeur, et les artistes méritent d'être rémunérés pour cela ». Le débat autour de l'argent que générerait Spotify sur le dos des artistes l'exaspère au plus haut point, alors que la société a versé depuis 2008 deux milliards de dollars (dont un milliard rien que l'an dernier) aux artistes, maisons de disques, éditeurs et sociétés de collecte. Une somme que personne n'aurait obtenu avec le piratage, assure à grand trait le patron de Spotify.
Un des soucis auxquels est confronté Spotify est l'industrie de la musique elle-même : « Si l'argent n'irrigue pas la communauté créative d'une manière transparente et opportune, c'est un gros problème ». Ek travaille avec les maisons de disques afin d'accélérer le rythme des paiements, mais il souligne que Spotify est le principal moteur de croissance du secteur de la musique, et un des plus importants pourvoyeurs de revenus.
Daniel Ek défend le modèle freemium mis en place par la société, qui propose une offre gratuite financée par la publicité (dont les revenus sont reversés à l'industrie). « Si nous voulons amener les gens à payer pour de la musique, nous devons concurrencer le tout gratuit [piratage, radio, YouTube] pour attirer leur attention ». Ce n'est qu'après les avoir ferrés que ces auditeurs sont susceptibles de passer à la caisse. Ce modèle connait un certain succès : Spotify compte 50 millions d'utilisateurs actifs, dont 12,5 millions sont des abonnés payants à 120$ par an (plus de 80% des utilisateurs du service ont commencé avec l'offre gratuite). La majorité de ces utilisateurs sont âgés de moins de 27 ans, soit « des fans qui ont grandi avec le piratage » et dont on n'imaginait pas qu'ils allaient un jour payer pour écouter de la musique.
Les règlements versés par Spotify à l'industrie sont souvent pointés du doigt : les montants seraient insignifiants. Le patron de l'entreprise s'élève contre cette idée reçue et rappelle que les revenus générés par les écoutes des chansons de Taylor Swift (avant qu'elle retire son catalogue de Spotify), avoisinent les 6 millions de dollars par an. Enfin, les structures mêmes de l'industrie de la musique ont évolué : le seul artiste à avoir dépassé le million d'albums vendus cette année est… Taylor Swift, avec 1,2 million de sa dernière galette (1989), en une semaine. Les habitudes d'écoute des consommateurs ont changé, et tous les nouveaux morceaux de Swift sont aujourd'hui largement disponibles à l'écoute complètement gratuite, que ce soit via YouTube ou SoundCloud, ou encore sur les sites de piratage (1989 figure en bonne place dans les fichiers les plus populaires sur Pirate Bay). Sur Spotify, l'artiste aurait reçu une rémunération pour chaque écoute…