Utiliser un iPod en 2023, pourquoi pas, mais lequel ? Alors qu’il fut le premier modèle à disparaitre, trois ans avant l’iPod nano et huit ans avant l’iPod touch, l’iPod « classique » est plus populaire qu’il n’a jamais été. Son boitier de la taille d’un paquet de cartes autorise toutes les fantaisies, et une poignée de bidouilleurs s’attache à donner un second souffle à ce modèle increvable.
La cinquième c’est (de) la bonne
De tous les iPod « classiques », l’iPod classic n’est pas le plus recherché. Avec leur construction entièrement métallique mêlant acier inoxydable brillant au dos et aluminium anodisé en façade, les modèles de sixième et septième génération produits entre 2007 et 2009 représentent certes l’aboutissement de la lignée, mais le modèle de cinquième génération présenté en octobre 2005 et son successeur de cinquième génération « et demie » commercialisé en septembre 2006 sont « les favoris des amateurs » selon Austin Lucas.
Le fondateur de la boutique Elite Obsolete Electronics, qui vend « entre 2 500 et 3 000 iPod par an », explique que la plupart de ses clients sont « des utilisateurs de l’iPod de longue date, qui gèrent leur musique avec iTunes depuis dix ou vingt ans, et ont dépensé des sommes folles dans l’iTunes Store. » Quand leur vieux baladeur finit par rendre l’âme, « ils achètent un autre iPod au lieu de passer à Spotify ou Apple Music, c’est plus simple ». Ce public exigeant affectionne particulièrement l’iPod 5,5G.
Certains vous diront que son DAC fabriqué par Wolfson Microelectronics, flanqué d’une paire de condensateurs, sonne mieux que le circuit intégré fourni par Cirrus Logic pour les générations suivantes. Mais personne n’échangerait le DAC de l’iPhone 14 Pro, toujours fabriqué par Cirrus Logic1, contre celui de l’iPod 5,5G ! Les puces de l’époque souffraient d’un niveau élevé de bruit de fond, un chuintement clairement audible à faible volume, qui n’était pas sans rappeler le « tchhhhhh » des bonnes vieilles cassettes.
À vrai dire, une partie de la nostalgie pour ce composant pourrait résider dans son niveau relativement élevé de distorsion à fort volume, un défaut qui peut sonner comme une qualité si l’on apprécie un son chaud aux qualités « analogiques ». L’iPod classic pouvait sembler froid et distant en comparaison, d’autant que la première fournée a souffert d’un usage un peu trop vigoureux des filtres en peigne. L’impression est restée, et l’iPod 5,5G a gagné une réputation de musicalité qu’il n’avait pas à l’époque.
Alors que l’iPod classic peut se prévaloir d’une interface dynamique mettant en valeur les jaquettes des albums, l’iPod 5,5G doit se contenter d’une version colorisée du système de l’iPod original. C’est un mal pour un bien : il utilise l’une des dernières versions du système d’exploitation qui ne soient pas signées numériquement et puissent dont être aisément remplacée par un firmware de tierce partie comme Rockbox.
L’iPod 5,5G est plus ouvert aux bidouilles logicielles… et plus facile à ouvrir. Seuls les bidouilleurs les plus aguerris peuvent se frayer un chemin au sein du boitier métallique de l’iPod classic sans laisser de traces, alors qu’un bricoleur vaguement adroit peut ouvrir les anciens modèles en deux coups de spudger. Ce qui ne veut pas dire qu’il doive le faire lui-même.
La petite industrie de l’iPod
Une petite industrie s’est organisée autour de la récupération de vieux iPod, dont les pièces peuvent être combinées pour reconstituer un « nouveau » modèle. « Une bonne partie des pièces que je vends sont simplement extraites d’exemplaires fonctionnels ou cassés », explique Austin Lucas, « la plupart devenant extrêmement difficiles à trouver. » La carte-mère et la structure interne proviennent impérativement d’un modèle ayant connu une première vie.
Toutes les autres peuvent maintenant être remplacées par des pièces « compatibles », pour ne pas dire contrefaites, venant de Chine. Vous souvenez-vous de l’étrange iPod+HP ? Vous pouvez réaliser le rêve de Carly Fiorina en achetant un dos entièrement bleu. Vous regrettez encore d’avoir vendu votre GameBoy Advance ? Choisissez une façade violette et une molette grise ! Les nostalgiques de l’iMac G3 préfèreront les pièces transparentes et les fans de Bono n’ont pas été oubliés.
La batterie en forme de paquet de chewing-gum atteint maintenant 1 200 mAh, le double de la capacité originale, et des modèles occupant toute la place disponible peuvent quintupler l’autonomie du baladeur. Pour dégager de l’espace et assurer la fiabilité à long terme de l’appareil, les bidouilleurs ont pris l’habitude de retirer le disque dur de 1,8", et tant pis s’il s’agit d’un morceau d’histoire de l’informatique.
L’ingénieur britannique Tarkan Akdam a conçu de petits adaptateurs, vendus sous la marque iFlash, permettant de le remplacer par une carte mémoire. Les cartes Compact Flash disparaissant à leur tour, mieux vaut privilégier les modèles pouvant accueillir une, deux, voire quatre cartes SSD. Les mélomanes souhaitant embarquer des centaines de gigaoctets de musique privilégieront le modèle adapté aux barrettes de mémoire NAND au format M.2, plus énergivores mais moins chères au gigaoctet.
Un iPod avec… Spotify ?
Dans un monde parallèle où Apple vend toujours l’iPod, vous pouvez acheter un modèle doré avec 1 To de stockage et une batterie à l’avenant. Dans ce monde-ci où Apple ne vend plus l’iPod depuis bientôt dix ans, plus rien ne vous empêche d’en construire un vous-même. Mais pourquoi vous en contenter, quand vous pourriez concevoir un iPod avec 2 To de stockage, une puce Bluetooth et une application Spotify ?
Wade Nixon, qui officie sur YouTube sous le nom de DankPods, s’est donné comme mission de trouver les limites de l’iPod avec les adaptateurs iFlash. Après avoir prouvé que le système d’exploitation de l’iPod pouvait gérer 1 To de stockage avec quatre cartes SD de 256 Go et 2 To de stockage avec quatre cartes de 512 Go, il s’est cassé les dents sur les limites du système d’organisation des données utilisé par l’iPod en essayant de combiner quatre cartes de 1 To2. Le bidouilleur australien ne s’est pas laissé abattre, puisqu’il a depuis expérimenté avec les barrettes au format M.2.
Pendleton115, autre bidouilleur australien qui s’était fait connaitre en transformant un iMac G4 en moniteur externe, est passé maitre dans la modernisation des iPod. Après avoir réussi à incorporer une puce Bluetooth en transformant le commutateur de verrouillage en bouton d’appariement, il a repoussé les limites en ajoutant une bobine de recharge par induction ! D’autres se sont amusés à caser un Taptic Engine dans le boitier, parce que pourquoi pas.
Il convient bien de parler de bidouille : « les iPod avec une grande capacité de stockage ou une puce Bluetooth n’atteignent malheureusement pas mon standard de qualité », explique Austin Lucas, qui ne les a pas vendus longtemps, la faute à « un taux préoccupant de pannes ». Et encore, ce n’est rien face aux bricolages de fortune réalisés sans la moindre préoccupation pour une certaine authenticité.
Guy Dupont n’a pas hésité à vider son iPod pour — sacrilège ! — installer un Raspberry Pi Zero W faisant tourner — enfer et damnation ! — un client Spotify. C’est un cauchemar de collectionneur, mais vous ne pouvez pas nier que c’est très amusant, et c’est finalement ce qui garantit la production continue de pièces détachées. Tant qu’il sera toujours aussi attachant, l’iPod ne sera pas complètement mort.
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Ironie de l’histoire : Cirrus Logic, qui n’a cessé de renforcer ses liens avec Apple, a fini par acheter Wolfson Microelectronics au moment même où l’iPod classic disparaissait. L’entreprise texane fournit toutes les puces impliquées dans le traitement du signal sonore, mais aussi le contrôleur du Taptic Engine (et des boutons haptiques du futur iPhone 15 Pro), ainsi que la puce responsable du système de réduction active du bruit des AirPods. ↩︎
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Oui, c’est un peu technique. Avec des secteurs de 512 octets, les tables de partition APM et MBR gérées par le système d’exploitation de l’iPod ne peuvent pas adresser plus de 2,2 To (2^32 × 512 octets), ce qui explique qu’elles soient maintenant délaissées au profit de la table de partition GUID. ↩︎