C'est dans le courant de la semaine prochaine que le jury du procès sur les DRM d'iTunes donnera son verdict, au terme d'un procès singulier : les huit jurés et la cour ont pu consulter un témoignage vidéo de Steve Jobs tourné six mois avant son décès (les médias voudraient bien pouvoir la diffuser), tandis que certaines conversations du fondateur d'Apple ainsi que les révélations techniques entourant la gestion des fichiers musicaux incompatibles avec le DRM FairPlay ont pu soulever de sérieuses questions sur de potentielles pratiques anti-concurrentielles du créateur de l'iPod. Mais tout cela a été réalisé à la demande de l'industrie du disque, ont martelé les avocats d'Apple et Eddy Cue.
Mais le plus étonnant, c'est que les avocats en charge du recours collectif ont perdu tour à tour leurs deux principales plaignantes, dont les iPod ont été achetés en dehors de la période visée par la procédure (entre 2005 et 2009, année durant laquelle les DRM sur la musique ont été abandonnés) ! La juge Yvonne Gonzales Rogers a toutefois décidé de laisser le procès suivre son cours, même si rien n'empêche que tout le processus judiciaire, vieux de dix ans maintenant, peut capoter. La juge a été sensible à l'argument selon lequel 8 millions de consommateurs ont pu souffrir des pratiques d'Apple dans ce domaine. Il n'empêche : voir les plaignantes à l'origine de la class action déboutées est plutôt embêtant quand on réclame des réparations à hauteur de 350 millions de dollars, une somme qui pourrait tripler en vertu des lois antitrust.
Toutes les preuves sont désormais sur la table, dans un camp comme dans l'autre. Les représentants d'Apple ont cependant encore besoin d'une journée pour finaliser une poignée de documents de dernière minute. Mais la décision du jury tombera sans aucun doute la semaine prochaine. Les débats ont principalement tourné autour de deux mises à jour d'iTunes et d'iPod qui bloquaient la synchronisation et la lecture de fichiers musicaux protégés par les DRM Harmony de Real Networks, un verrou numérique conçu par l'éditeur afin de faire en sorte que les documents Harmony puissent être lus sur un iPod. À l'époque, il n'était pas encore question qu'une boutique vende des fichiers musicaux sans DRM…
Un des arguments des avocats du recours collectif devrait être assez facilement battu en brèche : ces derniers estiment en effet qu'Apple a pu augmenter les prix de ses baladeurs grâce aux techniques mises en place pour bloquer la lecture de fichiers protégés par des DRM autres que FairPlay. Les représentants de la Pomme se sont avancés à la barre avec quelques solides arguments à faire valoir : de 2006 à 2009, les iPod se sont non seulement améliorés en matière de fonctionnalités, mais leurs prix ont également baissé.
Mark Donnelly, qui a travaillé avec Phil Schiller au marketing (il est à la retraite depuis le mois d'octobre) s'est rappelé être tombé sur un Jeff Williams, vice-président en charge des opérations, très emballé par l'idée d'avoir sous la main des disques contenant le double de stockage par rapport à ce qui était prévu pour l'iPod nano, pour le même prix. Or, Apple avait déjà commencé le processus de production du baladeur, sans les nouveaux composants. Après en avoir parlé avec Schiller, le constructeur a décidé de lancer la fabrication d'iPod nano avec le disque offrant le double de capacité de stockage, la production précédente ayant été écoulée sur des marchés plus petits à un prix moins élevé que prévu.
Ce témoignage nous apprend également qu'Apple n'agissait pas dans une tour d'ivoire au moment de décider des prix de ses produits. Des réunions avaient régulièrement lieu entre dirigeants, afin de comparer les fonctions et les tarifs des baladeurs concurrents, la décision devant tout à la fois respecter l'état du marché et les marges d'Apple sur ses produits.
Un autre témoignage d'un professeur d'une université de Chicago, a expliqué que l'écosystème iTunes + iPod n'était finalement pas si différent de celui des consoles de jeux : il est impossible de jouer à un titre PlayStation sur une Xbox, même si les noms des jeux sont les mêmes. Et personne n'y trouve rien à redire.
Rod Schultz, ancien ingénieur chez Apple, a apporté un témoignage qui ne fera sans doute rien pour calmer la fureur de ceux qui estiment que le constructeur a abusé de sa position dominante. Il a expliqué à la barre avoir travaillé sur un projet visant à « bloquer 100% des clients anti-iTunes » et à empêcher les logiciels tiers de fonctionner avec l'iPod. « Candy », nom de code de ce projet, a été intégré au sein d'iTunes et de l'iPod. L'ingénieur, parti chez Adobe en 2008 pour plancher sur les DRM de l'éditeur, a aussi déclaré qu'Apple avait toujours en tête la sécurité de ses utilisateurs et que ces mesures de protection reflétaient le paysage de l'industrie musicale à l'époque.