Apple n’a sans doute pas investi 578 millions de dollars dans la production de saphir synthétique uniquement pour l’objectif ou le bouton d’accueil des iPhone. En finançant l’usine arizonienne de GT Advanced Technologies (GTAT), la firme de Cupertino semble plutôt préparer l’après-Gorilla Glass pour les écrans de ses futurs appareils iOS ou d’une éventuelle iWatch.
Une perspective qui fait trembler Corning, le fabricant américain de ce verre « renforcé » utilisé par Apple depuis le premier iPhone. Effrayé à l’idée de perdre un de ses plus gros clients (et à sa suite ses concurrents bien inspirés), le vice-président de la société, Jeffrey W. Evenson, a récemment attaqué le saphir synthétique :
Qu’est-ce que diraient les gens si quelqu’un inventait un revêtement deux fois plus léger que le saphir, dont la fabrication requiert 99 % d’énergie en moins, qui donne des écrans plus clairs et coûte le dixième ? Je pense qu’ils diraient que le saphir est en difficulté. Il se trouve que chez Corning, nous avons déjà inventé ce revêtement, et il s’appelle Gorilla Glass.
Interrogé par TechCrunch, Matthew Hall, directeur du Center for Advanced Ceramic Technology de l’université d’Alfred, confirme en partie ces affirmations. Le saphir synthétique est 1,56 fois plus dense que le Gorilla Glass (3,98 g/cm³ contre 2,54 g/cm³), et son indice de réfraction est légèrement supérieur (environ 1,76 contre environ 1,5). Toutes choses par ailleurs égales, le verre alumino-silicaté de Corning sera donc plus léger et plus « clair » que le cristal synthétique.
Mais le cristal de saphir est beaucoup plus résistant que le Gorilla Glass, un point qu’Evenson se garde évidemment de mentionner. La ténacité du saphir synthétique est quatre fois supérieure à celle du Gorilla Glass, ce qui veut dire qu’il peut résister à des chocs quatre fois plus forts avant de casser. Poids et qualité optique contre résistance aux rayures et aux chocs, le choix est clair — mais l’investissement d’Apple pourrait lui permettre de ne pas choisir.
La firme de Cupertino a prêté plus d’un demi-milliard de dollars à GTAT pour lui permettre d’« accélérer le développement de sa technologie Advanced Sapphire Furnace […] pour produire du saphir synthétique en volume et à bas coût ». Une technologie, dixit GTAT, « idéale […] pour les marchés qui requièrent le saphir synthétique de meilleure qualité, comme les écrans ». En multipliant par vingt sa capacité de production, GTAT est en mesure de faire baisser drastiquement le coût du saphir synthétique, pour le moment trois à quatre fois supérieure à celui du Gorilla Glass.
Un prix qui pourrait encore baisser si les deux sociétés réussissent à combiner leurs technologies les plus avancées. Apple a quant à elle breveté un mécanisme permettant de coller une couche de saphir synthétique à un écran suffisamment rapidement et efficacement pour convenir à la production de l’iPhone. Grâce aux technologies d’un fabricant de panneaux photovoltaïques qu’elle a acheté, GTAT est quant à elle capable de fabriquer des feuilles de saphir synthétique de moins de 100 micromètres d’épaisseur. Collées à un substrat en verre renforcé, elles permettent de fabriquer des dalles composites à la fois légères et résistantes aux rayures, abordables et de bonne qualité.
L’investissement dans des technologies clefs est un volet méconnu mais stratégique de l’activité d’Apple. La firme de Cupertino n’assèche pas seulement les canaux de distribution de quelques composants cruciaux (mémoire vive, SSD, écrans haute résolution) pour s’en assurer une exclusivité temporaire. Elle maîtrise aussi les moyens de production pour s’assurer une exclusivité durable : ses concurrents ont eu toutes les peines du monde à passer à la construction monocorps… puisqu’elle avait verrouillé la production des machines-outils nécessaires.
Apple rapatrie de nombreuses activités non seulement en interne, mais en plus sur le sol américain où les fuites seront peut-être moins nombreuses. Tout indique qu’elle compte faire de même avec le saphir synthétique — ce qui indique au passage qu’elle le considère comme un composant stratégique pour de futurs produits, comme une éventuelle iWatch.