En septembre 2010, Skyhook Wireless attaquait Google, l'accusant de lui mettre des bâtons dans les roues et de violer certains de ses brevets. Bien qu'Android soit censé être ouvert, Google a semble-t-il tout fait pour que Skyhook ne puisse y proposer ses services de géolocalisation. En trame de fond, la question de la maîtrise des outils de géolocalisation et des bases de données qui y sont associées.
Skyhook Wireless fournit un système de localisation par triangulation WiFi. Le positionnement GPS est extrêmement précis, mais l'acquisition de la position est lente, voire parfois impossible avec les smartphones dans les zones urbaines. Le réseau cellulaire sait en tout temps où sont positionnés les téléphones, mais la précision est plutôt faible, entre 200 et 1 000 mètres. L'idée de Skyhook est d'utiliser les bornes WiFi pour obtenir une localisation presque aussi précise qu'avec le GPS, et presque aussi rapide qu'avec les relais cellulaires.
Depuis 2003, Skyhook construit donc une base de données à l'aide d'une armée de petites mains se baladant avec un boîtier GPS/WiFi. Ce boîtier permet d'associer à toute position GPS les différentes bornes WiFi environnantes, identifiées par leur SSID (près de 30 millions de bornes référencées). De cette manière, si un smartphone capte le signal de telle ou telle borne, il peut en déduire, par triangulation des bornes WiFi, sa position approximative (10 à 20 mètres).
Triangulation WiFi (WLAN Book)
Skyhook loue cette base de données contre espèces sonnantes et trébuchantes : Apple a été un de ses premiers clients d'envergure lors du lancement de l'iPhone. Samsung et Motorola se sont aussi portés acquéreurs d'une licence — du moins avant qu'ils ne passent à Android. Depuis, en effet, ils utilisent les services de Google, concédés gratuitement — ou presque. Chaque smartphone utilisant le service de triangulation WiFi de Google se transforme lui-même en traceur effectuant les relevés, grossissant d'autant la base : l'enjeu est le contrôle total de la chaîne de localisation.
Apple l'a bien compris : depuis avril 2010, elle s'est passée elle aussi de Skyhook, utilisant désormais sa propre base enrichie chaque jour des données envoyée par la centaine de millions d'appareils iOS dotés d'une puce GPS (iPhone et iPad 3G). Skyhook a parfaitement résumé la position d'Apple et de Google : « tous ceux qui ont une plateforme veulent contrôler la partie la plus grande possible de ses fonctions de localisation. Les données de localisation vont devenir énormes et les contrôler va être l'enjeu de la prochaine grande guerre dans le domaine du mobile ».
Si l'obsession du contrôle absolu est une constante chez Apple et ne pose pas de problèmes dans un écosystème fermé, elle va moins de soi dans un écosystème supposé ouvert comme Android. Google a toujours été suspecté d'avoir empêché Motorola d'utiliser les services de Skyhook, alors qu'ils sont réputés pour leur précision. Google a semble-t-il refusé d'homologuer les smartphones Motorola sous Android utilisant Skyhook — ce qui les aurait privés d'Android Market et des autres applications Google — forçant ainsi la société de Schaumburg à utiliser la solution made in Moutain View.
Cette thèse déjà bien appuyée est renforcée par la fuite de courriels du PDG de Google, Larry Page, et d'autres cadres de la société. Les extraits publiés par le Mercury News montrent à quel point le contrôle des données de localisation est crucial : « je ne peux suffisamment souligner l'importance de la base de données de localisation de Google pour Android et notre stratégie mobile » explique Steve Lee, le patron de la division localisation de Google, dans un courriel. « [La décision de Motorola] nous concerne au plus haut point, car nous avons besoin de la collecte des données WiFi pour maintenir et améliorer nos services de localisation » poursuit-il, ne laissant aucun doute sur les intentions de Google.
La géolocalisation devient un enjeu central dans le domaine du mobile, mais pas uniquement pour simplement localiser l'utilisateur et lui offrir un contexte spatial (boutiques autour de lui avec disponibilité de coupons de réduction, publicité ciblée en fonction du lieu, etc.). Google, comme Apple, place ses services de localisation dans un maximum d'appareils comme un cheval de Troie ouvrant des horizons multiples : son service de circulation repose en grande partie sur le traçage en temps réel de la position d'un grand nombre de smartphones. Quand les téléphones localisés sur une route se déplacent en accordéon, le bouchon est en train de se former ; quand les téléphones s'arrêtent, le bouchon est là. Un service auquel pense aussi Apple (lire : Consolidated.db : Apple répond aux questions).
Bref, le contrôle de la chaîne de localisation est crucial : il permet de fournir des services au client, qui est à son tour utilisé pour fournir des données — un troc public (mentionné dans les conditions d'utilisation), mais pas forcément explicite et qui pose donc des questions sur l'usage de la géolocalisation et sur la nécessité de trouver une certaine balance, ce qu'a confirmé l'« affaire » Consolidated.db. S'il provoque des frictions entre les différentes composantes du monde Android, ce contrôle est néanmoins aujourd'hui nécessaire à son succès. Un autre équilibre à trouver, ce qui ne sera pas forcément simple.
Le mobile est aujourd'hui la voie royale pour collecter des données de géolocalisation, et même la seule possible pour Google, qui fait déjà l'objet d'enquêtes suite à l'enregistrement de données personnelles par sa flotte de véhicules lors des prises de vue pour son service "Street View". Le mois dernier, la firme de Moutain View a fait l'objet d'une plainte de la part d'un groupement de sites coréens auprès des instances anti-trust : elle est accusée de pratiques anti-concurrentielles sur le marché de la recherche mobile.
Les forces de police sud-coréenne ont pénétré ce jour les bureaux d'AdMob, la branche publicitaire mobile de Google. La société fait l'objet d'une enquête afin de déterminer si elle a procédé à la collecte de données de géolocalisation sans le consentement de ses utilisateurs, ni de la Commission coréenne de la communication. Un porte-parole de Google a confirmé l'opération et indiqué que la société collaborerait avec les enquêteurs. Les autorités sud-coréennes se sont aussi rapprochées d'Apple dans le cadre de l'affaire « Consolidated.db » : un avertissement qui montre que les institutions publiques sont semble-t-il décidées à encadrer le domaine de garde-fous.