Le responsable des approvisionnements d'Apple a décrit la teneur des relations entre sa société et Qualcomm dans le cadre d'un procès opposant la Federal Trade Commission (FTC) au concepteur de modems et de processeurs.
La FTC accuse Qualcomm de pratiques anti-concurrentielles dans ses contrats de fourniture de modems aux fabricants de mobiles, le procès se tient à San Jose.
Law360 a fait le compte-rendu de la quatrième journée qui a vu notamment le témoignage de Tony Blevins, vice-président responsable des approvisionnements pour Apple. Il a raconté comment son équipe avait approché Qualcomm en prévision de l'équipement du premier iPhone de 2007.
Apple fut « surprise » de voir que Qualcomm exigeait que soit signé un contrat de licence avant même d'envoyer des exemplaires de test de ses modems à des fins de simple évaluation technique.
Qualcomm réclamait en outre un accord de licences croisées avec certains brevets d'Apple, une demande jugée « curieuse » et sans bénéfice autre que pour Qualcomm.
Décontenancée par ce précédent parmi ses fournisseurs et jugeant que cette négociation prendrait trop de temps à démêler, Apple s'est tournée vers l'allemand Infineon (Intel achètera cette entreprise à l'été 2010).
En 2011 toutefois, Apple s'est de nouveau adressée à Qualcomm, a poursuivi Tony Blevins et elle a conclu un accord d'exclusivité. Cela lui permettait de payer beaucoup moins cher les royalties sur les brevets de Qualcomm. Car même lorsqu'elle était en affaires avec Infineon, Apple payait pour utiliser certaines des inventions de Qualcomm inscrites dans les standards en matière de télécommunications. Des brevets que le fondeur doit toutefois proposer à des prix raisonnables. Certains de ses clients, dont Apple, estiment qu'ils ne le sont justement pas.
Sous réserve qu'Apple se fournisse uniquement chez Qualcomm, celui-ci lui accordait un « énorme » rabais sur ces royalties (une tactique qui contribue à l'accusation faite aujourd'hui à Qualcomm de profiter ainsi de sa situation de monopole sur certaines technologies). Au vu de ces avantages, Apple n'avait plus aucun intérêt à faire jouer la concurrence, a résumé Tony Blevins.
Cette perte d'Apple fut vécue comme une « expérience de mort imminente », a expliqué Aicha Evans, la responsable de la stratégie chez Intel. Ça n'a pas tué la division modem d'Intel mais cela aurait pu, a-t-elle ajouté, et les développements ont accusé un retard de deux ans à la suite de la défection de ce client.
En 2013, Apple a par exemple interrompu ses travaux avec Intel pour équiper l'iPad mini 2. Ce changement de monture se serait soldé par la perte des rabais consentis par Qualcomm et rendu le coût des composants d'Intel trop important.
En 2014, les relations entre Apple et Qualcomm ont cependant commencé à tourner au vinaigre. Lors d'une réunion avec Eric Reifschneider, ancien responsable des licences chez Qualcomm, celui-ci a tancé ses propres équipes devant celles de Tony Blevins. Il a annoncé que Qualcomm allait maintenant faire payer à Apple le plein tarif pour ses modems, peu importe leur coût de fabrication, au prétexte que la Pomme avait les moyens de payer. Surprise à nouveau de Tony Blevins :
Ce fut un moment décisif, J'ai pensé que nous avions besoin d'un autre plan ou d'une autre stratégie. Nous n'avions quasiment aucun levier et il fallait faire les choses autrement, sinon nous allions nous retrouver dans une très, très mauvaise posture.
Quelques jours plus tard, Apple lança le "Projet Antique" une initiative pour diversifier ses sources d'approvisionnement en modems. Il s'est soldé par l'arrivée d'Intel aux côtés de Qualcomm comme fournisseur pour les iPhone 7 puis Apple a complètement évincé Qualcomm à partir des iPhone XR/XS. Apple avait la même ambition pour le modem des Apple Watch, a indiqué Blevins.
Le responsable d'Apple a confirmé au passage des rumeurs publiées fin 2017 par Digitimes, MediaTek fut bien envisagé à la place d'Intel. Il y eut aussi l'hypothèse Samsung. Mais ce dernier est déjà le plus gros fournisseur d'Apple et la concurrence qu'il oppose avec ses Galaxy ne contribue pas à « en faire par un environnement idéal » pour aller plus loin. Sauf à développer ses propres modems, si Apple veut toujours plusieurs fournisseurs, il lui faudra bien considérer ces options (lire En 2019 ou 2020, un iPhone 5G avec des modems Samsung, MediaTek et/ou Intel).
Interrogé plus tard par l'avocat de Qualcomm, Tony Blevins a reconnu que Qualcomm n'avait pas donné suite à sa menace de cesser de livrer Apple si celle-ci s'équipait auprès d'un concurrent, mais cela pris un an de « négociations laborieuses » pour éviter ce scénario, a insisté le cadre d'Apple.
Steve Mollenkopf, le patron de Qualcomm, fut aussi interrogé, il a expliqué que la politique du « pas de licence, pas de modem » avait pour but de protéger ses licenciés, sachant que certaines technologies brevetées sont aussi présentes en dehors des puces fournies. Il a cité en exemple des frameworks de sécurité pour établir une connexion au réseau qui ne sont pas situés à proprement parler dans le modem.
Mollenkopf a également contesté avoir coupé les approvisionnements de certains clients tentés d'aller voir ailleurs. Il y eu un cas lors de renégociations avec Sony et Huawei où Eric Reifschneider voulu stopper les livraisons mais sa décision ne fut pas validée par la direction de Qualcomm.
Enfin, Steve Mollenkopf a mentionné une demande d'Apple en 2011 de recevoir 1 milliard de dollars pour compenser son abandon d'Infineon au profit de Qualcomm.
Deux autres responsables furent interrogés sur les pratiques de Qualcomm. Mark Davis, le directeur technique de Via Telecom, un fabricant chinois de modems, a suggéré que Qualcomm faisait davantage payer pour un droit d'accès à sa feuille de route que pour la qualité de ses brevets, tout en concédant qu'il était difficile de réaliser un smartphone sans eux. Et qu'il était coûteux financièrement pour un client de vouloir s'attaquer à la mainmise de Qualcomm sur le marché… ce qu'Apple peut de toute évidence se permettre.
Quant à Todd Madderom, responsable des approvisionnements chez Motorola, il a fait valoir que le modèle économique de Qualcomm n'offrait aucune marge de manœuvre dans les négociations : « Il faut se conformer au cadre imposé par Qualcomm ou partir en guerre ». Mais les « réalités financières » de Motorola font qu'il n'a guère le loisir d'aller chercher ses modems ailleurs « Il y a trop de barrières ».
Le procès va continuer cette semaine.