Tous les ans, Apple présente un nouveau système-sur-puce (SoC) mobile comprenant notamment un processeur maison. Et tous les ans, le constructeur améliore encore les performances de ce composant essentiel. La Pomme a encore battu des records cette année, à tel point que l’Apple A11 Bionic des iPhone 8 et de l’iPhone X vient titiller les MacBook Pro sur certaines mesures de puissance.
Cet Apple A11 creuse encore davantage l’écart avec les meilleurs smartphones Android concurrents. Le processeur qui équipe les iPhone 8 et le futur iPhone X est le plus puissant jamais créé par Apple, et c’est aussi le plus puissant tout court dans un appareil mobile. Pourtant, le Snapdragon 835 de Qualcomm que l'on retrouve dans les meilleurs smartphones Android du moment présente de meilleures caractéristiques techniques sur le papier : huit cœurs au lieu de six et une fréquence plus élevée. Or, à l'arrivée, c'est bien le SoC d'Apple qui fait mieux.
Comment expliquer une telle différence et surtout une telle avance ? On fait le point !
Les processeurs d’Apple ont plusieurs avantages techniques
Commençons avec un constat : les processeurs conçus par Apple ont plusieurs avantages techniques à faire valoir par rapport à ceux de Qualcomm, Samsung et les autres. Et le premier avantage est visible à l'œil nu : ils sont plus grands que les autres. En 2016, une étude indiquait que les Hurricane, les deux cœurs puissants à l’intérieur de l’Apple A10, mesuraient 4,18 mm2 soit deux fois plus environ que ce qui se faisait dans le monde Android.
La finesse de gravure différente justifie parfois un écart, mais pas aussi important. La vraie différence est technique et elle tient dans la quantité de cache processeur utilisée par Apple. Pour faire (très) simple, la mémoire vive (RAM) est trop lente pour ne pas ralentir les processeurs modernes et on utilise de la mémoire extrêmement rapide et directement intégrée aux processeurs pour accélérer les traitements.
Cette mémoire coûte très cher à produire, mais Apple a toujours eu tendance à en utiliser davantage que ses concurrents. L’Apple A11 intègre 8 Mo de mémoire processeur au total, contre seulement 3 Mo pour le Snapdragon 835, le processeur haut de gamme du moment chez Qualcomm. L’écart ne s’est pas creusé récemment, c’est une tendance ancienne : l’Apple A7 sorti en 2013 intégrait à l’époque 5 Mo de mémoire cache, soit plus que les meilleurs processeurs Android actuels.
La différence est encore plus grande quand on distingue les types de mémoire processeur. En plus du cache L2, Apple utilise depuis plusieurs années du cache L3, un petit peu moins cher, un petit peu moins rapide, mais qui permet d’augmenter la quantité de mémoire totale. En comparaison, aucun autre processeur ARM n’est compatible à ce jour avec le cache L3 ! Cela devrait changer en 2018, mais en attendant, Apple a toujours pu compter sur ce surplus de mémoire pour augmenter ses performances.
Au passage, le constructeur a fait un choix très différent avec l’Apple A11. La dernière génération est dépourvue de cache L3, mais dispose d’une énorme quantité (8 Mo, un record sur un processeur mobile) de cache L2, plus rapide et plus chère, à la place. Cela ne veut pas nécessairement dire que les processeurs d’Apple n’utiliseront plus de cache L3 à l’avenir, mais ce choix a sans doute permis d’améliorer encore un petit peu les performances.
En contrepartie, le coût des SoC conçus par Apple est bien plus élevé que ceux que l’on retrouve dans tous les smartphones Android. Ce choix s’explique simplement : le constructeur de l’iPhone ne cherche pas vraiment à économiser sur ce composant, parce que son prix n’a pas autant d’importance qu’ailleurs.
Le coût de production du SoC n’est pas aussi crucial pour Apple que pour tous ses concurrents. La différence, c’est que l’Apple A11 n’est pas un produit vendu à d'autres constructeurs et soumis à la concurrence du marché, c’est le processeur des iPhone de 2017 et exclusivement ceux-là. Le prix de ce composant est noyé dans le prix du smartphone complet et le constructeur peut se rattraper sur un autre élément pour encaisser le surcoût.
Un tel scénario n’est pas envisageable dans la majorité des cas pour les constructeurs Android en raison de la multiplicité des acteurs. Sans parler des coûts de recherche et développement qui sont énormes, Apple doit payer quelqu’un d’autre pour fabriquer ses puces (TSMC ou Samsung en général), ainsi qu’ARM qui fournit la plateforme de base des processeurs mobiles.
En comparaison, LG, par exemple, doit acheter un processeur prêt à l’emploi, fabriqué par un tiers, mais aussi conçu par un tiers. Ce dernier doit pour sa part payer la licence ARM, mais il doit aussi être rentable, et ses frais de recherche et développement sont uniquement compensés par la vente du processeur. Pour rester compétitif, il fera des choix différents et économisera sur certains éléments, comme le cache mémoire. Une autre possibilité est de reprendre les processeurs conçus par ARM sans les modifier, comme le fait Apple.
Qualcomm, par exemple, avait créé son propre processeur pour la génération précédente, le Snapdragon 820. En revanche, pour le 835, son plus récent modèle, l'entreprise s'est contentée d'un processeur « semi-custom », probablement pour économiser sur les coûts de recherche et développement.
Apple contrôle le matériel et le logiciel
C’est presque un lieu commun, mais cela ne veut pas dire qu'il faut l'occulter : Apple contrôle autant le matériel que le logiciel, ce qui lui donne un avantage considérable en matière de performances. Déjà, parce que le constructeur peut gagner du temps sur le développement de son système sur puce.
Puisque tout est fait en interne, les échanges entre les différentes équipes sont plus faciles et surtout plus rapides. Les ingénieurs qui travaillent sur les processeurs peuvent échanger avec ceux qui développent le système d’exploitation et les uns peuvent demander aux autres d’optimiser tel ou tel point. Pour prendre un exemple, l’Apple A10 était le premier à utiliser deux jeux de cœurs (deux cœurs puissants et deux cœurs économes). Le travail a probablement été mené de front, d’un côté pour faire fonctionner le processeur correctement, de l’autre pour optimiser au maximum iOS dans ce cadre.
En comparaison, les SoC utilisés sur Android sont des produits vendus par une entreprise tierce. Qualcomm n’est pas fermé aux besoins d’Android et des constructeurs, évidemment, mais le dialogue est nécessairement décalé et plus lent. Apple peut non seulement optimiser encore plus et pour un seul usage, mais elle peut aussi le faire plus rapidement.
On peut également souligner qu’Apple doit produire moins de processeurs différents chaque année qu’un acteur généraliste. Un Qualcomm ou un MediaTek doit concevoir divers SoC tous les ans : un pour les flagships Android, mais aussi un ou plusieurs pour les modèles de milieu de gamme, la même chose pour l'entrée de gamme, sans compter les puces spécialisées pour les téléviseurs connectés, d’autres pour les montres, etc.
Apple crée en priorité un modèle par an qui servira aux iPhone et aux iPad de l’année. Ses « vieux » processeurs servent ensuite aux autres produits : le SoC de la première Apple Watch était dérivé de l’Apple A5, l’Apple TV 4K est alimenté par un Apple A10 et le futur HomePod utilisera un Apple A8. Cela ne veut pas dire que le constructeur ne travaille pas spécifiquement sur ces déclinaisons, mais plutôt que son équipe est concentrée en priorité sur un nombre réduit de modèles.
Il faut noter toutefois qu’Apple a multiplié les puces ARM ces dernières années. Par exemple, la Touch Bar des MacBook Pro est alimentée par un SoC spécifique, même s’il est dérivé du travail des processeurs pour Apple Watch.
Apple a pris de l’avance et la maintient
Cette intégration entre matériel et logiciel, qui s'exprime concrètement par une étroite collaboration entre les concepteurs du processeur et les développeurs du système d’exploitation, explique en grande partie pourquoi Apple est le meilleur dans le domaine. Cupertino a pris de l’avance et a réussi à la maintenir jusqu’à ce jour. Pour comprendre comment, il faut remonter quelques années en arrière.
Apple a acheté P.A. Semi, un concepteur de processeurs à basse consommation, en avril 2008, à peine un an après avoir sorti son premier iPhone. Dès le départ, cette acquisition a été présentée comme un moyen de remplacer les processeurs ARM standard par des puces développées en interne. Dans la foulée, le constructeur a obtenu une licence complète auprès d’ARM, l’entreprise qui possède tous les brevets sur ces processeurs mobiles et qui propose des designs. Moins de deux ans après, le premier résultat est visible : le premier iPad embarque un Apple A4, le premier SoC conçu à Cupertino.
À l’époque, les commentateurs étaient surpris : comment Apple peut obtenir une autonomie de 10 heures dans une tablette aussi fine ? On ne le réalisait pas forcément encore, mais le constructeur avait pris de l’avance sur toute l’industrie, avec un processeur plus puissant et plus économe que ce qui se faisait par ailleurs. Depuis, l’entreprise a maintenu et même augmenté son avance à chaque mise à jour.
Dans ce processus, l’étape sans doute la plus importante est la sortie de l’Apple A7 en 2013, pour l’iPhone 5s. Il s’agit du tout premier processeur mobile 64 bits, une évolution que personne n'attendait de si tôt. Qualcomm avait prévu de passer au 64 bits en 2014 au mieux et même si le constructeur a essayé de ne pas le montrer en qualifiant le 64 bits de « gadget marketing », il avait pris un retard considérable sur Apple et en avait conscience.
Gadget ou pas, Qualcomm a présenté deux processeurs 64 bits en avril 2014, mais ils ne sont sortis qu’à l’automne. À la même date, Apple présentait son Apple A8, une deuxième génération de processeur 64 bits encore plus rapide. À cet égard, la firme conservait un an d’avance, mais cet écart est encore plus grand si on considère l’usage réel du 64 bits.
Ainsi, le premier smartphone Android équipé d’un processeur 64 bits, le Désire 510 de HTC, a été présenté en août 2014, mais Android n’était pas encore optimisé. Il a fallu attendre Android 5.0 « Lollipop », sorti en novembre de la même année, pour que le système commence à exploiter le 64 bits. Pour le grand public, les premiers vaisseaux amiraux Android en 64 bits sont donc sortis en 2015, deux ans après l’iPhone 5s.
Pour conclure
Au risque de décevoir les amateurs de théories du complot, Apple n’a pas signé d’accord secret avec Geekbench pour améliorer artificiellement les performances de ses processeurs. Ce n’est pas que Geekbench : la plupart des mesures montrent des écarts significatifs entre les iPhone et les meilleurs smartphones Android du moment. Et c’est le cas tous les ans, que ce soit sur des benchs théoriques ou des exemples en usage réel.
La vérité est plus simple : Apple a eu la bonne intuition que concevoir ses propres processeurs allait lui apporter un avantage concurrentiel et elle s'est donné les moyens de bâtir l’une des meilleures équipes d’ingénieurs au monde. L’acquisition de P.A. Semi a été une première étape déterminante qui a été suivie par d'autres embauches régulières importantes.
Ça ne signifie pas qu’il n’y a qu’Apple qui sache faire de bons processeurs ARM, naturellement. Néanmoins, les progrès du reste de l’industrie sont à peu près réguliers, ce qui a permis à la firme de Cupertino de maintenir son avance. Un concurrent, que ce soit Samsung, Qualcomm ou un autre, reprendra peut-être l’avantage un jour avec une avancée du même ordre que le passage au 64 bits. Mais il n’y a rien à l’horizon de connu pour le moment, et à dire vrai, la course aux performances brutes a peut-être atteint sa limite.
Les processeurs mobiles sont si puissants qu’ils sont à peine exploités par les smartphones actuels. Cela ne veut pas dire que les progrès vont s’arrêter en la matière, évidemment. En revanche, on constate déjà que les SoC ajoutent de plus en plus de composants spécialisés, comme les réseaux neuronaux utilisés pour l’intelligence artificielle. C’est le cas pour l’Apple A11, c’est aussi le cas pour le Kirin 970, le SoC conçu par Huawei pour son Mate 10.
Apple a commencé à créer ses propres processeurs avant tout le monde et le travail en commun sur le matériel et le logiciel lui ont permis d’avancer plus vite et donc de garder son avance sur ses concurrents. Ajoutez à cela la possibilité de créer des SoC plus chers et mieux équipés, notamment en mémoire cache, mais aussi des choix techniques qui ont payé, et vous avez l’explication de l’avance des processeurs conçus à Cupertino.
Une explication sommaire, en tout cas. Le sujet est éminemment complexe et si vous souhaitez le creuser, nous avons consacré plusieurs articles au fil des années aux processeurs d’Apple et aux équipes qui les conçoivent :
- Johny Srouji, le chef d'orchestre des processeurs d'Apple : portrait de cet ancien d’Intel et IBM qui est à la tête des équipes en charge des processeurs chez Apple ;
- Israël, l’autre terre promise d’Apple : Israël est un haut-lieu de recherche et développement, notamment sur les semi-conducteurs et Apple y a beaucoup investi ;
- iPhone : du processeur de lecteur DVD au processeur mobile le plus avancé au monde : dix ans de progrès pour le processeur de l’iPhone.