Depuis le début de l’année, les TCL expérimentent le système de guidage sonore d’EO Guidage dans le métro lyonnais. Ce genre de dispositif n’est pas nouveau : les personnes malvoyantes ou aveugles s’en servent tous les jours pour traverser la rue. Mais les balises Navigueo+ installées le sont : elles peuvent être déclenchées depuis un smartphone plutôt que depuis la traditionnelle télécommande radio. Pour en savoir plus sur le sujet, nous sommes allés à la rencontre de Rémi Rochon, directeur général d’EO Guidage, et de Lise Wagner, aveugle et experte en accessibilité de la société.
Vous vous êtes déjà demandé à quoi servent les petits boîtiers beiges vissés aux mâts des feux parisiens ? Vous avez déjà été surpris qu’une porte d’entrée se mette soudainement à sonner et parler ? Ce sont les signes de la présence d’un système de guidage sonore des personnes déficientes visuelles. EO Guidage en installe depuis 1993 : « à l’époque, il n’existait rien d’autre que des systèmes permanents », comme les cônes tournants, explique Rémi Rochon.
« Nous avons innové avec un système qui se déclenche uniquement quand on en a besoin », par une pression sur le bouton d’une télécommande ou — comme à Paris — d’un boîtier fixé sur le mât des feux. Les obstacles techniques à l’équipement ont été levés avec la normalisation de la fréquence radio de la télécommande en 2004, et les résistances rendues vaines par la loi en 2006. « D’un point de vue réglementaire, toutes les traversées piétonnes sont censées être équipées », selon le directeur général d’EO Guidage.
Aujourd’hui, « 96 % des personnes aveugles » possèdent une télécommande permettant de contrôler les feux et autres balises sonores, « parce qu’elle est souvent distribuée gratuitement par les mairies et les associations. » « Mais nous avons tous un smartphone dans le poche », admet Rémi Rochon : « est-ce qu’on peut déporter la fonction de la télécommande et l’embarquer dans un smartphone ? » Afin de permettre leur paramétrage sans-fil, les balises d’EO Guidage intègrent une puce Bluetooth depuis 2007, « mais en Bluetooth 2.0, on ne peut pas faire ce que l’on veut sur iPhone. »
« On a attendu, patiemment », et finalement, Apple a ouvert grand les vannes avec le Bluetooth 4.0. Une nouvelle version des balises, baptisées Navigueo+, et une application, baptisée MyMoveo, plus tard, les smartphones pouvaient jouer le rôle de télécommande. Une pression sur le bouton de la télécommande permet de déclencher les feux sonores, ou d’obtenir le message d’une balise placée à l’entrée d’un bâtiment par exemple. Dans le cas des produits d’EO Guidage, une deuxième pression permet d’obtenir un deuxième message, et une troisième pression permet d’obtenir un troisième message.
Mais « il faut appuyer au bon moment », concède Rémi Rochon… or de nombreux utilisateurs n’appuient même pas du tout, préférant activer le mode automatique de leur télécommande, qui déclenche les balises dès qu’elles sont à portée. Le smartphone est plus subtil : lorsqu’il passe à proximité d’une borne, il reçoit une simple notification. L’utilisateur peut couper le mode automatique tout en restant informé des jalons sur son chemin grâce aux notifications, et peut surtout choisir de déclencher les balises ou pas, et quel message écouter.
Cette discrétion est importante : « avec la canne, on ne passe déjà pas inaperçu », plaisante Lise Wagner, « alors lorsqu’on se balade en ville avec la télécommande en mode automatique, on est un peu suivi à la trace. » Le smartphone permet même de recevoir le message dans l’oreille, mais ce n’est pas forcément l’objectif : « à un simple croisement », tempère Rémi Rochon, « il y a huit poteaux de feux. C’est déjà compliqué de se repérer avec un message diffusé sur haut-parleur, alors si on le donne dans l’oreille… » Il poursuit :
Le but premier du feu sonore, c'est de donner la couleur du feu. Or il faut être sûr que c'est le bon : dans ce cas-là, le message n'a de sens que s'il est diffusé sur haut-parleur. (…) Les gens s'en servent non seulement pour identifier la traversée, mais aussi pour déterminer l'axe de la traversée.
Même chose pour les balises sonores placées à l’entrée des bâtiments : « trouver une entrée, ce n’est pas compliqué », explique Lise Wagner, « lorsque je me balade rue de la République, des entrées, il y en a plein. C’est trouver la bonne entrée qui est difficile. » L’information spatiale fournie par la balise est primordiale : selon une étude réalisée par l'Institut de la vision pour EO Guidage, une entrée balisée est franchie à coup sûr, alors que le taux d’erreur atteint 80 % sans balise.
Cela ne veut pas dire que le smartphone n’est rien d’autre qu’une jolie télécommande un peu perfectionnée : « l’autre intérêt de la balise », selon Rémi Rochon, « c’est d’apporter de l’information. » Dans les 500 agences d’Orange équipées en balises, le premier message permet d’identifier la boutique, mais les deux suivants offrent des informations complémentaires, comme l’emplacement de l’accueil ou le détail des équipements d’accessibilité. « Dans ce cas, il est plus confortable de recevoir le message dans l’oreille », plutôt que de faire résonner toute la boutique, et l’utilisateur peut réécouter le deuxième ou troisième message sans repasser par le premier.
Des messages qui pourraient être publicitaires ? « Nous n’avons jamais jamais jamais diffusé une information promotionnelle par le biais d’une balise », assure Rémi Rochon : « les balises donnent uniquement des informations d’orientation », même dans les bureaux de poste lyonnais ou dans les magasins Monoprix équipés. En cela, les balises s'opposent radicalement aux beacons traditionnels, bien qu'elles exploitent des technologies similaires. Il faut dire que leurs utilisateurs sont, selon l'Institut de la vision, largement opposés à leur exploitation commerciale.
Voilà peut-être pourquoi les clients d’EO Guidage font preuve d’une certaine pudeur sur l'étendue de leurs efforts en matière d'accessibilité : le retour sur investissement — les balises sonores ne sont pas strictement imposées par la législation et coûtent 500 € l’unité — n’est pas directement quantifiable. Il semble pourtant que cet investissement paye : selon l’Institut de la vision en effet, trois personnes sur quatre privilégient les lieux équipés aux lieux non-équipés. « Entre deux pharmacies de quartier par exemple », confirme le directeur général d’EO Guidage, une personne aveugle va avoir tendance à privilégier celle qui est équipée, « même si elle est plus loin. »
Mais avec le déploiement dans le métro lyonnais, EO Guidage communiquera pour la première fois des données de déclenchement des balises. « Nous nous étions toujours refusés à le faire », explique Rémi Rochon :
Nous estimons que c'est le maillage de l'équipement qui va bouleverser les habitudes et les usages. (…) Nous ne voulons pas dire que c'est un taux de déclenchement qui doit motiver l'équipement. Si les personnes ne sortent pas de chez elles, c'est parce que les lieux ne sont pas équipés !
Cela dit, l'expérimentation dans le métro lyonnais est une première dans le domaine, dont les données quantitatives et qualitatives sont trop précieuses pour être ignorées. Vingt et une balises ont été installées dans la station Saxe-Gambetta, à l’intersection des lignes B et D. Si la plupart sont réparties à l’intérieur, notamment dans les zones d’accès aux correspondances, sept sont placées à l’extérieur : repérer une bouche de métro n’est déjà pas chose aisée pour un voyant, alors pour un aveugle…
L’application MyMoveo prend là tout son intérêt. Un visiteur de passage pourra demander à ce que les balises se déclenchent automatiquement, qu’elles donnent immédiatement le premier message, et qu’elles « parlent » le plus fort possible — elles s’adaptent de toute façon au bruit ambiant, une fonction d’autant plus nécessaire à cette intersection particulièrement fréquentée. Au contraire, un habitué pourra baisser le volume des balises et se contenter d’un bref jingle.
« Les balises servent aussi de point de repère », explique Rémi Rochon :
Lorsque tu vas jusqu'au métro pour te rendre à ton travail, tu sais que tu va tourner après la boulangerie. Un aveugle à d'autres répères — il y a là une bouche d'égout, là un bruit particulier (…) les balises ajoutent de petits jalons sur le chemin. (…) Dans notre jargon, on parle de « chaîne de déplacement », et une bonne chaîne de déplacement, c'est une chaîne sans rupture de l'information.
Le smartphone permet finalement d’« augmenter » le monde physique d’une couche d’informations numériques : les nez-de-marche ou les bandes de guidage au sol n’offrent qu’une vue très parcellaire de la topographie d’un lieu, et permettent rarement de comprendre son usage. « Avec les équipements d’accessibilité, on va souvent à l’entrée des bâtiments », explique Lise Wagner, « mais rarement plus loin. »
Au-delà des balises sonores, de nouvelles solutions permettent désormais de guider précisément une personne aveugle dans ses déplacements. C’est par exemple le cas d’Evelity, la solution de géolocalisation intérieure d’EO Guidage, notamment expérimentée dans la station Auber à Paris ou dans le bâtiment principal de la faculté de médecine Lyon-Est. Lise Wagner la décrit :
Un grand bâtiment comme la faculté de médecine, ce sont des centaines de mètres de couloirs, et il est évident que je serais parfaitement incapable de me rendre seule au bureau du directeur. Avec Evelity, je choisis ma destination, et le guidage se fait tout seul : « continuez tout droit », « passez la porte », « tournez à droite ». C'est un GPS à l'intérieur. (…) On arrive à emmener les gens au plus profond des bâtiments, on va beaucoup plus loin dans l'autonomie.
Alors que le monde physique est moins difficile à appréhender grâce à de telles solutions, c’est paradoxalement le monde numérique qui devient plus difficile d’accès : « l’accessibilité du web a tendance à régresser », selon Lise Wagner. « Quand on est aveugle ou très malvoyant, on a une exploration qui se fait par petites touches, et qui est complètement linéaire », explique-t-elle, « alors quand il n’y a pas de lien “aller directement au contenu”, qu’il y a des liens complètement invisibles (…) qu’il y a tout un bloc [avec des boutons de partage], c’est catastrophique. »
L’expérimentation des balises sonores Navigueo+ dans la station Saxe-Gambetta du métro lyonnais durera jusqu’au mois d’octobre 2016. L’application MyMoveo, qui permet de les déclencher au même titre que la télécommande normalisée, est disponible sur iOS et sur Android. Les personnes aveugles et malvoyantes sont invitées à donner leur avis sur le dispositif par le biais d’un formulaire en ligne.