L'iPad n'est-il qu'un gros iPod touch ou va-t-il poser les bases d'un nouveau rapport à l'informatique comme l'a fait le Mac en son temps ? Non pas une redéfinition dans son ensemble de l'informatique personnelle mais une voie parallèle à celle que nous empruntons tous au quotidien ?
Laissons de côté les avis passionnés d'utilisateurs qui ont déjà condamné cette tablette qui, il n'est pas inutile de le rappeler, n'a été à ce jour tenue en main que par trois douzaines de journalistes. Non pas que ces commentaires n'apportent rien au débat, mais ils émanent quasi uniquement d'utilisateurs saturés de produits informatiques et de gadgets électroniques.
En prenant un peu de distance vis à vis de ces débats de technophiles jamais rassasiés on peut se demander s'il n'y aurait pas un marché auprès d'une population qui, à l'inverse de la précédente, considère toujours l'ordinateur comme un adversaire. Ou chez ceux qui s'y sont mis à reculons, sur l'amicale pression de la famille. Et ce ne sont pas forcément des personnes âgées, loin des clichés, la maîtrise de l'outil informatique est parfois une épreuve même pour des trentenaires (si ce n'est des plus jeunes encore).
Peu importe le système d'exploitation, cet univers reste l'objet d'une large incompréhension. Le clavier et la souris sont des dos d'âne qu'il faut à chaque fois franchir, les Finder et Explorateurs de fichiers des labyrinthes aux arborescences sans fins, les "disques durs", "RAM", "applications", "logiciels", "fichiers" ou "documents" des concepts définitivement abstraits.
Certains parviennent à se frayer un chemin, montrant parfois même une surprenante aisance, qui pour commander des livres, qui pour vendre sur eBay, qui pour taper une lettre, mais ce sont souvent des victoires isolées, obtenues sur un terrain informatique qui reste largement hostile dès que l'on s'éloigne un peu trop de ces fragiles acquis.
L'iPad, tel qu'il se présente, efface la quasi-totalité de ce qui peut effrayer ces personnes. Une interface jolie, légère et pilotée de la plus simple des manières : le doigt. Apple n'a pas cherché à rendre Mac OS X compatible avec des interactions tactiles, elle a transformé son système pour que celui-ci, et non l'utilisateur, se plie à cet usage.
C'est aussi l'iPad qui suit l'utilisateur et pas l'inverse. Oui on peut emmener les 2 ou 3 kg de son MacBook dans son canapé, on le fait tous, mais l'iPad pèse 700 g. Enfin, il ne suffit que d'un abonnement Internet (voire peut-être même, si les conditions tarifaires des opérateurs s'avéraient par miracle, intéressantes, d'un simple abonnement 3G) pour être opérationnel.
Sur les choix techniques, certaines absences qui font hurler les premiers détracteurs de l'iPad se transforment quasiment en avantages. Autant les accros de l'iPhone peuvent s'agacer (non sans raison) de l'absence d'un multi-tâche - généralisé - dans iPhone OS, autant on peut se demander si ces utilisateurs novices vont jongler entre plusieurs applications. Ne vont-ils pas plutôt porter leur attention sur une seule chose à la fois (pendant que l'iPad jouera tranquillement de la musique en fond…) ?
Pas d'appareil photo, pas de webcam… chacun aura son avis sur ces absences. Le couple Skype + webcam aurait eu du charme c'est vrai. Mais cela ne rend pas l'iPad fondamentalement inexploitable (ni n'empêche des évolutions futures). Des années durant l'iPod est resté sans tuner FM alors qu'il s'agissait d'une fonction courante chez ses concurrents. On pourrait aussi dresser la liste des lacunes des premiers iPhone… La tablette n'aurait pas de Wi-Fi, un écran médiocre là, oui, l'affaire serait sérieuse.
Ensuite, l'iPad propose l'essentiel pour un usage standard d'Internet : aller sur les sites d'info, sur les sites marchands, sur Flickr, Picasa ou YouTube pour voir les photos et vidéos familiales. L'absence de Flash est là aussi à pondérer. Ce sera un obstacle pour accéder à certains sites ou contenus, c'est indéniable, mais une bénédiction chez d'autres qui ont en horreur la pub. Même des utilisateurs rompus à Internet ne se privent pas pour installer des bloqueurs de contenus Flash…
Le client mail paraît suffisant pour qui n'échangera qu'une poignée de messages par semaine. Le clavier et ses grosses touches semble lui aussi relativement praticable (bien plus que celui de l'iPhone) et, au pire il y a la solution du Keyboard Dock qui transforme l'iPad en une petite station Internet tout sauf encombrante, avec un clavier identique à celui d'un Mac.
Pour la suite iWork, les choses sont moins claires. Apple a produit des démos très convaincantes… avec des documents tout prêts. C'est une chose de bouger du doigt une image dans un document Pages riche en contenus et déjà terminé, on verra ce qu'il en est lorsqu'on part d'une feuille blanche. A défaut on se rabattra sur les modèles fournis. Mais là aussi, si l'on s'en tient à de la petite correspondance (lettre de contestation d'un PV ou réclamation auprès de son centre des impôts) l'iPad devrait être dans les clous (on pressent toutefois qu'il faudra une imprimante sans fil si l'on n'a pas d'ordinateur).
Et ne parlons même pas de l'App Store et de la future librairie d'e-Book, qui seront autant de sources de contenus, et où la notion "d'installation du logiciel" est aussi évacuée. En outre toute une nouvelle génération d'applications pourrait bien naître dans la foulée de l'iPad et des possibilités offertes par son grand écran. L'App Store de l'époque iPhone a été une surprise, avec l'arrivée de l'iPad on n'a peut être encore rien vu.
Si l'on envisage l'iPad sous cet angle, comme une porte d'entrée vers Internet et aux usages de base de l'informatique, et non pas uniquement comme un joujou supplémentaire pour qui en a déjà plein la maison et les poches remplies, Apple a peut-être une carte à jouer. Sondez autour de vous les personnes répondant à ce profil, les réponses pourraient être intéressantes (et le cadeau de Noël 2010 tout trouvé).
D'autant que l'iPhone et l'iPod touch - comme autant de mini tablettes qu'ils sont - ont largement labouré et semé le champ du multi-touch et de l'internet mobile. Apple lance un tout nouveau produit dont l'essentiel du fonctionnement est déjà compris sinon acquis par des dizaines de millions d'utilisateurs qui seront autant de porte-voix. Le pari de l'iPad n'est pas gagné d'office - Apple a beau ne pas sauter sur chaque nouvelle mode - comme les netbook - elle peut s'être trompée - mais l'objet part avec du vent dans le dos.
Cependant, il y un "mais", et il s'appelle iTunes. On peut utiliser l'iPad sans cette application (on voit parfois des gens sans ordinateur s'équiper d'un iPhone), mais c'est se priver de sauvegardes, de mises à jour système, d'un moyen aisé de transférer une collection existante de musique ou de photos. Qui dit iTunes dit ordinateur, et là on se mord la queue.
C'est ce dernier obstacle qui n'a pas (encore ?) été levé. A défaut d'avoir une indépendance pleine et entière de l'iPad vis-à-vis de l'ordinateur, au moins que son autonomie soit plus prononcée. Sauf à ce qu'Apple - qui a tout de même intérêt à vendre du Mac - ne permette au minimum ces sauvegardes et mises à jour système via Internet, on aura toujours ce fil à la patte. Plus que l'absence de port USB, de webcam, de port HDMI et autres acronymes, c'est peut-être ce point qui le plus regrettable.