L’Apple Watch est une montre, plus ou moins bonne, et c’est également un traqueur d’activité physique. La communication d’Apple est particulièrement riche en la matière, à tel point qu’un blog a été ouvert pour narrer les exploits de la marathonienne Christy Turlington. Apple a également embauché Jay Blahnik, l’ex-monsieur fitness de Nike, et a investi dans une salle de sport secrète afin d’éprouver les capacités de l’Apple Watch.
Le sport, c’est donc du sérieux pour Apple qui a pris son temps pour se lancer sur un marché du bracelet santé parvenu à maturité et qui comprend bon nombre de fabricants. La Pomme y croit tellement qu’elle a dédié une collection de montres à cet usage, l’Apple Watch Sport — ce modèle est bien adapté à la pratique d’une activité sportive, avec son poids plume et une conception en aluminium plus robuste que l’acier inoxydable du modèle supérieur. Mais qu’on se rassure, elle n’en fait pas plus ni moins que les deux autres collections, les capteurs étant identiques.
Que peut bien apporter l’Apple Watch par rapport à la concurrence ? La première des réponses tient bien sûr dans l’écosystème tissé serré par le constructeur : l’Apple Watch s’intègre parfaitement au sein d’iOS même si, comme on le verra, la montre n’en est pas non plus la meilleure des citoyennes. La Pomme a aussi imaginé deux applications Watch OS originales (plus une app iOS compagnon), dont le concept de base appelle immédiatement un premier avertissement.
Le problème avec l’Apple Watch
Apple, comme la vaste majorité des fabricants de bracelets santé, a pris le parti du cardio : courir dehors ou sur un tapis roulant, faire du vélo, multiplier les mouvements de rameur… Bref, des mouvements pour brûler des calories. Ces activités ont aussi d’autres atouts, comme l’amélioration globale du niveau d’énergie, la prévention de certaines maladies (notamment cardio-vasculaires), le renforcement des poumons, le contrôle de la tension artérielle, ou encore la diminution de la graisse corporelle.
Tout cela est bel et bon, et évidemment nécessaire à une vie saine dans un corps en santé. Mais en plaçant le calcul des calories au cœur de sa plateforme santé, Apple ferme la porte aux sportifs qui cherchent au contraire à gagner de la masse, ou à ceux, adeptes du yoga, qui souhaitent obtenir une plus grande flexibilité musculaire. Les sportifs qui soulèvent de la fonte ne pourront pas compter sur leur Apple Watch pour mesurer le poids des haltères et le nombre de reps ; il leur faudra continuer à entrer ces informations « à l’ancienne », ce qui peut être plus long que l’exercice en lui-même.
À la décharge d’Apple, quantifier ces activités relève de la mission impossible : il existe un nombre pratiquement infini d’exercices possibles, aussi bien en musculation qu’en yoga, et à moins de créer des capteurs à poser sur les haltères ou sur plusieurs parties du corps, la mesure de ces efforts physiques particuliers semble encore hors de portée d’une montre, aussi intelligente soit-elle.
Les seules données qu’une application peut enregistrer dans HealthKit, le hub central d’Apple qui stocke et partage les données santé et sportives au sein d’iOS, sont la durée d’un exercice, la distance parcourue, les calories brûlées et la fréquence cardiaque. Pour être totalement rigoureux et disposer d’un tableau plus complet, il faudrait aussi pouvoir conserver une trace des données liées à la force et à la flexibilité.
Les utilisateurs qui voudront exploiter les possibilités fitness de l’Apple Watch devront garder à l’esprit que la montre s’intégrera d’abord et avant tout à un programme de cardio-training — dans l’optique, éventuellement, d’une perte de poids.
ACTIVITÉ
« Rester actif tout au long de la journée », c’est un des mantras de l’Apple Watch, qui sert de toile de fond à l’application Activité pré-installée. Ce logiciel mesure trois types d’« exercices », représentés sous la forme de trois anneaux à remplir chaque jour. « Bouger » (anneau rouge) indique le nombre de calories brûlées ; « M’entraîner » (anneau vert) mesure les minutes d’activité énergique ; quant à « Me lever » (anneau bleu), c’est le plus original du lot.
Se lever
Si vous êtes resté assis au cours des 50 premières minutes de l’heure, une alerte va cogner à votre poignet pour vous demander de vous lever au moins une minute (attention à ne pas tapoter sur le bouton OK de l'alerte, qui annule purement et simplement l'enregistrement de l'action de se lever).
L'effet au bureau est assez saisissant : ici à la rédac', tout le monde ou presque se lève comme un seul homme au même moment… Si vous vous êtes levé au moins une fois durant la période de 50 mn, cette minute devrait être comptabilisée sans que l'Apple Watch vienne toquer son rappel ; devrait, car c’est un peu au petit bonheur la chance ! Il nous a été impossible de relever un comportement type pour cette fonction. Pour compléter l'anneau bleu, il faut comptabiliser 12 fois 1 minute durant les douze heures d'une journée lambda.
Cette fonction « Me lever » est fort amusante et heureusement, il est possible de la désactiver dans l’app Apple Watch de l’iPhone. Elle ne viendra pas vous embêter au cinéma ou durant une réunion qui s’éternise, pour peu que vous ayez basculé la montre en mode « Ne pas déranger » (dans le premier Coup d’œil). La proposition de se lever au moins une minute toutes les heures est louable, mais apporte-t-elle réellement quelque chose ?
Bouger
L’anneau rouge correspond aux calories brûlées durant la journée. Le résultat est calculé en fonction du volume de calories que l’on souhaite brûler chaque jour ; au premier lancement, l’application propose de choisir un certain nombre de calories à griller au quotidien. « Faible » est pas mal si on ne sait pas trop que choisir (300 calories) ; chaque lundi, l’Apple Watch enverra un résumé de la semaine écoulée en proposant d’ajuster l’objectif hebdomadaire en en choisissant un plus réaliste. Dans l’exemple ci-dessous, j’ai sans doute été un peu présomptueux…
Cet objectif correspond aux calories en activité, qui sont comptabilisées en réalisant un exercice physique (ce dernier peut être aussi simple que de marcher).
Les graphiques proposés par l’app Activité, tout comme son pendant sur iPhone, sont beaucoup trop petits pour déterminer avec précision les heures et les minutes durant lesquelles on s’est montré le plus actif. Dommage, il est impossible d’optimiser et d’étaler efficacement les périodes d’activité sur la journée.
S’entraîner
L’anneau vert est une représentation graphique des minutes d’activité physique réalisées au long de la journée. Cette donnée se calcule en fonction du temps passé à exercer un sport (dans ce cas, c’est l’app Exercice qui prend la main), mais aussi via l’application Activité : la « marche active » est prise en compte, tout comme n’importe quelle activité durant laquelle le cœur est plus sollicité qu’à l’habitude (le cardiofréquencemètre mesure cela plutôt bien, sauf si le poignet est tatoué).
Ce relevé reflète donc l’activité physique un peu plus intense qu’aller à la cafetière. On aurait cependant apprécié un peu plus de précision ou de souplesse : après une journée passée à marcher (durant laquelle on peut dépasser le seuil des 10 000 pas), l’anneau vert n’est pas forcément complètement rempli… malgré la sensation d’avoir accompli un bel effort, d’ailleurs souligné à juste titre par d’autres applications. Faut-il nécessairement accomplir un jogging quotidien pour plaire à Activité ?
Les trophées
Rien de tel que des récompenses pour motiver les sédentaires que nous sommes à bouger un peu plus ! En plus de la complication Activité qui affiche en permanence les trois petits anneaux sur le cadran de la montre, Apple a créé une série de trophées à décrocher, soulignant pour chacun un accomplissement. Chaque récompense est l’occasion d’une petite animation sur l’écran de l’Apple Watch, dévoilant le trophée en question… et force est de constater que malgré des goûts et des couleurs qui ne se discutent pas, de notre point de vue, cela reste quand même assez moche, mélange peu heureux de steampunk avec une dose de skeuomorphisme.
Les deux premiers trophées seront sans doute ceux que tout le monde parviendra à décrocher sans trop de souci, puisqu’il s’agit de la première course à pied et de la première séance de marche. C’est ensuite que les choses se gâtent, puisque les conditions pour débloquer les récompenses suivantes sont beaucoup plus ardues : 5 séances d’exercice axés sur la dépense calorique, 7 entraînements dans la semaine (alors qu’il est plutôt recommandé de se reposer au moins une journée), doubler son objectif quotidien « Bouger », atteindre 500 fois ce même objectif…
Bref, il va falloir se montrer patient et appliqué pour espérer décrocher l’intégralité du tableau de chasse. Et pas question de partager ses exploits avec d’autres histoire de se motiver en groupe, puisqu’aucune option de partage n’est proposée. On regrette aussi l’absence de prise en charge de Game Center : la gamification de l’application Activité aurait pu apporter un peu de motivation supplémentaire.
Pas de pain ni de sommeil
L’app Activité n’est malheureusement pas le panorama le plus complet de l’activité de l’utilisateur, pour au moins deux raisons. D’une, la mesure de la qualité du sommeil n’est pas prise en charge, alors qu’il est pourtant possible d’activer un réveil sur la montre. Cette absence étonnante (la vaste majorité de la concurrence offre une telle fonction) s’explique sans doute par le conseil d’Apple de recharger la Watch la nuit, mais les utilisateurs sont privés des données nocturnes qu’auraient pu enregistrer le cardiofréquencemètre et l’accéléromètre de la montre.
Autre absence plus embêtante pour un produit qui met autant en avant la mesure des calories : il n’y a aucun moyen de calculer les calories des repas. Dans le cadre d’un programme de perte de poids traditionnel, c’est pourtant une donnée essentielle qui manque dans l’Apple Watch. À la décharge de la Pomme, renseigner les calories ingurgitées ne peut guère se réaliser qu’à la main, ce qui n’est pas l’activité la plus agréable au monde, sans oublier le travail à réaliser en amont pour les bases de données d’aliments.
Plusieurs applications tentent de faciliter la vie de ceux qui ont besoin de calculer les calories, comme UP de Jawbone (qui ne nécessite pas de bracelet pour fonctionner) ou MyFitnessPal qui contient en plus une app pour Apple Watch. Mais globalement, malgré les efforts des éditeurs pour rendre l’activité plus souple et rapide, compter les calories reste assez rébarbatif. Apple aurait-elle pu améliorer la prise en charge de cette activité ? Difficile à dire… On peut en tout cas déplorer que l’app Activité fasse complètement abstraction de ces données, même si rien ne l’empêche d’aller piocher ces informations auprès de logiciels tiers (en passant par Santé).
EXERCICE
Si l’app Activité est surtout un outil de consultation de données passives mesurées par l’Apple Watch, l’application Exercice se veut beaucoup plus active. Les plus sportifs pourront en tirer partie pour mesurer leur effort durant une course, une session de rameur, une marche ou une sortie en vélo. Avant toute chose, il faudra étalonner la montre avec son iPhone : rien de plus simple, il suffit de faire une activité physique durant 20 minutes en tenant le smartphone, ou en portant en brassard (cette note technique d’Apple livre un mode d’emploi précis).
Les activités sportives prises en charge par Exercice carburent au rythme du cardio-training : outre les sports cités ci-dessus (le vélo, la course et la marche se déclinent en version d’intérieur), on trouve aussi dans l’app la possibilité d’apprécier les efforts réalisés sur un elliptique et un stepper. On est ici clairement dans le domaine traditionnel des calories brûlées. Les autres sports ne sont pas oubliés pour autant, ou alors si : ils se retrouvent tous sous l’onglet Autres, une catégorie fourre-tout.
Pour remplacer les capteurs normalement nécessaires au suivi d’un sport spécifique, l’Apple Watch ajoute à la mesure les calories équivalentes à une marche rapide. Cela ressemble un peu au doigt mouillé des analystes qui tentent de deviner le nombre d’iPhone vendus chaque trimestre… Espérons qu’Apple puisse rapidement affiner les données capturées par les capteurs de la montre pour les adapter à des sports aussi confidentiels que le tennis, le football ou la natation.
Une fois le sport sélectionné, on pourra choisir un objectif (nombre de calories à brûler, temps passé à s’entraîner, distance, ou libre tout simplement). L’application affiche très simplement les données capturées : temps écoulé, distance, calories, vitesse, fréquence cardiaque…
Une fois l’entraînement terminé (en appuyant fort sur l’écran, ou en se rendant sur le panneau de contrôles le plus à gauche), Exercice affiche les résultats de l’effort accompli.
Le tout est ensuite enregistré dans la base de données Santé dans laquelle les applications tierces compatibles peuvent tirer des données. De fait, l’Apple Watch peut donc servir de base pour alimenter d’autres logiciels, avec des limitations toutefois.
Ainsi, une application aussi populaire que Nike+ Running ne peut accéder en temps réel au cardiofréquencemètre, Apple ne l’autorisant pas (du moins pas encore). Au moyen d’une bidouille, l’app pourra en revanche avoir accès aux données enregistrés par le capteur de fréquence cardiaque a posteriori (lire : L'Apple Watch en manque de muscle). En attendant que la situation se normalise, l’accès exclusif à ce composant est un avantage concurrentiel pour Exercice.
L’Apple Watch est un petit iPod autonome. Si la montre utilise le GPS de l’iPhone pour affiner les résultats, elle peut aussi faire sans et les résultats sont plutôt concluants — du moins une fois qu’on aura franchi l’obstacle de transférer de la musique sur l’appareil depuis un iPhone, une opération parfois difficile (lire : Synchronisation de musique entre Apple Watch et iPhone : peut mieux faire).
Nous avons eu l’occasion de tester la précision de l’Apple Watch (avec et sans son iPhone compagnon) face à la VivoActive de Garmin, une montre équipée d’un GPS et spécialement conçu pour les sportifs. Malgré ses capacités plus réduites, les résultats sont plutôt positifs pour l’Apple Watch.
Comme on peut le voir, les résultats entre l’Apple Watch et la montre Garmin sont moins proches avec un iPhone que sans ! Plutôt étonnant donc… Mais globalement, la montre d’Apple retourne des chiffres en phase avec des produits concurrents mieux outillés. Garmin conserve toutefois l’avantage quand on sort des mesures classiques. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’Apple Watch n’exploite pas les données du baromètre de l’iPhone (la VivoActive affiche, elle, les informations d’altitude). Les adeptes de la course à pied ou du vélo qui souhaitent conserver une trace de leurs parcours devront transporter avec eux leur iPhone : l’Apple Watch est, faut-il le rappeler, dépourvue de GPS. Il est certes possible de s’entraîner sans iPhone, mais on fera alors une croix sur les cartes.
Nous n’avons pas pu essayer en revanche de ceinture cardio, que l’Apple Watch prend en charge via Bluetooth.
Activité sur l’iPhone
L’application Activité sur iPhone reprend les données captées par son homologue de l’Apple Watch et agrège aussi les informations d’Exercice. Elle livre une vision claire des efforts réalisés par l’utilisateur tout au long de la journée. Graphiquement sobre et agréable à naviguer (on est bien loin des feuilles de calcul Excel de Santé…), ce logiciel pèche cependant par de trop petits graphiques. Autre écueil, que l’app partage d’ailleurs avec bon nombre de ses concurrents, Activité se contente d’afficher des données brutes de fonderie, sans offrir de conseils particuliers liés à l’analyse des informations.
On atteint là les limites de l’exercice pour Apple, ainsi que pour les autres constructeurs : s’ils veulent aller plus loin dans l’analyse des données sportives et s’aventurer dans le secteur du médical, ils doivent en référer au régulateur américain qui est tatillon sur le sujet (lire : iWatch : Apple dans « l'obligation morale » d'en faire plus pour la santé)…
Conclusion #3
L’Apple Watch est un honnête traqueur d’activité, dont les capacités sont suffisamment solides pour en faire un sérieux concurrent sur le marché encombré des bracelets dont c’est le seul usage. En attendant, Apple devra proposer quelques mises à jour logicielles qui permettront aux apps Activité et Exercice d’être plus complètes, plus polyvalentes, et encore mieux arrimées à la plateforme iOS. Si Apple veut jouer le rôle du bon partenaire, il lui faudra aussi ouvrir plus largement l’Apple Watch aux développeurs tiers, afin que leurs applications puissent tirer profit, en temps réel, des mesures effectuées par la montre.
Malgré ces réserves, l’Apple Watch devrait satisfaire les sportifs occasionnels investis dans l’écosystème iOS, ainsi que les patates de canapé que la montre va pousser à se bouger un peu plus. Ça n’est déjà pas si mal pour une première génération.