La nouvelle montre connectée de Pebble, la Time, a une fois de plus explosé tous les records sur Kickstarter. En franchissant le seuil des 20 millions de dollars, elle a fait deux fois mieux que la toute première version de ce produit, qui a fait office de pionnier sur le marché.
Depuis, la plateforme n’a cessé de croître pour dépasser le million d’unités vendues depuis 2012. L’attente était donc particulièrement forte au moment de lancer la nouvelle génération de la montre connectée, et pour saluer non seulement les fans mais aussi pour récolter rapidement de l’argent pour lancer la production, Pebble a de nouveau fait appel à Kickstarter. C’est peu dire que la campagne de financement participatif a cartonné : à 20,3 millions de dollars, il s’agit de la plus importante levée de fonds de l’histoire du site !
Le basculement des 20 millions de dollars a été vécu en direct par Pebble, où une réunion avait été organisée dans les locaux de l’entreprise à Palo Alto (Californie). « Dépasser les 20 millions, c’est une très bonne nouvelle. Ça ne change pas grand chose sur le plan financier, mais ça veut dire qu’il va y avoir plus de gens qui auront la Pebble Time plus vite, puisqu’on va pouvoir les fabriquer plus vite », explique Thomas Sarlandie, responsable des relations avec les développeurs depuis juillet 2013. Il tient cependant à nuancer ce seuil historique des 20 millions : « Que ce soit 13 millions ou 20 millions, ça ne fait qu’accélérer les choses. Ça fait plus de gens qui vont en parler à leurs amis, qui vont montrer Pebble autour d’eux, c’est ça la plus grosse différence ».
Une telle attente est généralement synonyme d’une pression supplémentaire sur les épaules d’une entreprise. « On est attendus par encore plus de monde », admet Thomas, mais la société garde la tête froide : les futurs clients savent de quoi il retourne, le projet Kickstarter et sa vidéo ayant beaucoup tourné. Néanmoins, « il n’y a pas eu encore de diffusion large, donc pour nous oui, c’est plus de pression, une forte attente » ; dans les réunions publiques ou durant les présentations données ici ou là, la Pebble Time est évidemment au centre de l’attention. « Ça fait très plaisir de voir du monde qui partage notre vision de la montre étanche, avec sept jours d’autonomie, avec l’écran allumé en permanence… ».
Timeline : une nouvelle manière de voir le temps
En dehors du design de la Pebble Time et du choix de matériaux plus haut de gamme, l’innovation de cette nouvelle montre réside dans le logiciel et tout particulièrement dans le concept de timeline. « On cherchait un moyen de lancer les applications plus facilement, parce que naviguer dans le menu, ce n’est pas forcément très pratique, ça demande beaucoup d’actions pour arriver à l’information désirée. L’an dernier, on a lancé un système de raccourci avec un appui long sur un bouton pour lancer une application, mais on n’était pas complètement satisfaits ».
La timeline correspond à la volonté d’offrir un moyen plus simple et plus efficace de consulter du contenu depuis le poignet tout en cassant le moule des applications traditionnelles. « Il y a aussi eu une réflexion sur ce que doit être une application à porter au poignet. Aujourd’hui sur un smartphone, les gens ont beaucoup d’applications et ils ne vont plus tellement dans les boutiques pour rechercher de nouvelles applications ; il y en a tellement que tu ne sais plus comment les choisir, parce qu’il y en a beaucoup trop ». D’où l’idée d’afficher des informations contextuelles : « c’est quelque chose qui nous trottait beaucoup dans la tête, pour laquelle on avait vraiment envie de faire quelque chose ».
Mais pas question de singer Google Now, même si le principe des cartes contextuelles du moteur de recherche a inspiré Pebble. « On n'était pas forcément super satisfaits de l'expérience, parce qu'on ne sait jamais vraiment ce qui va apparaître et on n'a pas l'impression d'avoir le contrôle ». Le concept de timeline a éclos il y a un an (les bonnes idées étant dans l’air, Apple y a songé aussi pour sa Watch, avant de l’abandonner). Et le moyen le plus simple d'afficher une information sur une montre, c'est en utilisant sa fonction première : l'affichage de l’heure.
Sur cette échelle du temps (la timeline) se trouvent des pins qui techniquement, ressemblent à des notifications, comme sur iOS ou Android. L’exception ici est que ces pins, associés à des moments spécifiques, peuvent être mis à jour. « À ces éléments, on peut rattacher des notifications, des rappels, une vibration… Ces messages resteront dans la timeline et ils pourront être mis à jour. C’était très important dans notre vision : si la notification est un événement sportif, le score sera mis à jour en temps réel, pareil pour un billet d’avion avec le numéro de la porte d’embarquement », explique Thomas.
Pour éviter l’engorgement et le trop-plein d’informations, Pebble a délibérément choisi une limite : « Pas plus de 24 heures dans le passé, pas plus de 24 heures dans l’avenir ». Ces pins piochent dans des applications qui pourront être lancées depuis ces mêmes notifications. Thomas tient d’ailleurs à rappeler que, malgré la timeline, les apps au fonctionnement traditionnel sont toujours disponibles sur Pebble : « Il y a un menu dans lequel il est possible de naviguer et sélectionner une application. Il y a des applications qui ne vont pas du tout rentrer dans la timeline ».
Ce concept (on est loin des Coups d’œil de l’Apple Watch ou des cartes de Google Now, malgré une certaine familiarité) semble très pertinent sur le papier, mais il est difficile à imaginer à moins de le décrire encore et encore. Pebble en a conscience : selon Thomas, « la pédagogie [de l’utilisateur] va être très importante ». Le meilleur moyen de faire comprendre ce principe passe tout simplement par l’exemple et la simplicité du fonctionnement : « On ne veut pas donner l’impression à l’utilisateur qu’on lui explique quelque chose ou qu’il doit lire un manuel, ça ne fait pas très 21e siècle. On veut que les gens comprennent par eux même ».
Au déballage, la montre proposera immédiatement de récupérer les rendez-vous de l’utilisateur, ainsi que la météo de sa localisation. Le temps qu’il fait s’affichera le matin au réveil et le soir au coucher du soleil. « On proposera aussi un certain nombre d’expériences liées au premier démarrage : la Pebble va demander à l’utilisateur s’il aime le football ou le basket, afin de suivre uniquement ces événements-là sur la montre. On montrera ainsi aux gens le fonctionnement de la timeline, ce que sont les pins et comment ils fonctionnent ».
La communauté des développeurs choyée
Pour résister face aux poids lourds que sont Google et Apple, Pebble a très tôt voulu créer son propre écosystème logiciel. Plusieurs éditeurs de premier plan ont adapté leurs logiciels et leurs services au format Pebble, et malgré le lancement à venir de l’Apple Watch, Thomas reste serein. « Je n’ai pas eu l’impression pour le moment qu’Apple ait poussé très fort les développeurs pour qu’ils conçoivent des applications, mais peut-être que c’est en train de venir ». La montée en charge de ces derniers jours va clairement se poursuivre jusqu’au 24 avril, Apple ayant ouvert en grand les portes de l’App Store à tous les développeurs.
Peaufiné depuis deux ans, le kit de développement de Pebble est mature, alors que l’API d’Apple est « encore assez limitée ». Le SDK se décline en deux versions : un outil à télécharger sur OS X ou Linux (« sous Windows, il faut utiliser une machine virtuelle »), ou un environnement en ligne cloudpebble.net. Cette solution tout internet permet de développer une application complète, de la tester et même de la soumettre dans la boutique de Pebble. Par sa nature, cet environnement dans le nuage est ouvert à Windows et on peut même complètement développer depuis une tablette.
« Cette solution est utilisée par une grande majorité de nos développeurs, on y a investi énormément de ressources et d’efforts. C’est le moyen principal pour développer des applications Pebble et Pebble Time, avec l’émulateur qui permet de simuler une application en couleurs et son interaction avec la timeline », décrit Thomas. Qui précise que le développement pour Pebble ne posera aucune difficulté à celui qui s’est déjà frotté à un Arduino ou à l’Objective-C (langage de programmation d’Apple).
Des bracelets plus intelligents que la moyenne
Une des innovations peu médiatisée de la Pebble Time est la possibilité laissée aux développeurs et aux fabricants d’accessoires de concevoir des smart straps, en bon français des bracelets intelligents qui intègrent des fonctions qui, de base, ne sont pas proposées dans la montre. « Beaucoup de gens nous demandent : ‘’Pourquoi ne pas avoir intégré de cardiofréquencemètre ? Un GPS ? Le Wi-Fi ? La NFC ?’’ Il y a plein de très très bonnes idées ». Reste que les concepteurs de Pebble veulent se concentrer sur les fonctions de base, sans trop se diversifier, au risque sinon de perdre de vue ce qui est indispensable à l’expérience Pebble.
Le connecteur quatre broches au dos de la montre, qui fait office de port série (et de port de recharge) sur lequel les bracelets viennent se connecter, est un moyen pour Pebble de dire : « On reste concentré sur le produit, mais on ne prétend pas qu’il doit s’arrêter là. Nous voulons laisser la possibilité à d’autres d’améliorer le produit et d’aller plus loin ». Pebble a tout de même pensé à plusieurs types de bracelets, « sur lesquels on travaille avec des sociétés pour les mettre à disposition assez rapidement ».
Ces accessoires sont « très importants » : un GPS permettra ainsi de courir sans avoir à transporter le téléphone, une batterie souple offrira une autonomie d’un mois, et on pourra ajouter au poignet cardiofréquencemètre et capteurs fitness. Autres clients potentiellement intéressés : les professionnels, et notamment le monde médical. « Beaucoup de sociétés utilisaient Pebble dans le cadre de solutions médicales, pour de la recherche sur la maladie de Parkinson ou le diabète. On sait que ces gens-là sont très intéressés par la possibilité de se connecter directement à la montre ».
Si les bracelets équipés de batterie peuvent alimenter la montre, l’inverse est aussi vrai : les smart straps peuvent tirer leur énergie de la batterie de la Pebble (qui propose une autonomie de 7 jours en standard, de 10 jours sur la Pebble Time Steel). Ce sera utile dans le cas de capteurs qui ne nécessitent pas beaucoup d’énergie. L’un des atouts de la Pebble est son étanchéité, mais ce ne sera malheureusement pas le cas des bracelets. « C’est possible de concevoir des smart straps étanches, mais ce sera plus difficile et on pense que la plupart ne le seront pas. Ce ne devrait toutefois pas être un problème », tempère Thomas.
On était une des premières start-ups hardware sur Kickstarter. La révolution du matériel est en train d’arriver, c’est quelque chose de très intéressant qu’on veut supporter à notre tour. Avec smart strap, on dit aux gens qui ont une idée et qui veulent construire quelque chose : c’est possible. C’est aussi la raison pour laquelle on a créé ce fonds à un million de dollars pour soutenir les projets issus du financement participatif.
Le lancement de l’Apple Watch, à partir du 10 avril (à 9h01), est considérée comme une opportunité par Pebble. « Le fait qu’Apple se mette à faire un produit très similaire au notre, c’est une énorme validation, une confirmation de ce qu’on fait. Ils y croient. On a vu juste sur le fait que les montres connectées étaient quelque chose de pertinent. Ça semble presque évident aujourd’hui, mais il y a un an et demi, beaucoup de gens étaient sceptiques ».
Pebble joue aussi crânement la carte tarifaire. « Tous les utilisateurs iOS n’iront pas dépenser 350$ et plus dans une montre. Aujourd’hui, Pebble offre une alternative beaucoup moins chère, et complète d’un point de vue fonctionnel. On a quand même beaucoup d’atouts pour se défendre ». Un argument qui pourrait effectivement porter, puisque la Pebble Time est proposée à 199$.
Tout semble en place pour faire de la Pebble Time le prochain succès du constructeur, qui continue d’offrir une troisième voie entre Android Wear et l’Apple Watch. La plateforme logicielle et matérielle de Pebble va gagner en richesse et lui permettre d'asseoir une position déjà solide.
Mais au delà des parts de marché, le point le plus important pour l’entreprise est de conserver et de renforcer sa communauté, conclut Thomas. « On peut nous souhaiter de continuer à avoir une communauté aussi riche et inventive, ça a toujours été un aspect très important de Pebble. On n’a pas ces millions de dollars qu’Apple investit en marketing, mais on a une communauté qui s’en occupe. C’est ça qu’on veut conserver dans le futur ».