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« J’ai peur » : Apple joue ses clients contre l’Union européenne pour attaquer le « désastre » du DMA

Anthony Nelzin-Santos

vendredi 01 mars 2024 à 22:00 • 307

App Store

Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft n’ont plus qu’une semaine pour respecter jusqu’à la moindre virgule du Digital Markets Act. Parmi ces six gatekeepers dont le gigantesque pouvoir impliquera d’immenses responsabilités pour préserver l’équité de l’« économie numérique », Apple est indubitablement celui qui renâcle et rouscaille le plus. Comme si elle devait encore répéter tout le mal qu’elle pense de la législation européenne, la firme de Cupertino publie un étrange pamphlet de 32 pages mêlant arguments sécuritaires et… courriers électroniques envoyés à Tim Cook. Les clients de l’une contre les citoyens de l’autre, Apple ouvre un nouveau front dans sa bataille de communication contre l’Union européenne.

Image Apple.

Apple répète avoir créé « plus de 600 nouvelles API et nouveaux outils de développement » pour se conformer aux exigences du DMA, un chiffre censé prouver l’importance du travail accompli, jusqu’à ce que l’on se souvienne qu’iOS compte plus d’un quart de million d’interfaces de programmation. Reste que les ouvertures imposées par le DMA remettent directement en cause le modèle économique de l’écosystème intégré d’Apple : paiement en-dehors de l’App Store, équité des classements d’applications, possibilité d’installer des boutiques et des navigateurs tiers, débridage de la puce NFC…

« Nous ne pourrons pas protéger les utilisateurs de la même manière » assure l’entreprise la plus riche de la planète, soudainement incapable de prévenir une catastrophe sécuritaire, alors qu’elle disait « concevoir des protections de sécurité pour empêcher quiconque d’autre que l’utilisateur d’accéder aux données de son iPhone ». Cela voudrait-il dire que le Mac, autrement plus ouvert que l’iPhone ne le sera avec iOS 17.4, serait une plateforme dangereuse ? Bien sûr que non : Apple renverse la tactique du FUD (peur, incertitude et doute) longtemps utilisée à son encontre.

La firme de Cupertino répète la même chose depuis des mois : en desserrant l’emprise d’Apple sur l’iPhone, le DMA mettrait en danger l’équilibre du modèle sécuritaire d’iOS et, partant, les utilisateurs européens. Comme la sécurité et la confidentialité sont devenues des arguments commerciaux, la firme à la pomme doit tenir un double langage pour rassurer ses clients, façon « c’est moins sécurisé mais ce n’est pas dangereux ». Accords contractuels, notarisation, modération de l’App Store, permissions du système, messages d’information… Apple rappelle tous les garde-fous entourant cette ouverture très contrôlée.

« Cher Tim » : ce document prend une tournure inattendue lorsque les arguments sécuritaires plus ou moins défendables laissent place aux « vrais courriers reçus par Tim Cook sur les changements apportés à l’iPhone dans l’Union européenne ». Apple cite seize courriers de clients anonymes « exprimant leur crainte que ces changements fassent peser un risque sur leurs appareils et ceux de leur famille. » Ces messages révèlent surtout la fragilité de la position de l’entreprise californienne :

En tant que citoyen européen (…) je n’autoriserai pas le sideloading sur mes appareils.

Je comprends que, dans le cadre de la nouvelle règlementation, je ne suis pas obligé de télécharger des applications en-dehors de l’App Store.

Tout change en théorie, mais rien ne change en pratique, du moins sans action volontaire de l’utilisateur. Pire, certains messages renforcent les arguments des législateurs européens et internationaux en montrant bien la puissance de l’effet de levier de l’App Store :

Si je voulais un système d'exploitation open source comme Google ou Samsung, je les aurais achetés (sic). La principale raison pour laquelle j’ai acheté un téléphone Apple, c’est parce que vous êtes un iOS fermé (sic) et qu’iOS est plus sûr qu’Android. Mais si vous ouvrez les portes et que vous n’êtes plus aussi sécurisés, alors je pourrais tout aussi bien passer à autre chose. S’il-vous-plait, gardez iOS fermé.

J’utilise des appareils Apple depuis plus de dix ans et je pense que l’App Store est le cœur des appareils iOS/iPadOS. Ce sera un désastre pour les utilisateurs actuels et futurs d’iOS si vous autorisez le sideloading sur iOS…

Bientôt, vous n’aurez plus rien pour vous différencier. Cette décision va affecter beaucoup de mes amis et des membres de ma famille qui comptent sur la capacité de l’iPhone de les protéger des malandrins. Je vais avoir du mal à justifier qu’ils dépensent de l’argent pour un iPhone, maintenant…

Je ne veux vraiment pas installer cette mise à jour. J’ai peur. J’ai vraiment peur de cette mise à jour et je pense qu’elle rend l’iPhone un peu moins sûr qu’il ne l’est.

Peur, incertitude et doute… Si cela ne suffisait pas, Apple cite des « agences gouvernementales » tout aussi anonymes, dans les domaines de la sécurité et des services bancaires, qui veulent empêcher l’installation de boutiques tierces pour des raisons de sécurité. « Une agence gouvernementale de l’Union européenne nous a informé qu’elle ne disposait ni des fonds ni du personnel pour examiner et approuver les applications de ses appareils », s’enorgueillit la firme à la pomme, « et qu’elle prévoit donc de s’appuyer sur Apple et l’App Store parce qu’elle nous fait confiance. »

« Android autorise le sideloading depuis ses débuts », dit enfin Apple, « mais il semble que Google reconnaisse que cette pratique puisse mettre en danger les utilisateurs nécessitant un haut degré de sécurité », avant de citer le programme de « protection avancée » s’adressant notamment aux journalistes et aux activistes. Quand Apple prend Google à témoin, façon « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », c’est qu’il y a vraiment péril en la demeure…

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