Douze ans que l’on attendait ça ! 1 Les rumeurs annonçant l’arrivée « prochaine » sur iPad de Logic Pro et de Final Cut Pro ont commencé immédiatement après les adaptations de GarageBand et d’iMovie en 2011. Après tout, les applications professionnelles reposent sur les mêmes fondations que les applications domestiques et les tablettes utilisent les mêmes puces que les ordinateurs. Des « fuiteurs » soi-disant bien informés annonçaient encore leur lancement en 2024 et 2025… une semaine avant qu’elles ne soient annoncées par surprise !
Une double surprise, même. Apple ne s’est pas contenté d’adapter Logic Pro et Final Cut Pro aux écrans tactiles, mais a subtilement repensé le flux de travail pour les besoins de la clientèle de l’iPad. La barrière à l’entrée est considérablement abaissée, puisque les applications sont… gratuites ! Après un mois d’essai, l’abonnement coute une cinquantaine d’euros par an. Faut-il préparer la carte bleue ? La réponse dans notre premier aperçu de Final Cut Pro pour iPad.
Disons-le d’emblée : Apple réserve son application de montage virtuel non linéaire aux tablettes munies d’une puce M1 ou M2. Pour installer Final Cut Pro, vous devrez donc posséder un iPad Pro 12,9" de cinquième ou sixième génération, un iPad Pro 11" de troisième ou quatrième génération, ou bien un iPad Air de cinquième génération. Les fonctionnalités de montage multiflux en ProRes requièrent même une puce M2.
Si votre iPad est plus ancien et moins puissant, vous devrez vous contenter d’iMovie… ou continuer de trimbaler votre Mac. Apple ne fait pas de cadeau, mais ne se moque pas du monde pour autant. La version iPad de Final Cut Pro prend en charge les fichiers ProRes RAW, peut traiter les vidéos tournées en HDR ou avec le mode « Cinématique » et permet de commencer le travail de colorimétrie avec une LUT, entre autres fonctionnalités nécessitant un peu de puissance de calcul.
Le visualiseur et le chutier se partagent la moitié supérieure de l’écran, la timeline occupe la moitié inférieure, l’interface est immédiatement familière. Les manipulations sont naturelles — ce n’est tout de même pas le premier éditeur adapté à l’iPad, ni même le premier édité par Apple, et quelques générations ont monté avec leurs doigts et une lame de rasoir2. Reste que les doigts sont moins précis qu’un curseur et qu’il n’est pas toujours facile d’affiner une coupe à la microseconde.
Qu’à cela ne tienne, vous pouvez utiliser un clavier pour retrouver vos raccourcis habituels, mais aussi le Pencil pour retrouver la précision d’un curseur. N’allez pas croire qu’il s’agit d’une simple transposition de la version Mac : Apple tire parti de la fonctionnalité du survol du Pencil pour proposer un nouvel outil de sélection des images et intègre une molette tactile pour faciliter le déplacement parmi les séquences et l’élagage des plans.
La plupart des fonctions trouvent leur place sur le « petit » écran de l’iPad : les masques de suppression de scène et les arrière-plans dynamiques permettant de réaliser des incrustations, la bibliothèque de morceaux libres de droits dont la durée s’ajuste automatiquement selon la longueur des plans, l’isolation de la voix pour éliminer le bruit de fond, les titres dynamiques et les effets, les sous-titres…
Apple a même prévu un éditeur multi-angles ! Final Cut Pro peut synchroniser automatiquement jusqu’à quatre angles avec leur piste sonore, tout en vous laissant la possibilité d’ajuster le calage et de choisir une piste principale. Changer d’angle est aussi simple que de toucher une vignette sous la timeline — LumaFusion perd un argument, mais son « Multicam Studio » est plus puissant et plus flexible, et peut gérer deux angles de plus.
Si cela ne suffisait pas, Apple a cru bon d’intégrer une caméra au sein de Final Cut Pro. Vous pouvez changer la mise au point avec une molette et la balance des blancs avec un menu, vérifier l’exposition avec des zébras et le niveau avec une grille, enregistrer le son de micros externes et l’image au format ProRes. C’est chouette, mais cela mériterait presque une application à part entière (disons qu’elle s’appelle Filmic Pro).
Final Cut Pro peut importer les projets iMovie créés sur iPhone ou iPad, mais pas les projets Final Cut Pro créés sur Mac. L’application ne peut d’ailleurs pas importer directement des fichiers depuis un support externe, Apple considère que le meilleur disque scratch est le disque interne, il faut bien justifier l’existence de l’iPad Pro 12,9" avec 2 To de stockage.
Blague à part, cette application a surtout été conçue pour monter des séquences tournées avec un iPhone ou un iPad et synchronisées avec iCloud. À la limite, elle pourra servir pour réaliser un rough cut avant de finir sur Mac, puisque l’échange fonctionne dans ce sens. Aussi complète soit la version iPad, les fonctionnalités de suivi des objets, de traitement des vidéos à 360º et d’étalonnage colorimétrique avancé restent l’apanage de la version Mac, sans parler des plug-ins.
Mais on peut imaginer un monde dans lequel Final Cut Pro pour iPad se suffit à elle-même. En reprenant la fonctionnalité de « conformité intelligente » de sa grande sœur, elle répond parfaitement aux besoins de « créateurs de contenus » qui envoient une version horizontale sur YouTube et une version verticale sur TikTok. Apple propose d’ailleurs tout un tas de profils d’exportation adaptés aux différentes plateformes.
Final Cut Pro s’est taillé une niche parmi la génération YouTube qui approche doucement de la quarantaine3, mais Apple peine à convaincre cette nouvelle génération qui « monte » des clips avec CapCut sur son iPhone. Ce n’est pas lui faire injure que de voir cette version iPad comme un « iMovie Pro » s’adressant aux créateurs indépendants voulant franchir un cap de qualité et de compétences.
Ce qui nous amène à la question du prix. Alors que Final Cut Pro pour Mac est proposée avec une licence perpétuelle à 349,99 €, Final Cut Pro pour iPad est proposée sous abonnement. Lorsque vous aurez arrêté de ronchonner, vous vous rendrez peut-être compte que l’une des toutes meilleures applications de montage virtuel non linéaire peut maintenant être utilisée gratuitement pendant un mois et pour 4,99 € les mois suivants.
Quiconque souhaite mettre un orteil dans l’eau peut maintenant le faire pour le prix d’un café dans une certaine enseigne américaine dont le nom commence par « Star » et finit par « Bucks ». Au rythme de 49 € par an, il leur faudra nager pendant huit ans avant de rattraper le cout de la licence perpétuelle. Ce n’est pas volé — Adobe Premiere Rush, pour ne citer qu’un seul exemple, vaut 5,49 € par mois ou 37,99 € par an.
Cette première version, qui s’appuie sur douze ans de développement de Final Cut Pro X, apporte autant de réponses qu’elle pose de questions. La version Mac va-t-elle adopter le même modèle économique ? Apple sera-t-elle capable de synchroniser le développement des deux applications ? La version iPad prendra-t-elle en charge les plug-ins ? Vais-je enfin me remettre à la vidéo grâce à cette nouvelle application ? Réponse, espérons-le, dans les prochains mois.