Quand il s'agit de sa commission de 30%, Apple n'est pas du genre à rigoler. Avec la pandémie et les mesures de confinement, les applications ClassPass et Airbnb ont commencé à vendre des cours à distance : du yoga pour la premiÚre ; de la cuisine, de la méditation ou encore des spectacles de drag-queens pour la seconde. Contrairement aux réservations de cours dans les salles de gym pour ClassPass et les locations touristiques de courte durée pour Airbnb qui ne sont pas soumises à la dßme d'Apple, ces nouvelles activités doivent rapporter au constructeur, explique le New York Times.
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Apple a donnĂ© un mois Ă ClassPass pour se conformer Ă sa rĂšgle d'airain. Or, l'application reverse 100% des revenus gĂ©nĂ©rĂ©s par la vente de cours virtuels aux salles de gym qui sont toutes actuellement au bord de la faillite. Si ClassPass devait obĂ©ir Ă la Pomme, cela signifierait que le constructeur gratterait 30% des revenus dĂ©jĂ trĂšs maigres de ces salles⊠Dans un contexte oĂč Apple communique gĂ©nĂ©reusement sur ses initiatives pour combattre le coronavirus, ça la fiche mal.
Début avril, à la faveur du confinement, Airbnb a renforcé son offre de classes virtuelles lancées en 2016 : cours de cuisine avec de grands chefs ou encore entraßnements à domicile avec des athlÚtes. Peu de temps aprÚs, Apple a sonné à la porte, sébile en main, pour réclamer ses 30%.
Apple se retranche derriĂšre l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral pour expliquer ce tour de vis. L'entreprise explique (sans rire ?) ne pas vouloir gĂ©nĂ©rer de revenus Ă tout prix, mais qu'elle essaie simplement d'appliquer une rĂšgle en vigueur depuis 2010 et la mise en place des achats intĂ©grĂ©s. Dans ces deux cas, ne pas prĂ©lever de commission serait « injuste » vis Ă vis des autres applications proposant des services identiques depuis des annĂ©es, et qui paient ces 30%.
Dans le cas d'Airbnb, Apple continue de nĂ©gocier : les « expĂ©riences virtuelles » vont se poursuivre tant que le tourisme ne reviendra pas Ă la normale. Le constructeur relĂšve que la plateforme n'a jamais rien payĂ©, mĂȘme si l'App Store a permis au service de devenir une multinationale. On pourrait retourner l'argument : l'iPhone perdrait en attractivitĂ© si l'app d'Airbnb n'Ă©tait pas disponible sur iOS. Si Airbnb ne pliait pas, Apple menace tout simplement de retirer l'application de sa boutique.
Des rÚgles claires et cohérentes, sauf quand elles ne le sont pas
Apple contredit ClassPass, en prĂ©cisant avoir donnĂ© jusqu'Ă la fin de l'annĂ©e pour respecter ces histoires de commission. « Pour s'assurer que chaque dĂ©veloppeur peut crĂ©er et dĂ©velopper une entreprise prospĂšre, Apple maintient un ensemble de rĂšgles claires et cohĂ©rentes qui s'appliquent de la mĂȘme maniĂšre Ă tout le monde », soutient le constructeur.
On serait tenté d'ajouter que ce n'est pas vraiment le cas : plusieurs fournisseurs de contenus, dont Amazon, bénéficient d'un passe-droit bien peu transparent pour louer et vendre des films directement depuis leurs applications sans passer sous les fourches caudines du systÚme d'achats intégrés de l'App Store (lire : Que cache le passe-droit accordé par Apple à Amazon, Canal+ et Altice ?).
Et puis toutes les catĂ©gories d'applications ne sont pas soumises au mĂȘme rĂ©gime. Les services de VTC, de livraison de repas, les plateformes de streaming (Netflix et Spotify), de livres numĂ©riques (Kindle), d'hĂ©bergement en ligne (Dropbox), sont exemptĂ©s de commission. Pour peu qu'ils ne communiquent pas dans leurs applications le moyen de s'abonner ou d'acquĂ©rir du contenu par un autre biais que celui de l'App Store.
Et encore, cette rĂšgle est Ă gĂ©omĂ©trie variable en fonction du modĂšle Ă©conomique du service⊠et parfois de l'Ăąge du capitaine et de la vitesse du vent. L'application de gestion d'e-mails HEY en a fait les frais, et mĂȘme si la controverse a fini par s'Ă©teindre, l'app a dĂ» se plier aux dĂ©sidĂ©ratas d'Apple et modifier sa stratĂ©gie (lire aussi : Affaire HEY : Apple n'a pas l'intention de cĂ©der).
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Un article de Bloomberg confirme l'appétit vorace d'Apple pour sa commission. Ses équipes encouragent souvent des développeurs d'apps de premier plan à intégrer le systÚme d'achats intégrés et d'abonnements de l'App Store. Le message sous-jacent étant : votre app bénéficie des atouts de l'App Store sans contribuer à son succÚs financier, il est temps que ça change.
Un discours entendu aussi durant l'affaire HEY : Apple avait envoyé un courriel à l'éditeur Basecamp pour bien lui faire comprendre que ses différentes applications étant gratuites, elles ne rapportaient rien à la boutique. Au moins, c'est dit avec franchise⊠Apple cherche à défendre sa commission en expliquant que 30% est un niveau commun à de nombreuses autres boutiques (lire : Apple finance une étude qui défend les 30% de commission de l'App Store).
Mais la commission n'est qu'un aspect du problĂšme. Sur iOS, le seul moyen de distribuer des applications, c'est d'en passer par l'App Store. Apple a aussi Ă©tĂ© prise les doigts dans le pot de confiture Ă patouiller les classements de sa boutique en faveur de ses propres applications. La cohĂ©rence de certaines dĂ©cisions peut aussi ĂȘtre interrogĂ©e (lire : La fronde des dĂ©veloppeurs contre les pratiques d'Apple)âŠ
C'est demain que Tim Cook sera interrogĂ© au CongrĂšs amĂ©ricain sur les pratiques d'Apple en la matiĂšre, entre autres dossiers chauds. La Commission europĂ©enne a aussi lancĂ© une enquĂȘte sur le sujet.
Edit â Avec l'interview de Phil Schiller.