Si Apple voulait donner des munitions supplémentaires à Margrethe Vestager, l'opiniâtre commissaire européenne à la concurrence, l'entreprise ne s'y serait pas prise autrement. Le jour même de l'annonce de l'enquête formelle de la Commission sur les pratiques de l'App Store, la Pomme a décidé de partir à l'assaut de l'éditeur Basecamp, qui a lancé son nouveau service de courriel HEY aujourd'hui.
Le service est vendu sous forme d'abonnement (99 $ par an), il faut souscrire directement depuis le site web de l'éditeur. Bien sûr, HEY a une application iOS, mais si la version 1.0 a été acceptée par l'App Store, les mises à jour suivantes ont été rejetées. Elles se contentaient pourtant de corriger des bugs.
Les réviseurs de la boutique ont expliqué à l'éditeur que l'app ne respectait pas la règle 3.1.1 des guidelines consacrées aux achats intégrés : les apps qui proposent de déverrouiller du contenu ou des fonctions supplémentaires (comme de la monnaie virtuelle dans un jeu ou l'accès à du contenu premium sur abonnement) doivent facturer avec le système de l'App Store.
HEY doit donc vendre ses abonnements depuis son application, ce qui implique le versement d'une commission de 30% due à Apple (15% la deuxième année d'abonnement). « Même dans un million d'années, il n'y a aucune chance que je verse à Apple un tiers de mes revenus, c'est obscène, c'est criminel », s'enflamme David Heinemeier Hansson (DHH) cofondateur de Basecamp et directeur technique, auprès de Protocol.
L'affaire est loin d'être terminée : dans un long fil sur Twitter, DHH explique qu'Apple menace désormais de retirer purement et simplement l'application tant que Basecamp ne se pliera pas à la volonté d'Apple. Le problème est sans doute lié à la nature particulière du modèle de HEY, qui n'est pas un fournisseur de contenus à la Netflix ou Spotify. Ces plateformes se sont affranchies des achats intégrés de l'App Store sans que cela pose de problème à Apple.
Le poids de la commission prélevée par Apple sur les achats intégrés et les abonnements pèse de plus en plus lourd pour les éditeurs. C'est d'ailleurs Spotify, particulièrement remonté contre cette politique de la Pomme, qui a allumé la mèche de l'enquête de Bruxelles. Apple parle de « plaintes sans fondement d'une poignée d'entreprises voulant profiter du système gratuitement, en ne suivant pas les mêmes règles que tout le monde ».
Mais en s'attaquant à HEY, Apple a misé sur le mauvais cheval : DHH n'a pas sa langue dans la poche et il sait se montrer particulièrement féroce. Il a même témoigné devant le Congrès américain dans le cadre d'une enquête sur les pratiques anticoncurrentielles des géants de la tech. À quelques jours de l'ouverture de la WWDC, l'opacité des décisions d'Apple — qui peut avoir une justification valable, mais l'entreprise n'en parle jamais sauf cas exceptionnel — sonne comme un bien mauvais signal envoyé aux développeurs.
Mise à jour — Apple a expliqué à Protocol que l'application HEY n'aurait pas dû être approuvée tout court. Le constructeur précise qu'elle autorise ce genre d'apps, mais uniquement celles à destination des utilisateurs en entreprises, pas du grand public. C'est pourquoi l'App Store autorise l'application Basecamp — publiée par le même éditeur que HEY —, qui est utilisée par des entreprises pour leur gestion au quotidien. Pour HEY, Apple reste ferme sur son exigence : l'application doit proposer un achat intégré passant par l'infrastructure de la boutique, et donc par une commission.