Il y avait quelque chose qui clochait dans le moteur de recherche de l'App Store. Quiconque s'est un jour servi de cet outil a pu se rendre compte qu'il n'était pas la panacée pour trouver une app… Il se trouve aussi que l'algorithme a favorisé, pendant des années, les propres applications d'Apple au détriment de la concurrence.
Une enquête du New York Times, basée sur des statistiques de Sensor Tower, montre par exemple qu'en septembre 2013, l'app Spotify était le premier résultat d'une recherche avec le terme « music ». En juin 2016, après le lancement d'Apple Music, c'est l'app de streaming d'Apple qui a pris la première place, reléguant Spotify en quatrième position.
En février 2018, patatras : les six premiers résultats de cette recherche sont constitués d'applications Apple. Spotify est rendu à la 8e place. En décembre dernier, les applications d'Apple squattent les huit premières places, Spotify étant relégué aux profondeurs du classement (23e position !).
En avril 2019, après la plainte de Spotify auprès de la Commission européenne, Spotify revient en quatrième place, alors que des apps d'Apple continuent d'occuper les deux premières positions. Autre exemple : en mai 2018, une recherche avec le mot « podcast » retournait 14 (!) apps Apple avant de tomber sur une application tierce.
Selon l'analyse du NYT qui porte sur les six dernières années, les apps d'Apple apparaissaient encore récemment dans les premières positions des résultats d'une recherche sur l'App Store, pour la recherche d'au moins 700 termes. Depuis juin 2016 et l'apparition dans la boutique des applications Apple préinstallées dans iOS, ces dernières apparaissent au sommet des résultats d'une recherche, tandis que les apps de la concurrence passent après.
Devant ces résultats accablants, deux dirigeants d'Apple ont reconnu que « pendant plus d'un an »1, les premiers résultats pour la recherche de mots communs sur l'App Store étaient remplis d'applications Apple, même si ces dernières étaient moins pertinentes et populaires que les apps de la concurrence…
Ces cadres ont assuré qu'Apple a depuis « ajusté » l'algorithme afin que moins de ses propres apps apparaissent au sommet des résultats. Phil Schiller le grand patron de l'App Store, et Eddy Cue (qui supervise un grand nombre d'apps Apple), ont assuré que la Pomme n'altérait pas manuellement les résultats d'une recherche App Store pour le bénéfice de ses propres applications.
L'algorithme présente les apps maison parce qu'elles sont généralement plus populaires (et pour cause…), et en raison de leurs noms génériques qui correspondent généralement aux requêtes dans le moteur de recherche. « Il n'y a rien dans la manière dont fonctionne le moteur de recherche de l'App Store qui fait en sorte de favoriser le téléchargement de nos propres applications », se défend Phil Schiller. « Nous affichons les résultats selon ce que nous pensons que les utilisateurs veulent ». On aurait pu ajouter : il arrive parfois qu'ils recherchent autre chose que des apps Apple.
Le constructeur ne révèle pas la « sauce secrète » de son algorithme, mais indique qu'il a été modifié en juillet pour faire en sorte que les apps maison ne donnent pas l'impression de bénéficier d'un traitement spécial. De fait, beaucoup d'entre elles sont descendues dans les résultats. Coïncidence (ou pas), c'est aussi en juillet qu'une précédente enquête, du Wall Street Journal cette fois, s'intéressait au favoritisme de l'App Store envers les applications d'Apple (lire : Le moteur de recherche de l'App Store accusé de favoriser les applications d'Apple).
Le NYT a pu rencontrer (sur supervision d'Apple) la petite équipe d'ingénieurs en charge de l'algo de recherche de l'App Store. Pendant des mois, ils n'auraient pas relevé qu'il favorisait les apps d'Apple, mais après s'en être rendu compte, ils ont décidé de changer la formule. 42 critères entrent en ligne de compte dans la mécanique des résultats d'une recherche dans la boutique, dont le classement des apps, leur pertinence par rapport à une recherche donnée, la popularité basée sur le nombre de téléchargement et les clics des utilisateurs.
Malgré l'évidence, aussi bien Schiller que Cue nient qu'il y avait un problème nécessitant d'être corrigé : « [l'algorithme] n'a pas été corrigé » pour le premier, tandis que le second précise qu'il a été « amélioré ». Les deux vice-présidents estiment que l'algo fonctionne normalement, mais qu'ils ont décidé de se coller un « handicap » afin d'« aider » les autres développeurs. « Nous faisons des erreurs tout le temps », s'excuse Cue. « Nous sommes heureux de l'admettre, mais ce n'était pas une erreur », précise Schiller.
Des mots choisis avec soin, et pour cause : Apple est sous le coup de plusieurs enquêtes, les régulateurs européen et américain s'intéressant de près aux pratiques de l'App Store (lire : Monopole ou pas monopole ? Apple défend le modèle économique de l'App Store).
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Apple assure ne pas pouvoir vérifier sur le plus long terme car l'entreprise ne conserve pas d'enregistrement de l'historique des recherches… ↩