Au sommet de l’App Store trône un « conseil exécutif » (ERB pour « executive review board ») qui valide ou rejette en dernier lieu les applications problématiques. Ce conseil, présidé par Phil Schiller et qui compte plusieurs vice-présidents d’Apple, se réunit chaque semaine. On lui doit notamment la suppression de l’application Infowars en raison de la publication de menaces envers un journaliste (lire : Infowars : Apple retire l'app d'Alex Jones de l'App Store).
CNBC, qui a obtenu de plusieurs sources internes ce coup d’œil inédit dans la mécanique de la boutique d’Apple, révèle également que chaque application et mise à jour passent entre les mains d’un humain1. Les équipes du département Worldwide Developer Relations, alias App Review, comptent 300 employés Apple (ce ne sont pas des sous-traitants, au contraire de ce qui peut se passer chez Facebook). Ces effectifs sont répartis un peu partout dans le monde, dont Cork en Irlande et Shanghai en Chine ; le gros des troupes se trouve à Sunnyvale, en Californie.
Ces employés ont un quota de 50 à 100 apps à viser chaque jour. Un logiciel spécifique, Watchtower, mesure le nombre d’applications évaluées chaque heure ; ce volume semble important, mais la plupart des apps ne nécessitent que quelques minutes. Il s’agit de s’assurer qu’elles ne présentent aucun contenu illégal ni qu’elles plantent. Les débutants commencent avec des apps pour iPhone (qui sont d’ailleurs souvent testées sur des iPad), puis en gagnant de la bouteille ils passent à des apps contenant des achats intégrés, des abonnements, des apps Apple Watch et Apple TV.
Au contraire des modérateurs de Facebook qui sont confrontés au pire de ce que l’être humain peut produire, les employés du département App Review sont généralement épargnés par les images trop violentes ou les discours de haine. Il leur arrive toutefois de tomber sur du contenu illégal, comme de la pédopornographie. Dans ce cas, l’application n’est bien sûr pas approuvée et l’affaire remonte au FBI.
Il peut y avoir des coups de chaud, en particulier après la WWDC et le lancement par Apple de ses nouveaux outils de développement. Le 30 juillet dernier, le taux d’applications approuvées (SLA, pour « service-level agreement ») dans les 24 à 48 heures est descendu à 6% alors que la Pomme vise les 50%. La direction a alors envoyé un courriel aux équipes de l’App Review pour les prévenir que les bureaux seront ouverts « 12 heures par jour » pour résorber le trop plein. Elle ajoutait néanmoins que les employés ne « devraient pas travailler plus de 12 heures par jour »…
On s’en fait régulièrement l’écho dans ces colonnes, les développeurs peuvent ne pas comprendre les raisons pour lesquelles leurs apps ou mises à jour sont rejetées. Les validateurs aimeraient leur proposer davantage de détails, mais ils sont tenus aux réponses toutes faites d’Apple. Il arrive parfois que des menaces (y compris de mort) soient proférées par des développeurs très colère. C’est la raison pour laquelle CNBC ne donne pas le nom du directeur venu dans les bagages de TestFlight en 2015, qui gère les opérations au quotidien en tandem avec Ron Okamoto, vice-président d’Apple. Phil Schiller, qui a pris les rênes de l’App Store la même année, se rend rarement sur place.
L’appel d’un développeur contre une décision du département App Review est traité par l’App Review Board, qui peut prendre une décision contraire à celle prise précédemment. Ce conseil est en partie composé de validateurs aguerris ; en cas de difficulté, l’application file tout droit vers le conseil exécutif de Schiller, dont la mise en place remonte à 2009. Lorsqu’un rejet nécessite une explication de vive voix, Apple passe un coup de fil au développeur. Celui qui se charge de la corvée, c’est « Bill », un nom générique là aussi pour des raisons de sécurité. Bill peut passer mille coups de fil par semaine.
Enfin, les sources de CNBC assurent qu’aucune application n’a de traitement de faveur. Ni Spotify, ni Netflix, qui pourtant généraient des revenus substantiels avant que ces services arrêtent d’utiliser les services de facturation de l’App Store. Bill a ainsi appelé Spotify après la remise d’une mise à jour de l’app. L’employé voulait des explications concernant un e-mail envoyé par le service de streaming à ses clients, leur proposant de payer leur abonnement directement à Spotify plutôt qu’en passant par Apple.
Ces révélations, qui n’ont pas reçu le sceau officiel d’Apple, interviennent à un moment délicat pour l’App Store. Aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, les autorités s’interrogent sur les pratiques commerciales de la plateforme de distribution ; certains évoquent même un démantèlement, d’autres mettent en place de nouvelles règles. Récemment, Apple a défendu son bout de gras avec une nouvelle page de son site web expliquant le modèle économique de sa boutique.
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Il existe également des mécanismes automatisés pour vérifier la bonne tenue technique d’une application. ↩︎