Grande première pour Apple qui diffusera au printemps sa première émission de télé-réalité consacrée aux applications. Sa diffusion sera assurée sur Apple Music, Apple voulant « créer une culture » à travers son service de « musique » en ligne, dixit Eddy Cue.
Pour ceux qui ignorent le concept, le principe est calqué sur celui de programmes comme The Voice, avec des développeurs en lieu et place des chanteurs. Concrètement, des développeurs vont présenter leur projet d’apps à un jury composé de personnalités. Le ou la gagnante recevra un soutien de 10 millions de dollars et une place de choix sur l'App Store.
Le premier trailer a suscité beaucoup de moqueries sur les réseaux sociaux. On se gardera bien de dire du bien ou du mal de cette initiative, on attendra sa sortie pour se faire un avis. Et à vrai dire, ce n’est (franchement) pas le plus important, surtout qu’on n’est très probablement pas la cible visée par Apple avec cette initiative. Par contre, ce qui est très intéressant à analyser, c’est pourquoi Apple se lance dans un tel projet et ce que cela nous dit sur l’Apple de 2017.
On évoquait récemment la capacité d’Apple de repousser sans cesse ses frontières (lire : Non, Apple n’est pas le nouveau Microsoft) . On rappellera qu’avant de lancer une émission de télé-réalité, Apple a commercialisé un baladeur audio (une idée qui pouvait paraitre saugrenue à la base), a lancé un disquaire en ligne (qui voudrait bien acheter de la musique sur Internet ?) et même un vrai festival de musique. Alors, finalement une émission de télé-réalité, pourquoi pas…
De la musique, domaine si cher à Apple, au développement d’apps, il n’y a qu’un pas en quelque sorte. L’un des membres du jury, will.i.am, résume parfaitement l’affaire dans le trailer : « Les développeurs d’apps sont les nouvelles rock stars ».
Rendre la programmation accessible à tous
Depuis plusieurs années déjà, Apple a adopté une toute nouvelle approche en ce qui concerne la programmation. Cela a probablement commencé en même temps que Swift, son nouveau langage de programmation. Quand Tim Cook parle d’éducation, il ne cesse d’évoquer l’importance d’apprendre aux élèves à programmer. Pour lui, apprendre à programmer est aussi important que maîtriser une langue étrangère.
Lorsque Tim Cook est en tournée, il n’hésite pas également à rencontrer des développeurs. Les personnes qu’il a rencontrées à Paris étaient très jeunes, n’étaient pas des mordus de technologie à la base, mais avaient une idée innovante en tête. Dans ces rencontres, il est plus question de lifestyle que de développement pur et dur. On est très loin des problématiques de stabilité ABI…
Après avoir longtemps cherché à démocratiser l’informatique, Apple cherche à rendre ses outils de développement plus accessibles. Pour être honnête, cet objectif n’est pas entièrement nouveau. HyperCard ou AppleScript étaient des initiatives qui allaient dans ce sens. Mais avec Swift, Apple passe à la vitesse supérieure.
En proposant gratuitement au téléchargement Swift Playgrounds, elle permet à quiconque (possède un iPad récent) de se familiariser à la programmation, de manière simple et ludique. Autre initiative pour promouvoir l’apprentissage de la programmation, l’événement Heure de Code dont Apple est un partenaire très actif. Enfin, elle multiplie les initiatives d’enseignement comme son académie de développement iOS à Naples.
Attirer les rock stars de demain
Lorsque will.i.am affirme que les développeurs sont les nouvelles rock stars, il est vital pour une société comme Apple que les rock stars de demain soient des utilisateurs de ses produits. Car ce seront eux qui assureront la vitalité de la (ou les) plate-formes.
Au fil des années, Apple est parvenu à rassembler un très grand nombre de développeurs autour de ses différentes plates-formes. La WWDC 2017 affichera complet comme lors des éditions précédentes. S’il n’y avait pas de contraintes de place et de disponibilité de ses ingénieurs, sa conférence pourrait rameuter sans problème 50 000 personnes. Ce n’est pas un problème de demande, alors que l’accès à cet événement coûte plus de 1 000 $. Un succès qui contraste avec l’Apple du début des années 2000 qui ramait pour avoir un taux de remplissage convenable.
À l’époque, l’un de nos « modestes » combats éditoriaux était d’encourager les développeurs indépendants à concevoir des applications Mac là où il y avait des manques. C’était le cas notamment en matière de traitement de textes, de tableurs, de logiciels de retouche d’image, d’éditeur de sites web ou encore de gestionnaire de tâches. Il a fallu des années pour que l’offre logicielle sur le système d’exploitation de bureau d’Apple s’étoffe et devienne conséquente.
À cette époque, les logiciels perçus comme innovants sortaient souvent d’abord sous Windows. Un exemple parmi tant d’autres : Skype, qui autrefois était une petite révolution, a fait son arrivée sous Windows un an avant la version Mac. Quand celle-ci est sortie, outre Windows, Skype était déjà décliné pour Linux et PocketPC !
Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse et c’est d’ailleurs un véritable souci pour Microsoft. Avec Windows 10, Microsoft a mis au point une plate-forme intéressante à certains égards. Mais connaissez-vous une application innovante émanant d’un éditeur indépendant qui vous donne envie de troquer votre Mac pour un PC ?
L’échec de Windows Phone/Mobile en tant qu’alternative crédible à iOS et Android vient sans doute de là. Microsoft n’est pas parvenu à attirer les développeurs pour qu’ils conçoivent des killers apps sur sa plate-forme.
Susciter des vocations
Encore une fois, on se gardera bien d’avoir un avis sur Planet of the Apps, mais le but d’Apple est assez clair au final : susciter des vocations, et de préférence que ces vocations se fassent en téléchargeant Xcode, son environnement de développement qui permet de faire des apps pour l’ensemble de ses systèmes.
Cette émission a sans doute pour ambition de démystifier le développement. En finir avec le mythe du petit génie informatique qui conçoit des programmes révolutionnaires dans le garage de ses parents avec sur son écran du texte vert sur fond noir.
Car concevoir une application, ce n’est pas qu’écrire des lignes de code. C’est (entre autres) avoir une idée, la conceptualiser, la développer, la tester, et la commercialiser. Si le lecteur de ces colonnes n’apprendra sans doute pas grand-chose, il est plus que probable que monsieur tout le monde découvre un véritable univers lorsqu’il va prendre conscience des subtilités entre les différents modèles économiques existants.
Et c’est sans doute pour cela que la forme choque certains bien-pensants. Car l’objectif d’Apple est de toucher un autre public et d’apporter un peu de diversité au sein de cette profession essentiellement blanche et masculine. Dans le développement aussi, la femme est l’avenir de l’homme, pourrait dire Tim Cook. Alors, rien que pour cela, l’aventure Planet of apps mérite sans doute d’être tentée. Pour le meilleur et le pire…