Mr Jump, qui a franchi les dix millions de téléchargements, est un énorme succès mondial. Ce jeu n’est pas l’œuvre d’un gros studio de développement international, mais de trois jeunes grenoblois qui ont été les premiers surpris par l’ampleur du succès. Jérémie, Thomas et Alexandre composent 1Button et s’ils avaient déjà connu plusieurs succès avec leurs utilitaires et casse-têtes par le passé, ils n’avaient jamais connu un tel phénomène.
Ils ont occupé la première place de l’App Store, reçu des milliers de mails, dont certains d’insultes et le jeu a occupé des millions de joueurs pendant un nombre incalculable d’heures. Ils sont passés nous voir à la rédaction pour nous raconter l’histoire de Mr Jump, du concept original jusqu’à sa sortie et son énorme succès.
Pendant la discussion, ils affichent leurs statistiques : 24 000 personnes dans le monde jouaient à cet instant précis. De quoi donner le vertige, mais les trois créateurs du jeu gardent la tête sur les épaules et pensent déjà à la suite. Des débuts de Mr Jump à la sortie du jeu, on revient sur ce succès français !
De Mr Jump à Mr Jump
À l’origine, il y avait un petit bonhomme carré, qui a tout de suite été baptisé Mr Jump. Après avoir créé Mr Flap — un petit jeu qui reprenait l’idée de base de Flappy Birds, mais avec un gameplay différent et peut-être encore plus difficile —, Jérémie, Thomas et Alexandre ont l’idée de créer un personnage carré. Leur oiseau était déjà carré et ils apprécient tout particulièrement ces design basés sur des formes géométriques simples.
Mr Jump, le personnage, n’a jamais bougé, des premières esquisses à la sortie sur l’App Store. Pour le reste, la création du jeu a nécessité plusieurs mois, pas forcément de développement, mais plutôt de réflexion. Outre le personnage, ils savent aussi immédiatement qu’ils veulent créer un jeu uniquement avec des polygones, non pas faute de savoir faire autrement, mais bien par choix esthétique. Restait ensuite à tout inventer…
Leur première idée a été de réaliser un endless-runner, c'est-à-dire un jeu de course infinie, où il faut éviter des obstacles et suivre le chemin. Ce genre est très populaire sur l’App Store, mais l’exemple le plus célèbre est sans conteste Temple Run. Mr Jump aurait pu être une variante, avec des niveaux infinis et donc générés aléatoirement, par des algorithmes.
Sauf que 1Button aime bien les casses-tête et qu’en l’occurence, ils voulaient placer dans leur jeu de vrais pièges, comme des impasses. Ces éléments sont très difficiles à automatiser et obtenir un jeu qui soit compliqué par moment, mais ni impossible, ni répétitif n’est pas réaliste. Par ailleurs, l’éditeur voulait garder l’idée d’une progression (chaque niveau doit être plus difficile que le précédent), ce qui n’est pas possible non plus en automatisant le tout.
Très vite, ils prennent ainsi la décision de créer eux-mêmes chaque niveau, à la main. À ce stade, avec un personnage et une idée, il manquait encore beaucoup de chose pour aboutir au Mr Jump que l’on connaît aujourd'hui. Ils savaient aussi que leur jeu n’aurait qu’une interaction limitée, avec un seul bouton. Une simplicité ergonomique qui leur semblait évidente sur un smartphone sans contrôles physiques.
Ayant rejeté le principe d’un endless-runner, ils se sont très vite orientés vers les jeux de plateforme, un genre qu’ils affectionnent tout particulièrement. Le reste vient assez facilement : le personnage avance automatiquement et on touche l’écran uniquement pour sauter et éviter tous les trous et pièges sur le chemin. Leurs premières tentatives n’ont rien donné toutefois, déjà parce que la toute première était en mode portrait. C’était plus facile pour les contrôles — on a tout le bas de l’écran qui est libre —, mais c’était très difficile, car le joueur ne pouvait rien anticiper.
En passant au paysage, ils ont réglé ce premier problème. Le personnage reste sur la gauche de l’écran et le joueur voit ce qui l’attend sur toute la droite. Pour autant, les premiers prototypes ne fonctionnaient toujours pas, cette fois pour des raisons esthétiques.
Ils avaient imaginé une 3D partiellement isométrique — ils la qualifient de « bizarre » — pour donner de la profondeur. Les différents éléments sur lesquels Mr Jump devait courir étaient ainsi plus larges devant que derrière. On avait bien un effet de profondeur et apparemment c’était visuellement réussi, mais ces formes empêchaient le joueur de viser les plateformes. Les premiers essais ont prouvé que le jeu était beaucoup trop difficile et que les possibilités en matière de conception de niveau étaient trop limitées.
On est à l’été 2014 et ce premier prototype ne fonctionne pas, mais 1Button ne sait pas comment le régler. Les trois développeurs laissent le jeu de côté pendant plusieurs mois et ce n’est qu’en novembre qu’ils reprennent leur travail sur Mr Jump. L’idée d’utiliser une perspective isométrique réaliste s’est imposée d’elle-même et le travail a alors avancé très rapidement.
Malgré tout, il leur restait de nombreux éléments à régler avant de se lancer dans la création des niveaux. Il fallait d’abord penser les décors et les éléments utilisés, des plateformes en l’air aux pics, en passant par les portes ou les gemmes qui permettent d’étendre un saut, ou même de faire voler Mr Jump. Mais ce n’est pas tout : Jérémie, Thomas et Alexandre ont aussi passé beaucoup de temps à régler la physique du jeu, en particulier le comportement du personnage pendant les sauts.
Ils n’hésitent pas à parler d’un « travail d’horloger suisse ». Quand le personnage atterrit sur une plateforme, ou saute sur un pic, le jeu détermine s’il tombe avant ou après, s’il survit ou meurt. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce que l’on voit à l’écran ne correspond pas précisément à ce qui se passe. Les pics sont légèrement plus petits que ce que l’on voit et les plateformes légèrement plus larges. En laissant ainsi une petite marge de manœuvre, le jeu est plus facile, voire… possible, tout simplement.
Jérémie résume ce travail important en expliquant ainsi que « Ce calibrage très fin est la clé pour réaliser un bon jeu de plateforme. Ca prend du temps, mais la qualité du jeu dépend essentiellement de ça. »
À ce stade, Mr Jump est bien avancé et il ressemble déjà largement au jeu que l’on connaît aujourd'hui. À la fin de l’année 2014, ils ont un prototype fonctionnel convaincant et il ne reste qu’une étape, qui s’avère finalement la plus amusante pour eux : créer des niveaux.
Un éditeur de niveaux maison et mobile
Pour imaginer les 12 niveaux qui composent la première version de Mr Jump, 1Button commence en fait par développer… une application iOS. En effet, plutôt que de tout faire sur Mac, avec Xcode (l’outil de développement fourni par Apple), les trois créateurs du jeu ont choisi de coder un utilitaire qui contient l’ensemble des fonctions nécessaires pour créer un niveau. Cette vidéo, réalisée quand 1Button était dans nos bureaux, présente rapidement cette interface et à quoi elle sert.
Chaque niveau de Mr Jump est composé de quelques éléments que l’on retrouve partout : des plateformes où le bonhomme court, d’autres en l’air où il peut atterrir, des pics qui peuvent le tuer, des gemmes qui lui permettent de voler, ou encore des passages spéciaux qui ne sont débloqués qu’en passant par certains endroits, etc. L’éditeur a permis à Alexandre, Thomas et Jérémie de disposer ces « briques » sur une grille totalement vierge au départ.
Tout l’intérêt de cet éditeur de niveaux, c’est qu’il est mobile. Puisqu’il s’agit d’une application iOS, ils peuvent tester immédiatement ce qu’ils font, sans avoir à compiler une nouvelle version du jeu. D’ailleurs, ils ont commencé un petit peu à tâtons : il leur a fallu dans un premier temps apprendre comment leur jeu fonctionnait, découvrir les enchaînements de blocs qui sont intéressants. Après cela, ils ont pu laisser libre court à leur imagination et créer autant de niveaux qu’ils voulaient.
Le processus de création a reposé entièrement sur cette application. Jérémie, Thomas et Alexandre ont créé chacun des niveaux de leur côté, ils les ont ensuite mis en commun avant de choisir les meilleurs. Mine de rien, ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. Le plus difficile n’a pas été de trouver des idées pour ces niveaux, mais plutôt… d’évaluer et surtout de doser leur difficulté.
Prenez le tout premier niveau par exemple : vous le trouvez difficile ? Eh bien sachez qu’il était moins facile dans la première version et que les trois concepteurs de 1Button se sont efforcés de le simplifier au maximum. Les plateformes étaient plus courtes, les sauts plus difficiles à réaliser : bref, dès ce premier niveau, on n’avait pas vraiment le droit à l’erreur. On touche ici à l’un des plus gros problèmes qui se posent à des joueurs confirmés, comme le sont au moins deux des trois développeurs.
Il faut savoir doser la difficulté, non pas pour eux, mais pour une cible plus large, qui pourrait se décourager beaucoup plus facilement. D’ailleurs, les trois compères l’avouent sans peine : « Le plus difficile a été de nous restreindre sur la difficulté. À force de jouer, on a acquis une telle maîtrise du jeu qu'il était très difficile de se mettre à la place d'un joueur novice. On a fait de gros efforts pour que le début du jeu soit accessible au plus grand nombre. »
Que les amateurs de jeux vraiment difficiles se rassurent, les derniers niveaux deviennent très retors sur la fin, quand ils ne sont pas carrément diaboliques. Coups tordus, pics placés aux endroits les plus vicieux possibles… ils se sont lâchés et le jeu donnera sans doute quelques sueurs froides à ceux qui auront tenu jusque-là. Mais, et c’est l’avantage d’avoir opté pour un processus de création totalement manuel, la difficulté est progressive et les quatre premiers niveaux sont conçus comme des tutoriels. Quand on a atteint le cinquième, on a rencontré tous les éléments du jeu et le reste n’est plus qu’affaire de réflexion et de manipulation la plus précise possible.
Chaque niveau est pensé comme un puzzle ou un casse-tête. Il faut prévoir les réactions des joueurs et essayer de les piéger, sans les bloquer totalement. Toutes les options sont envisagées, ils trouvent la meilleure à chaque fois, envisagent des alternatives… Bref, la création de ces douze niveaux a pris beaucoup de temps et 1Button a multiplié les allers et retours entre l’éditeur de niveaux et le jeu. C’est là que cet éditeur sur l’iPhone prend tout son sens.
Le processus est toujours le même : créer un niveau avec les différents éléments qui les composent, puis choisir un décor et tester. Quand un point du parcours ne convient pas, par exemple parce qu’il ne peut pas être réussi, il faut revenir à l’éditeur, modifier le parcours et les blocs et réessayer. L’application a été pensée pour simplifier au maximum le travail de développement. Par exemple, on peut tester un niveau à partir de n’importe quel point, ce qui évite d’avoir à le reprendre à chaque fois du début.
Au passage, ils peuvent aussi tester un décor différent à chaque fois. Puisque tout est composé de polygones dans Mr Jump, ils ont défini des textures différentes pour chaque polygone et ont ainsi abouti à douze jeux de textures, un par niveau. Avantage de cette démarche, ils peuvent ensuite passer d’un thème à l’autre d’un tap et ainsi de tester avec un décor différent un même niveau.
Cette démarche a nécessité plus de temps au départ, mais elle leur a ainsi permis d’en gagner beaucoup dans la dernière ligne droite. Une fois les textures prêtes, chaque niveau n’est qu’un ensemble de consignes pour placer tel élément à tel endroit et l’intégration était ainsi très rapide. Cette légèreté a également simplifié les échanges et en multipliant les allers et retours entre les trois, ils ont créé 12 niveaux totalement satisfaisants à leurs yeux.
Alexandre, joueur moins confirmé que ses deux collègues, a contribué à baisser la difficulté de l’ensemble. Thomas et Jérémie, adepte des pires casse-têtes, se sont au contraire amusés pour les derniers niveaux. Et à eux trois, ils ont obtenu un résultat comme ils le souhaitaient : « Avec le recul, on est très satisfait du résultat et on n'a pas envie de déplacer ne serait-ce qu'un seul pic des douze niveaux du jeu. »
1Button proposera-t-il l’éditeur de niveaux de Mr Jump à son énorme communauté de joueurs ? Pas dans l’immédiat. Tel qu’il est actuellement, le logiciel est trop compliqué et si jamais le studio se décidait à offrir son éditeur, il devra le repenser complètement. Autant dire que les chances de voir cet éditeur entre les mains des joueurs sont ténues.
Bande-son et jetpacks
Après avoir créé les niveaux, 1Button a encore imaginé treize pistes musicales différentes pour chaque niveau. La musique est un élément important dans un jeu et ils souhaitaient composer leur propre bande-son. Et plutôt que de se contenter d’un morceau unique, ils ont tenu à en créer un par niveau, car ils savaient très bien que l’on allait passer du temps sur chaque niveau… et donc sur chaque morceau.
En tout, ils estiment que Mr Jump a nécessité deux mois de travail, mais étalés sur plus de six mois. Des premiers concepts jusqu’à la sortie du jeu, ils ont fait plusieurs essais qui n’ont pas abouti avant de trouver la bonne solution. Il leur a ensuite fallu du temps pour créer l’éditeur de niveaux, puis les niveaux et la musique.
Maintenant que Mr Jump est terminé que le succès a été au rendez-vous, que comptent faire les trois grenoblois ? S’offrir des vacances sans doute, mais ils ne peuvent pas (encore ?) arrêter le travail et profiter d’une retraite très anticipée. De toute façon, ce n’est pas du tout ce qu’ils cherchent et ils se sont déjà remis au travail, à la fois pour créer leur prochain jeu de 1Button et pour ajouter des niveaux à celui-ci.
Ils n’ont pas voulu trop nous en dire, mais Mr Jump devrait être mis à jour avec une série de niveaux parallèles, que l’on pourra commencer même si on n’a pas fini les douze actuels. Et il devrait aussi y avoir de nouveaux pouvoirs, peut-être un jetpack ont-ils glissé… tout en précisant qu’ils n’étaient pas encore sûrs que cela fonctionne bien avec le jeu actuel. Nous n’en saurons pas plus !