La marque de smartphone française Crosscall, spécialisée dans les appareils étanches et résistants a annoncé vouloir relocaliser sa production en France. Selon son directeur, les premiers téléphones assemblés en France devraient être commercialisés d'ici 2023 à 2024 si tout se passe comme prévu. Une manœuvre audacieuse à l'heure où la grande majorité des appareils téléphoniques sont construits et assemblés en Chine ou à Taïwan.
Comme l'explique le directeur de Crosscall à BFM, la délocalisation des chaînes de production peut être un vrai casse-tête. Dans son cas, la crise du COVID-19 a mis en lumière certaines limites. Ramener la production dans l'Hexagone devrait permettre d'avoir une vision plus claire tout en s'évitant certains aléas :
On a eu de gros problème d'approvisionnement et quand les usines ont rouvert, la qualité n'était plus au rendez-vous. Ce n'étaient pas les mêmes ouvriers qui travaillaient et on a refusé beaucoup de produits qui ne remplissaient pas nos standards de qualité. Cela nous a coûté 35 millions d'euros de chiffre d'affaires
Il critique également l'éloignement de la chaîne de production. « Pour un industriel, c'est très mauvais. Cela engendre tout un tas de problèmes, logistiques et humains. Globalement ça a toujours été compliqué pour nous », précise Cyril Vidal. Un point de vue opposé à celui d'Apple, qui estime que les usines chinoises permettent une plus grande flexibilité malgré leurs distances.
Au niveau de l’efficacité, des milliers d'ouvriers qualifiés peuvent être mis au travail bien plus rapidement qu'en Europe ou qu'aux USA. L'ouverture de nouveaux sites est également plus simple. En 2010, Steve Jobs faisait observer qu'il était plus facile de construire des usines en Chine qu'aux États-Unis, « la réglementation et des charges inutiles » rendant les choses difficiles.
Crosscall n'étant pas Apple, elle produit beaucoup moins de smartphones et a sûrement des besoins de flexibilité bien moindres. Elle devra sans doute faire face à ce problème à un moment ou à un autre. Le directeur explique qu'un bâtiment a déjà été trouvé et va devoir investir au minimum 10 millions d'euros sur 5 ans.
Mais cet éloignement géographique avec l'Asie peut aussi poser un problème d'approvisionnement en composants. Apple en a fait les frais : fin 2013, la Pomme a annoncé un Mac Pro assemblé aux USA. Une idée pas si saugrenue : le Mac Pro est un appareil produit en petite quantité, une relocalisation est donc sur le papier plus simple qu'avec un produit comme l'iPhone. Cependant, les expéditions du Mac Pro made in USA ont été fortement retardées. À cause d'un souci d'approvisionnement en composants de pointe ? Perdu, à cause d'une pénurie de vis. Cette pièce toute bête, mais ultra importante ne pouvait être produite à grande échelle directement aux États-Unis, et Cupertino a donc dû repousser son planning le temps de trouver une solution.
Une vis responsable du retard du Mac Pro 2013 et symbole de la complexité du made in USA
Actuellement, la situation n'est guère mieux qu'en 2022 et tous les fabricants doivent faire aux aléas liés à la pénurie de composants, sans parler des prix qui augmentent. « Un container coûte aujourd'hui 10 fois plus cher et les prix ne vont pas baisser tout de suite » explique Cyril Vidal. Mais l'argument de la souveraineté vient sans doute jouer dans l'équation, surtout quand on sait que Crosscall équipe les forces de l'ordre. Le fabricant écoule en moyenne 500 000 terminaux par an, sans compter la commande publique de 230 000 unités.
D'autres soucis se sont également révélés lors de l'expérience du Mac Pro américain, et un gros morceau comprend le prix et la qualité de la main-d'œuvre. Apple avait été obligé de revoir à la baisse le nombre de personnes s'occupant de la mise en place de la production, avec un seul ouvrier aux USA contre toute une équipe en Chine. Des raisons sans doute liées au prix de la main-d'œuvre qualifiée, beaucoup plus nombreuse et tout de même moins chère en Chine. Le pays a en effet mis le paquet sur ses capacités de production, comme l'observait Tim Cook lors d'une réunion en Chine :
Les États-Unis, au fil du temps, ont commencé à ne plus avoir autant de ces profils [d’ouvriers et de salariés de l’industrie]. Je veux dire par là que vous pourriez prendre tous les outilleurs ou ajusteurs américains et vous pourriez certainement les réunir dans cette pièce où nous sommes. En Chine, il vous faudrait plusieurs stades de football. Cela a été un objectif pour eux, un objectif de leur système éducatif, et c’est la réalité aujourd’hui.
De son côté, Crosscall envisage de former entre 50 et 100 personnes et mise sur le fait que les baisses de coûts de transports et de logistiques vont compenser les frais de main-d'œuvre. Pour les composants, le groupe table sur le plus de fournisseurs français possible, même si certaines pièces seront tout de même importées de Chine ou des États-Unis. Le fabricant, dont la R&D est déjà en France, prévoit également d'ouvrir une usine de reconditionnement dans l'Hexagone