Avec l’annonce de ses smartphones Pixel, Google se retrouve dans une situation inédite. Il est l’artisan à la fois du système d’exploitation, de plusieurs logiciels et services inclus et de toute la partie matérielle.
Cette collection de métiers, Apple l'exerce depuis quasiment les débuts de l’iPhone. C'est allé croissant tandis qu'elle s'émancipait des services de Google et qu'elle se mettait à faire de plus en plus de processeurs. Chez Google, il y a eu les Nexus, mais le volet matériel était confié à un ou plusieurs partenaires. Il y a eu ensuite l’acquisition de Motorola, mais l’entreprise était traitée essentiellement comme un partenaire et l’aventure n’a pas duré deux ans.
Hiroshi Lockheimer, le responsable d’Android, ne ferme pas complètement la porte à la perspective de voir d’autres Nexus (un porte-parole de Google à l’inverse a dit que c’était terminé), ce n’est plus la priorité. La firme met en place un écosystème basé sur Android et ses technologies d’intelligence artificielle (“Assistant”), et pour cela elle doit être derrière tous les fourneaux.
« Fondamentalement, nous sommes convaincus que pour réaliser de nombreuses innovations que nous avons en tête, il faut contrôler l’expérience utilisateur du début jusqu’à la fin », déclare à The Verge Rick Osterloh, ancien de Motorola et récemment promu à la tête de la division matérielle de Google. Des propos similaires à ceux qu’Apple tient rituellement depuis des années.
Les ingénieurs de Google ont par exemple soigné la réactivité de l’OS face aux interactions tactiles, un reproche souvent adressé à Android. « La latence sur le Pixel est la plus faible de tous les appareils Android produits à ce jour. Si vous le placez sous une caméra qui filme à grande vitesse, elle est égale à celle de l’iPhone. », affirme Dave Burke, en charge de l’ingénierie d’Android.
L’après Nexus
Le programme Nexus visait à élever le niveau des terminaux Android en créant à chaque fois des appareils servant de référence pour les autres. Aujourd’hui, Google estime que la mission est remplie. Plusieurs acteurs proposent des smartphones accessibles financièrement qui ne sacrifient pas la qualité.
Depuis l’automne dernier, décision a été prise de changer la manière de faire et de se lancer dans une conception intégrale des téléphones. HTC se charge simplement de les fabriquer, à la manière de Foxconn pour Apple. Google aurait voulu confier ce travail à Huawei, affirmait cette semaine Android Police, mais le fabricant chinois aurait pris ombrage de se voir proposer un banal rôle d’exécutant.
« Les Nexus représentaient la forme la plus pure d’Android. Pixel est la forme la plus pure de Google, ce qui comprend Android plus tout un tas de choses, comme Assistant, notre plateforme VR et ainsi de suite. », explique Hiroshi Lockheimer, le patron d’Android dans une interview à Bloomberg.
On se retrouve dans le même scénario que chez Apple (Rick Osterloh a d’ailleurs évoqué hier un « croisement entre le logiciel et le matériel », des propos familiers) où plateformes logicielles, matérielles et services fusionnent dans un seul et même ensemble et se nourrissent entre elles. Champion en services, OS et applications, Google place désormais le matériel au même niveau. Il vend un produit taillé sur mesure en fonction de ses desiderata, qui servira ses intérêts propres.
Reste qu’il faudra gérer les inquiétudes et susceptibilités des multiples partenaires. Hiroshi Lockheimer se veut rassurant et souligne que les rôles sont bien séparés au sein de Google. À lui la charge de gérer Android et les partenaires, à Rick Osterloh celle de développer les matériels de Google.
« L’équipe de Rick utilisera notre plateforme, mais elle travaillera aussi très étroitement avec l’équipe Google Search, ou l’équipe Maps, ou l’équipe Assistant. Une relation de proximité qui n’intéressera peut-être pas d’autres OEM. Des OEM voudront peut-être se différencier et se débrouiller tout seuls, en faisant leur propre Assistant par exemple ».
Lockheimer insiste sur sa neutralité vis-à-vis de l’équipe matérielle interne : « Samsung nous donne des informations confidentielles sur leur prochaine ligne de produits, nous n’en parlons pas à LG et vice-versa. Cela va continuer ainsi. Tout le monde est traité de la même manière, l’équipe de Rick incluse ».
Aussi chers que les iPhone
Il est intéressant de voir que Google s’est positionné sur le haut de gamme, alors que les Nexus, pour une bonne partie d’entre eux, étaient des appareils relativement abordables jusqu’à récemment. Les Pixels, à l’inverse, sont au niveau des iPhone 7. Une sortie en France est en préparation, mais en Allemagne par exemple, ils coûteront 760 € et 870 € (Pixel 32 et 128 Go) et 900 € ou 1009 € (Pixel XL 32 et 128 Go). De quoi faire hoqueter le client Android lambda qui rit tous les ans des prix pratiqués par Apple.
Rick Osterloh explique que les composants choisis sont onéreux et qu’il « s’agissait de ne faire aucun compromis sur l’expérience utilisateur, d’où ce positionnement sur le très haut de gamme. » Lockheimer ajoute que c’est une nécessité :
Le premium est une catégorie très importante. Dans un écosystème général, il est important d’avoir un segment premium en bonne santé. Pour les développeurs d’apps et les autres. C’est sans conteste là que certains OEM ont eu du succès, comme Samsung. C’est là qu’Apple est très forte. Est-ce qu’il y a de la place pour un autre acteur ? C’est ce que nous pensons. Est-ce que nous croyons qu’il s’agit d’un aspect important d’Android ? Oui, absolument.
Rick Osterloh concède qu’il y aura un peu de friction entre Google et ses partenaires devant cette nouvelle concurrence, « mais ce sera à la marge, notre objectif est vraiment d’essayer de faire venir les gens dans l’écosystème Android, et tout particulièrement dans ce segment premium » (Google ouvre tout de même un autre front sur la VR où Samsung s'active également).
Quant au design, à qui il a été reproché de ressembler à celui des iPhone (voire des HTC) des deux précédentes années, Osterloh tempère en disant que Google « a fait toutes sortes de choses pour s’assurer qu’il ne ressemblerait pas trop à un iPhone ». Le dos peut-être ? Qui alterne entre un pavé en verre pour guider le doigt vers le capteur d’empreinte et une surface en aluminium.
Au vu des réactions ici ou là, ce n’est pas encore ça. Mais on en arrive à un stade où tout le monde aujourd’hui se ressemble un peu dans les grandes lignes. À part Samsung qui a fait déborder ses écrans et introduit une vraie nouveauté, on attend la prochaine grande rupture de style chez un fabricant majeur.
Google fait montre de nouvelles ambitions avec cette gamme Pixel, ce n’est toutefois qu’une première étape d’un long processus. Samsung et Apple ont amélioré pendant des années leurs systèmes de production et de logistique pour répondre à des demandes volumineuses partout dans le monde et y répondre en un temps record. Cette dextérité ne s’improvise pas, Google n'en est pas encore là et le reconnait.
« Il est certain qu’on ne fera pas des volumes énormes avec ce produit » déclare Rick Osterloh « On joue la première manche ».