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Où en est Android aujourd'hui ?

Stéphane Moussie

mardi 31 mars 2015 à 20:30 • 53

Android

Android se porte toujours comme un charme, a récemment assuré son responsable, Sundar Pichai, chiffres à l'appui. Le plus symbolique, c'est celui du milliard d'utilisateurs mensuels atteint en 2014. Un record pour un système qui a moins de dix ans. Et Google ne compte pas s'arrêter là. Le prochain objectif, c'est conquérir les cinq milliards d'êtres humains qui n'ont pas encore de smartphones. Avec quoi et avec qui ? Quels sont les obstacles à surmonter ? D'où part Android ? État des lieux du système de Google.

Le milliard en 2014

Depuis l'année dernière, il y a donc plus d'un milliard de personnes qui utilisent régulièrement Android. Pour se rendre compte de la performance, il faut la confronter à d'autres statistiques. Un milliard, c'est une personne sur sept sur Terre. Dans le secteur des nouvelles technologies, Microsoft peut toujours se targuer d'avoir le système le plus utilisé au monde avec le milliard et demi d'utilisateurs de Windows, mais son logiciel existe depuis 30 ans et est très à la traîne sur mobile, là où se situe la croissance.

Apple, quant à elle, ne communique pas sur le nombre d'utilisateurs, mais a récemment annoncé qu'un milliard de terminaux iOS (iPhone, iPad et iPod touch compris) avaient été livrés depuis la sortie du premier iPhone, en 2007.

Smartphones écoulés en 2014 selon Gartner.
Smartphones écoulés en 2014 selon IDC.

Un milliard, c'est aussi le nombre de smartphones Android écoulés rien que l'année dernière, selon IDC et Gartner. Cela représente plus de 80 % de parts de marché (+ 2,5 points sur un an environ).

iOS est en deuxième position avec 192 millions d'iPhone écoulés et environ 15 % de parts de marché (- 0,2 point). Très loin derrière, on trouve Windows Phone avec 35 millions d'unités (2,8 % de pdm, - 0,5 point).

La domination d'Android est sans appel, mais elle ne profite pas intégralement à Google. Dans ce milliard de smartphones, une partie non négligeable n'embarque pas les services de Mountain View. Des constructeurs se servent de la base libre d'Android, AOSP, pour créer un système avec leurs services à eux.

Selon ABI Research, sur les 290 millions de smartphones Android écoulés au dernier trimestre 2014, 85 millions étaient des versions alternatives. Le pourcentage de forks est important, mais il est moins élevé qu'un an auparavant.

Android One pour tous

Google s'emploie en effet à étendre son Android là où il n'est pas encore présent. Et pour cause, la firme a tout à perdre du délitement de son système en des versions alternatives sans ses services et, a fortiori, sans ses publicités.

Emmener l'Android by Google là où il n'est pas encore, c'est donc la mission du programme Android One lancé en septembre dernier. Ce programme vise les pays où les smartphones ne sont pas encore démocratisés à cause de leurs tarifs trop élevés. Or, c'est justement dans ces pays (Inde, Indonésie, Philippines...) que les terminaux AOSP gagnent en popularité en raison de leur prix plancher.

En nouant des partenariats avec des fabricants et des fournisseurs de produits low cost, Google s'attache à proposer des smartphones très abordables (pas plus de 100 $) équipés de son Android avec ses services.

Des smartphones Android One

Les smartphones Android One sont équipés d'un système sans surcouche et leur mise à jour est assurée directement par Google. Il s'agit basiquement de Nexus à pas chers et réservés à quelques pays.

C'est sur ces marchés émergents que Mountain View peut espérer trouver un relais de croissance, alors que la saturation pointe le bout de son nez en Amérique du Nord et en Europe Occidentale.

Le grain de riz dans l'engrenage

Il y a quelques constructeurs notoires qui participent à Android One (HTC, Acer, Asus, Lenovo), mais la plupart sont des fabricants locaux et low-costs méconnus ici (Intex, Karbonn, Micromax, Xolo, Lava...). Surtout, on remarque l'absence de Samsung, qui préfère la jouer solo sur les marchés émergents avec Tizen.

Le lien est très loin d'être rompu entre Samsung et Android — notamment parce que Tizen a eu énormément de retard —, mais cette alliance n'est plus aussi forte que par le passé.

Le constructeur sud-coréen a joué un rôle central dans l'essor du système de Google. C'est lui qui a vendu des dizaines de millions de smartphones Android chaque trimestre et qui, encore aujourd'hui, domine largement les ventes. Mais depuis un an Samsung voit sa suprématie s'effriter au profit de fabricants chinois — et d'Apple au dernier trimestre 2014.

Évolution des parts de marché mondiales selon IDC.

Après l'échec du Galaxy S5, Samsung joue gros avec son successeur. C'est le Galaxy S6 aux choix radicaux qui peut faire repartir les ventes... ou au contraire les faire plonger de plus belle.

Lenovo, qui possède maintenant Motorola, et Huawei progressent pour leur part doucement mais sûrement. Mais tous les regards se portent sur Xiaomi. Le « petit grain de riz » (traduction de Xiaomi) fait déjà partie des plus gros vendeurs mondiaux alors qu'il n'a même pas cinq ans et qu'il vend exclusivement en Asie.

Sa réussite s'explique en partie par ses tarifs, très abordables. Quand un Galaxy S6 est vendu le même prix qu'un iPhone 6 (709 €), le Mi Note coûte deux fois moins cher pour des prestations tout aussi haut de gamme.

Pour tirer ses tarifs vers le bas, Xiaomi applique la même recette qu'Apple : son catalogue est réduit, ses appareils restent longtemps en vente et grâce à ses gros volumes, il peut acheter les composants à prix réduits.

Il y a tout de même une différence fondamentale entre Xiaomi et Apple, celle qui explique que le Mi Note est vendu l'équivalent de 320 € alors qu'un iPhone 6 coûte plus de 700 € : la marge. Le fabricant renonce quasiment à gagner de l'argent sur la vente de ses appareils (seulement 56 millions de dollars de profits nets en 2013), mais compte sur ses services pour faire son beurre.

Une stratégie rendue possible par le fait que Xiaomi n'est pas lié à Google par un contrat. Encore aujourd'hui, Google Play n'est pas ouvert en Chine et les fabricants locaux n'ont pas de compte à rendre à Google à l'intérieur des frontières. Il n'y a pas une boutique d'applications, mais plusieurs qui sont tenus par des éditeurs différents, dont Baidu, Tencent... et Xiaomi.

Plus de 10 milliards de téléchargements ont été effectués sur ce store qui n'a que deux ans et demi — il avait fallu six mois de plus à l'Android Market (l'ancien nom de Google Play) pour franchir ce cap.

« Est-ce que la Chine est un énorme trou noir pour Google ? », a demandé Forbes à Sundar Pichai le mois dernier. Le responsable d'Android a assuré qu'il ne voyait pas la situation comme ça, sans toutefois effacer le fait qu'il ne tirait aucun profit des millions d'appareils AOSP vendus.

Google étudie un retour en Chine, mais n'est pas totalement maître de la situation, a reconnu Pichai. La firme avait déserté le pays en 2010, à la suite de piratages de comptes Gmail et de la censure exercée par le pouvoir sur les résultats de son moteur de recherche.

L'exercice du pouvoir en Occident

La situation est toute autre en Occident. Google Play est la boutique incontournable et Google en tire largement parti. Les fabricants qui veulent intégrer la boutique doivent se plier à des exigences très strictes, comme préinstaller une ribambelle d'applications Google (Gmail, YouTube, Maps, Drive...) et ne pas modifier sensiblement l'interface.

Dès lors, difficile pour les constructeurs de pousser leurs services maison. Samsung a par exemple récemment abandonné ChatON, sa messagerie multiplateforme.

Xiaomi, qui cherche à sortir de ses contrées, ne pourra pas échapper à cette situation et le sait bien. « Nous sommes un fervent supporter de Google », a déclaré diplomatiquement Hugo Barra, le transfuge de Mountain View devenu responsable de l'internationalisation de la marque chinoise. Et d'ajouter que, contrairement à ce qui se disait, il n'était pas question de forker Android.

JD Hancock CC BY

En se pliant aux obligations de Google pour proposer Google Play comme tout le monde en Occident, Xiaomi parviendra-t-il à faire fructifier ses services maison ? À moins que le fabricant adopte une stratégie différente en dehors de ses frontières et ne relève ses marges... ou choisisse de se passer des services de Google.

Après tout, il ne serait pas le premier à tenter ce pari un peu fou. C'est ce que fait Amazon depuis plusieurs années. Le géant de la vente en ligne a mis au point Fire OS, un système basé sur la partie libre d'Android, une boutique d'applications, l'App-Shop, et le matériel pour profiter de tout ça.

Seulement, le succès n'est pas au rendez-vous. Les ventes de tablettes Kindle Fire s'effondrent (- 69,9 % à 1,7 million d'unités au quatrième trimestre 2014, selon IDC) et le Fire Phone a été un échec retentissant.

Personnage de Cyanogen

Cela n'entame pas la détermination de Cyanogen qui veut « arracher Android à Google. » L'entreprise, qui vient de lever 80 millions de dollars, cristallise les efforts et les espoirs de ceux qui veulent un Android purgé des services de Mountain View.

Actuellement, CyanogenMod compte plus de 50 millions d'utilisateurs qui ont pour la plupart installé cette ROM alternative à la place d'Android sur leur smartphone existant.

La société compte maintenant passer la seconde en nouant des partenariats avec des constructeurs afin de faire de Cyanogen le système par défaut. Quant à la boutique d'applications, un élément critique pour attirer des utilisateurs, l'idée est de s'inspirer de ce qui se fait en Chine, justement. Il pourrait y avoir plusieurs boutiques tenues par des fournisseurs différents, a indiqué son patron Kirt McMaster à Fast Company sans entrer dans les détails.

Culture Pub

Puisqu'Android ne peut pas s'étendre en Chine pour le moment, que le programme Android One ne fait que débuter et que la croissance va vraisemblablement plafonner en Occident à moyen terme, Mountain View cherche de nouveaux moyens pour faire entrer l'argent dans les caisses.

Et l'un d'eux, c'est bien sûr la publicité. Google va transposer le modèle économique de son moteur de recherche universel sur Google Play. En payant, les éditeurs pourront faire apparaître leur application en tête des résultats de recherche.

Pour Pichai, l'arrivée de la pub dans Google Play sera bénéfique aussi bien aux développeurs qu'aux utilisateurs :

Les utilisateurs essayent de découvrir des apps et nous essayons d’améliorer le processus de découverte. De plus, les développeurs tentent d’être visibles aux yeux des utilisateurs. Si vous prenez du recul, c’est un problème que nous avons résolu dans la recherche universelle avec la publicité. Nous leur fournissons des résultats naturels, mais nous permettons également aux entreprises d’exploiter la publicité pour atteindre les utilisateurs.

Le système est malin, en cela que les publicités seront bien plus pertinentes que des bannières traditionnelles, mais il pourrait bien désavantager les petits développeurs qui n'auront pas les moyens de surenchérir par rapport aux gros éditeurs.

Le grand gagnant dans tout cela ne sera vraisemblablement pas le développeur (contraint de payer pour être visible) ni l’utilisateur (une app sponsorisée n’étant pas gage de qualité), mais Google.

Android Everywear

« [La publicité dans Google Play] est une étape importante compte tenu de l’ampleur de la boutique. C’est une opportunité excitante, mais ce n’est pas la seule [...] c’est toute une série de petites choses qui font une grosse différence », a expliqué Sundar Pichai.

Les autres opportunités excitantes, ce sont certainement Android Wear, Android Auto et Android TV. Autant de nouveaux écrans sur lesquels afficher de la pub. Votre montre détecte que vous ne bougez pas assez grâce à ses capteurs intégrés ? Hop, une pub pour la salle de sport à côté de chez vous. Vous roulez en ville ? Hop, une pub pour le McDo à 500 mètres. Vous allumez votre téléviseur ? Hop, une pub pour un film à télécharger.

Mais ces « nouveaux » écrans ne servent pas qu'à afficher de la pub. Google bâtit un écosystème cohérent autour d'Android Lollipop. On reçoit les notifications de son smartphone sur sa montre Android Wear, on diffuse une vidéo stockée dans son téléphone sur son téléviseur, on retrouve ses adresses favorites sur le tableau de bord de sa voiture...

LG Watch Urbane sous Android Wear - Kārlis Dambrāns CC BY

Sans aller jusqu'à parler d'emprisonnement (Google permet de télécharger une bonne partie de ses données au cas où l'on voudrait partir), cet écosystème contribue bien évidemment à favoriser l'achat d'autres produits Android quand on a mis un pied dedans, puisque tout fonctionne ensemble — cela vaut aussi pour l'écosystème Apple.

Reste maintenant à voir si la mayonnaise va prendre pour ces Android périphériques. Le lancement d'Android Wear n'a pas été probant, mais l'arrivée de l'Apple Watch va peut être débloquer les choses. Google pourra mettre en avant son large choix de montres et des tarifs inférieurs à ceux d'Apple.

Android Auto démarre grosso modo avec les mêmes partenaires que CarPlay, mais Google penserait déjà à l'après. La firme voudrait faire d'Android un véritable système d'exploitation pour les voitures, capable de gérer tous les aspects de la conduite.

Quant à Android TV, le projet démarre bien, au moins en France, avec le soutien de Free (ce qui n'était pourtant pas gagné) et de Bouygues Telecom. Sharp, Philips et Sony font aussi partie des partenaires, mais d'autres constructeurs importants préfèrent utiliser un autre système.

« Je ne définis pas le succès par le fait d’être présent dans tous les domaines importants », a récemment assuré Sundar Pichai. Pourtant, aucun domaine important n'échappe à Android.

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