Depuis un mois, Amazon a lancé dans quelques villes américaines son service Amazon Key. Comme son nom le suggère, il permet à ses livreurs d'ouvrir votre porte pour déposer un colis à l'intérieur et éviter qu'il ne soit dérobé devant votre entrée (lire aussi Amazon lance une caméra de surveillance et ouvre votre porte aux livreurs).
Geoffrey Fowler du Washington Post (le quotidien appartient à Jeff Bezos) a testé l'offre. Il en dresse un bilan contrasté. Il y a la partie technique qui connu quelques ratés mais c'est principalement l'idée de confier les clefs de sa maison à Amazon qui lui a finalement posé le plus de problèmes.
L'offre Amazon Key est composé d'une caméra domestique couplée à une serrure connectée qui peut être installée par Amazon ou par un tiers. Amazon se repose sur les serrures de spécialistes du domaine, cependant c'est uniquement son app et non celles de ces fabricants qui fonctionne avec elles. Ces serrures sont contrôlées par la caméra qui sert ainsi de hub et de poste de surveillance pour vérifier que toute l'opération de livraison se passe bien. On pourrait dire que se faire livrer sur son lieu de travail, dans une boutique ou dans les casiers d'Amazon lorsqu'on en a près de chez soi est moins contraignant, mais passons.
C'est au moment de la commande (s'il l'on est abonné Prime) que l'on peut choisir ce mode de livraison tout à fait optionnel. Le client reçoit ensuite une notification l'avertissant de la tranche horaire de venue du livreur. Une fois devant la porte, ce livreur valide sa présence auprès d'Amazon qui vérifie qu'il a bien un paquet pour cette adresse. La caméra reçoit ensuite depuis les serveurs d'Amazon l'ordre de commencer à filmer, et de notifier son propriétaire de la présence du livreur et de déverrouiller la serrure.
Geoffrey Fowler s'est fait envoyer plusieurs achats. À chaque fois, le livreur a entrebâillé la porte juste assez pour poser le colis. Ils ne sont pour ainsi dire pas rentrés dans la maison. Le livreur valide ensuite le dépôt et la caméra verrouille la serrure. Amazon assure que les livreurs qui effectuent ces livraisons "in-home" sont la crème de la crème de ceux qu'elle emploie.
À quelques reprises les choses ne sont pas passées comme prévu. Il est arrivé que la plage horaire de passage ne soit pas respectée du tout. Ou alors c'est la serrure qui a eu du mal à se verrouiller. Amazon a constaté que l'installation sur la porte (assez ancienne) n'avait pas été faite correctement. Heureusement le livreur a insisté jusqu'à ce que le verrou électronique soit bien activé.
Dans l'intervalle, des failles de sécurité sont apparues dans le dispositif. L'une d'entre elles permettait, à distance, de déconnecter la caméra du réseau. Au lieu de le notifier à son propriétaire, la caméra se contentait de lui envoyer la dernière image qu'elle avait prise : celle d'une porte en apparence fermée. Comme dans un bon vieux film. Un livreur, hackeur et malintentionné, aurait pu rabattre la porte juste assez pour laisser croire qu'elle était close et, retourner dans l'appartement. Une fois hors du champ de vision il aurait pu relancer la caméra. Amazon a distribué une mise à jour qui alerte l'utilisateur lorsque la caméra est déconnectée (chose que font d'autres en standard).
Certains cas de figure sont aussi pris en compte : ce mode de livraison n'est pas possible si vous avez un animal de compagnie (qui pourrait s'échapper, profitant de l'entrebâillement de la porte) ou si le livreur entend aboyer dans la maison.
Plus que ces dysfonctionnements, c'est l'idée de confier les clefs de sa maison à Amazon qui a inquiété le testeur. Amazon nourrit de grandes ambitions pour ce service.
À l'avenir, des entreprises agréées et s'affichant sur sa plate-forme de vente pourront accéder à votre domicile de la même manière : celles de nettoyage, celles qui viennent promener les animaux et pourquoi pas les livreurs de Whole Foods Market, l'énorme chaîne de magasins bio que Jeff Bezos a acheté en juin dernier pour un peu plus de 13 milliards de dollars. Amazon promet 1 200 prestations dans 60 domaines d'activité dans les prochains mois.
« Lorsque vous mettez une serrure Amazon à votre porte, quelque chose de plus sournois se produit : Amazon prend le contrôle », prévient Geoffrey Fowler « Il veut devenir le système d'exploitation de votre foyer ».
L'informatique connectée est déjà fortement présente dans nos maisons mais à l'intérieur. Amazon Key va beaucoup loin encore et exige une confiance quasi-aveugle sinon une vraie foi dans les mérites supposés de la technologie et de ceux qui la portent. À l'issue de son test, le journaliste et sa famille ont décidé de retirer la caméra et le verrou connecté. « Amazon Key m'ôtait toute inquiétude quant aux risques de vols de mes livraisons. Mais la contre-partie est que cela donne plus de contrôle sur votre vie à une entreprise qui en a déjà probablement trop. »
Reste que l'on peut se demander si ce genre de considération va résister à l'épreuve du temps. Certaines caméras grand public comme celles de Nest filment en continu l'intimité de votre foyer, stockent les images sur des serveurs et l'on paye un abonnement pour cela.
De petites enceintes connectées et reliées aux serveurs de Google (encore) et Amazon (aussi) sont proposées pour une bouchée de pain. Amazon, dont la présence s'est banalisée aujourd'hui, ne fait que pousser le curseur un tout petit peu plus loin. Trop peut-être aujourd'hui, mais dans quelques années ?