Mark Davies n’est pas un visage très connu du petit monde de l’informatique, mais pourtant on lui doit — à lui et à d’autres — de pouvoir converser avec le reste du monde… avec des émojis. Cet ingénieur américain, résidant en Suisse, travaille chez Google à Zurich. Le Temps a rencontré celui qui est aussi le président du Consortium Unicode, celui-là même qui préside aux destinées de ces petites images.
Davies, 64 ans, est surnommé le « ténébreux seigneur des émojis ». Il a cofondé le consortium en 1991, alors qu’il était employé chez Apple. C’est Steve Jobs en personne qui lui a fait passer son entretien d’embauche ; d’une « intelligence impressionnante », le fondateur d’Apple l’a reçu dans sa maison de Woodside, dans une pièce « immense, sans meubles ». « Il était assis face à moi au bout d’une énorme table en bois. On se serait cru dans le premier Batman ».
À l’époque, il s’agissait de développer Unicode, le standard qui assure la bonne compréhension des langues du monde entier sur les systèmes informatiques. Le consortium a aussi pris en charge les émojis, ces bonshommes et autres imagettes nés au Japon à la fin des années 90. Depuis, les émojis ont fait du chemin puisqu’il s’en échange 6 milliards chaque jour, par 90% des internautes.
Autant dire qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec les émojis. Le consortium, qui compte dans ses rangs la plupart des grandes sociétés informatiques et du web (dont Apple), se réunit quatre fois par an pour sélectionner les futurs caractères et émojis que les appareils devront interpréter correctement (les éditeurs restent maîtres de l’apparence graphique des émojis).
Ces réunions, qui durent deux semaines, permettent de valider ou de refuser les propositions de nouveaux émojis ; les images publicitaires ou farfelues sont ainsi rejetées. Nestlé avait proposé un émoji Kitkat, des particuliers ont réclamé des émojis Justin Bieber ou encore Jésus : c’est non. Tout le monde peut proposer un émoji, il suffit de se rendre sur le site d’Unicode et déposer une demande, mais il faut qu’elle soit argumentée.
La politique du consortium est volontiers progressiste, ce qui explique la présence d’émojis ouverts sur la diversité et les différentes couleurs de peau. Une position qui est parfois critiquée, certains reprochant à Unicode d’être l’arbitre unique et exclusif de ce qui est devenu un langage à part entière. Faut-il laisser tout un chacun créer ses propres images et les partager ? Il se poserait dès lors des problèmes techniques, et entamerait la volonté d’universalité au cœur d’Unicode. Celle-là même qui a permis de rapprocher les utilisateurs d’appareils informatiques autour d’un langage commun.