Une « humiliation ». C’est ainsi qu’un ingénieur de Samsung qualifie le fiasco industriel des Galaxy Note7 aux batteries explosives, explique Bloomberg dans un article bien documenté sur les coulisses de la création de la phablette… imaginée pour tirer profit des faiblesses supposées du grand rival Apple. Et lancée trop rapidement.
Car Samsung a précipité la sortie de son navire amiral. En début d’année, sentant qu’Apple allait se contenter d’une révision de l’iPhone 6s, le conglomérat coréen a senti une opportunité à saisir : celle de montrer qu’il sait innover, mieux et plus fort qu’Apple. Les dirigeants de Samsung ont donc décidé d’accélérer le lancement du nouveau Note, confiants dans le fait que l’appareil allait « éblouir » les consommateurs.
Mais pour parvenir à une présentation le 2 août, puis à la commercialisation dans une dizaine de pays le 19 août, il a fallu pousser les fournisseurs dans leurs derniers retranchements, et ce alors que le Galaxy Note7 est bourré de technologies : écran recourbé bien sûr, mais aussi lecteur de l’iris et… une nouvelle batterie plus puissante qui se recharge plus vite.
Le lancement a été avancé de 10 jours (l’an dernier, le Galaxy Note 5 avait été présenté le 13 août). Sur le papier, ce n’est pas énorme, mais si on ajoute à cela les fonctions désirées par les dirigeants de Samsung, cela commence à ressembler à un planning extrêmement serré. Ces derniers ont ainsi choisi une batterie d’une capacité de 3 500 mAh, au lieu d’un modèle de 3 000 mAh pour la version précédente. Ce composant essentiel était fourni par Samsung SDI, une société dont Samsung détient 20% (et qui livre d’autres constructeurs, dont Apple).
Pour parvenir à livrer en temps et en heures les batteries demandées, les employés de Samsung SDI, ainsi que ceux des autres fournisseurs de Samsung, ont multiplié les heures sup’ et en ont fait plus en moins de temps. Des ingénieurs de Samsung ont même dormi dans les bureaux des sous-traitants du groupe afin d’éviter les heures perdues dans les transports !
Bien sûr, Samsung nie s’être précipité : « Le timing de n’importe quel lancement de produit mobile est déterminé par la division Mobile, en se basant sur le bon achèvement du processus de développement et l’état de préparation du produit pour le marché ». Mais voilà, les explosions de batterie ont rattrapé le constructeur qui a lancé un rappel des 2,5 millions de Note7 déjà vendus, dans un certain désordre aussi bien en termes de communication que logistique. À la décharge de Samsung, organiser un tel rappel n’a rien d’évident.
En interne, on s’est tout de même posé la question de savoir s’il fallait procéder à un rappel en bonne et due forme, ou plus simplement mettre sur pied un programme de remplacement de batterie. Mais le 1er septembre, un ingénieur de Samsung a écrit sur un forum interne de l’entreprise : « S’il vous plaît, rappelez tous les Note7 et échangez-les avec de nouveaux modèles. Je n’ai pas besoin de recevoir mon bonus [tellement] c’est humiliant ».
Il s’en est suivi de nombreux autres messages du même genre, ce qui a fini par pousser la direction à envisager un rappel, qui pourrait lui coûter non plus un milliard de dollars comme précédemment estimé, mais deux. Mais ce qui va coûter le plus cher à Samsung, dans cette histoire, ce sont les dégâts causés à l’image de la marque.
Le Galaxy Note7 sera de nouveau en vente en Corée du Sud le 28 septembre. Mais la société n’a rien annoncé concernant le lancement international du produit. Cette affaire intervient alors que la haute direction du groupe vacille depuis deux ans, depuis que le président et patriarche du chaebol Lee Kun-Hee, a été victime d’une crise cardiaque. Depuis, le management gère à vue et personne n’a l’autorité pour imposer une décision.
Sur le terrain judiciaire, une plainte a été déposée par un résident de Floride, victime d’une brûlure au second degré sur la cuisse droite, alors que son Galaxy Note7 était dans sa poche. Cette poursuite est individuelle pour le moment, mais l’avocat du plaignant n’exclut pas la possibilité de la transformer en action de groupe. Si on ajoute à cela la confusion dans la communication de Samsung, l’affaire risque de coller longtemps sous la chaussure de l’entreprise.