La gamme Lumia est en sursis. Si Microsoft n’en a rien dit, il est de plus en plus évident que cette famille de smartphones, héritée de la lointaine descendance Nokia, n’en a plus pour très longtemps. Le constructeur n’abandonnerait pas le marché du smartphone pour autant — après tout, Windows 10 se décline aussi en mobilité.
Mais en attendant l’hypothétique "Surface Phone" qui viendrait replacer Microsoft dans le haut de gamme, il faut continuer à occuper le terrain. Redmond a lancé en fin d’année dernière les Lumia 950 et 950 XL qui représentent le haut de panier des smartphones sous Windows 10 Mobile. À l’autre bout du spectre, il y a le Lumia 650, un produit bon marché annoncé durant le récent MWC de Barcelone.
Nous avons eu l’occasion de tester les Lumia 650 et 950 XL durant quelques semaines. Une expérience aussi rafraîchissante (Windows 10 Mobile est aussi éloigné des canons d’iOS qu’on peut l’imaginer) que frustrante.
Le plus joli n’est pas le plus cher
Si le Lumia 950 XL est estampillé haut de gamme, c’est paradoxalement le 650 qui présente mieux. Ce dernier bénéficie de finitions de meilleure qualité, avec une bordure métallique à la surface légèrement granuleuse pour une meilleure prise en main ; n’oublions pas les chanfreins qui rendent toujours bien.
On ne se retournera pas au passage du 950 XL. La phablette est pourtant de belle taille avec son écran de 5,7 pouces (contre 5 pouces pour le 650), mais le design quelconque et la finition tout plastique lui donnent un air de milieu de gamme qu’il n’est pourtant pas, vu le prix demandé (699 €, contre 210 € pour son petit frère). Les boutons ont du jeu et le tout a un aspect fragile qui n’incite pas à la confiance. Le petit plus du 950 XL est la présence d’un bouton dédié à la prise de vue : très pratique pour claquer une photo sur le pouce.
Étrangement, Microsoft a choisi deux connectiques différentes : le micro USB pour le 650 et l’USB C pour le 950, pourtant sorti quelques mois avant le plus petit modèle. Un peu de cohérence dans ces choix technologiques lourds de conséquences n’aurait pas été du luxe.
Sous les dalles, les composants sont bien différents. Le Lumia 650 ne cache pas son affiliation milieu de gamme. La définition de l’écran OLED est de 1 280 x 720 (297 ppp), son processeur est un Snapdragon 212 à quatre cœurs cadencé à 1,3 GHz et 1 Go de RAM, l’appareil photo se contente de 8 mégapixels avec une ouverture à ƒ/2.2 et l'on pourra n’enregistrer que de la vidéo 720p.
Le Lumia 950 XL parade lui avec sa dalle AMOLED d’une définition de 2 560 x 1 440 (518 ppp !), son processeur Snapdragon 810 huit cœurs cadencé à 2 GHz avec système de refroidissement, 3 Go de RAM, un appareil photo PureView de 20 mégapixels ƒ/1.9 (et l’enregistrement vidéo 4K). Tout cela est très impressionnant sur le papier, même si cela paraît un peu surdimensionné pour un système d’exploitation traditionnellement peu gourmand. En même temps, il faut bien justifier le prix de l’appareil.
Les coques arrière des deux appareils peuvent se retirer pour remplacer les batteries et insérer les cartes SIM et SD.
Sous l’objectif photo
Nous avons profité d’une froide et belle après-midi ensoleillée pour prendre quelques clichés de Lyon avec les deux Lumia et un iPhone 6s. Rappelons les forces en présence :
- iPhone 6s : 12 mégapixels, ƒ/2.2, taille du capteur 1/3 pouce, focale 29 mm
- Lumia 950 XL : 20 mégapixels, ƒ/1.9, taille du capteur 1/2,4 pouce, focale 26 mm
- Lumia 650 : 8 mégapixels, ƒ/2.2, taille du capteur 1/4 pouce, focale 28 mm
Le Lumia 950 XL est le digne héritier de la technologie PureView mise au point par Nokia pour le Lumia 1020. Le 950 XL offre certes moins de mégapixels que le 1020 (ce dernier intègre un capteur photo de 41 mégapixels !), mais la qualité d’une photo ne se résume pas à ce simple décompte. Les résultats produits par le haut de gamme de Microsoft sont d’excellente facture. Les photos sont très détaillées, la dynamique débouche efficacement les zones sombres, les couleurs sont plus naturelles (l’iPhone 6s a tendance à « réchauffer » les images en poussant un peu la saturation).
Les clichés sortis de l’appareil photo du Lumia 650 sont moins riches et moins détaillés évidemment, mais le petit capteur ne s’en tire pourtant pas si mal. Il faut que les conditions soient réunies : avec une belle lumière comme cela a été le cas pour cette séance comparative, l’entrée de gamme de Microsoft s’en sort bien. Quand les conditions sont moins propices, c’est tout de suite moins bon.
L’expérience Windows 10 Mobile
Les deux Lumia sont les très rares smartphones à fonctionner sous Windows 10 Mobile. À vrai dire, l’expérience diffère assez peu de ce que l'on connaissait avec Windows 8 : on retrouve l’écran d’accueil avec ses tuiles dynamiques, le clavier virtuel bien fichu, les nombreuses options de gestion de l’appareil photo.
Le navigateur Edge est très capable, l’assistante Cortana se montre au moins aussi efficace que Siri, et la plupart des applications intégrées remplissent correctement leurs tâches. Microsoft a même fini par livrer des apps Office à peu près au niveau de leurs homologues sous iOS et Android.
Aucun des deux smartphones n’intègre de lecteur d’empreintes digitales, mais le 950 XL propose un système d’identification original : la rétine. Une fois activé, Windows Hello utilise l’appareil photo en façade pour scanner l’œil de l’utilisateur et déverrouiller le mobile. Cela vous a comme un petit goût futuriste, mais il est malgré tout plus rapide d’entrer un code chiffré. Dommage, l’idée est bonne.
Du côté des performances, il n’y a rien à redire au Lumia 950 XL, et c’est heureux au vu de ses caractéristiques techniques. En revanche, le Lumia 650 rencontre plus de difficultés au quotidien : tout est plus mou et moins réactif, à part l’interface qui reste heureusement véloce. Au quotidien, on perd du temps dans les tâches standards et il ne faut pas être pressé au moment de lancer une app.
Ne comptez pas trop sur les jeux pour vous soulager les nerfs : les saccades sont légion dans les titres un peu gourmands (Asphalt 8 est difficile à jouer en raison des chutes de framerate), et même les jeux plus simples présentent parfois des ralentissements. La définition 720p de l’écran n’est pas tellement un problème à l'usage, après tout elle est de qualité "Retina" (297 ppp). De plus, il est rare de trouver des dalles OLED dans ce segment de prix.
Le 950 XL ne craint aucune application gourmande. Mais il lui arrive de chauffer lors de traitements un peu lourds. Le Snapdragon 810 utilisé par Microsoft est pourtant celui de deuxième génération, Qualcomm ayant revu ce modèle pour répondre aux principales critiques ; plus original, ce Lumia est à notre connaissance un des très rares smartphones à intégrer un système de watercooling (NEC l'avait fait en 2013 avec son Media X N-06E) !
Malgré tout, on sent de temps à autre sous les doigts une certaine fièvre, par exemple durant de gros téléchargements. En hiver cela permet d’utiliser le 950 XL comme chaufferette, mais on préfèrerait quand même des émanations de chaleur plus contenues et moins fréquentes.
Les jeux 3D comme Asphalt 8 offrent de bonnes performances, mais pour être tout à fait franc, on s’attendait sans doute à mieux. Est-ce dû à un manque d’optimisation de la part de Gameloft ? Les applications plus classiques, comme Word ou Edge, se montrent elles bien plus réactives que sur le 650, ce qui est la moindre des choses.
Le 950 XL a un autre atout dans sa manche : le support de Continuum. En branchant l’appareil sur un petit boîtier compagnon (vendu séparément, comptez une centaine d’euros), on affichera un ersatz de Windows 10 « de bureau » sur un moniteur. Le procédé fait illusion, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il n’est pas possible de créer de raccourcis sur le bureau, que les application ne peuvent s’afficher qu’en plein écran et que le multitâche est réduit à sa plus simple expression.
Mais l’effort est intéressant et il rapproche le vieux rêve de l’appareil-à-tout-faire de la réalité (lire : Prise en main du PC caché dans Windows 10 Mobile).
Il reste toutefois le sérieux problème des applications. Contrairement à Windows 10 "tout court", la version mobile ne pourra installer que des applications disponibles sur le Windows Store. La boutique est loin d’être aussi riche que l’App Store ou le Play Store malheureusement, mais notons toutefois qu’on y trouvera à peu près les principales grosses apps — même si certaines en sont encore au stade de bêta, comme Instagram depuis des lustres, ou très en retard en termes de fonctionnalités par rapport à leurs homologues iOS ou Android.
Les utilisateurs de Windows Phone sont de toutes manières habitués à attendre le bon vouloir des éditeurs : les hits de Supercell (Clash of Clans, Clash Royale…) pointent par exemple aux abonnés absents. Windows 10 Mobile a encore du chemin à faire et des parts de marché à gagner pour passer en première division (1,1% de part de marché dans le monde au dernier trimestre 2015, contre 2,8% un an plus tôt…).
Pour conclure
On aura du mal à conseiller tel ou tel Lumia. Le 650 pourrait s’avérer une bonne affaire avec son petit prix (après tout, l’appareil est complet) et un design attirant, mais ses performances en retrait en font un smartphone frustrant et difficile à vivre au quotidien. Le 950 XL est encore plus malaisé à vendre. Certes, l’écran est de qualité et l’appareil photo est excellent, mais son design bien peu inspiré ne donne pas envie d’investir près de 700 € pour l’acquérir.
Malgré la bonne volonté de Microsoft, dans ces gammes de prix l’honnêteté pousse plutôt à recommander un smartphone Android (pour l’entrée de gamme) ou un iPhone (pour le haut de gamme) si on cherche à s’équiper. La plateforme Windows 10 Mobile a encore bien des obstacles à franchir avant d’être aussi complète et riche qu’iOS ou Android. Les applications universelles censées fonctionner sur toutes les déclinaisons de Windows 10 restent fort rares (mais des annonces sont attendues durant les journées de la conférence "Build" pour les développeurs à la fin mars).
Un problème encore plus profond est l’inquiétude que l’on peut nourrir pour la gamme de smartphones sous Windows 10 Mobile. Où Microsoft veut-il aller et jusqu’où Redmond est prêt à pousser sa plateforme alors que les parts de marché ne font que se réduire ? La confiance n’est pas de mise, or il en faut pour dépenser 700 € dans un smartphone… et même 200 €, quand on y songe.
