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La longue route vers la voiture Apple

Mickaël Bazoge

samedi 21 février 2015 à 12:00 • 56

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Apple et l’automobile : le sujet est revenu en force ces derniers jours, suite à la bourrasque de rumeurs provenant de sources aussi fiables que Reuters, le Wall Street Journal ou le Financial Times. En septembre dernier, Tim Cook avait déclaré, l’œil malicieux, qu’Apple planchait sur des produits encore jamais évoqués par la rumeur : se peut-il que le constructeur s’intéresse à ce secteur, au-delà de l’intégration des services de l’iPhone dans le tableau de bord comme le permettent Siri Eyes Free ou CarPlay ?

crédit : The Amazo Effect

L’industrie de l’automobile façonne les économies nationales depuis plus d’un siècle. De manière directe et indirecte, les constructeurs emploient des millions de salariés — en 2012, rien qu’en France, ils étaient 1,8 million à vivre de la filière automobile (incluant les sous-traitants, les garages, etc.), soit 10% de tous les salariés hexagonaux. Dans le monde, ce secteur fait travailler 50 millions de personnes, chaque poste supportant 5 emplois indirects. Autant dire qu’un tel paquebot de l’économie mondiale ne bouge pas à la même vitesse qu’une fringante corvette.

En 1908, la Ford T se définissait comme la première voiture destinée au grand public. 107 ans plus tard, la Google Car autonome veut réinventer l’automobile.

C’est ce qui explique (auprès des béotiens, du moins) ce sentiment diffus d’inertie d’un secteur qui peinerait à renouveler son offre, ce qui est un peu injuste — qui aurait pu dire il y a quelques années qu’une voiture allait pouvoir se garer toute seule ? Que l’hydrogène allait sérieusement être utilisé pour propulser un véhicule ? Qu’il serait un jour envisageable qu’une voiture ne consomme que 2 litres aux 100 km ? Du point de vue de l’industrie de la high-tech, ces innovations, pour impressionnantes qu’elles soient, semblent apparaître au rythme d’un train de sénateurs : Peugeot vient ainsi d’annoncer le support de CarPlay dans sa nouvelle 208… qui ne sera réellement disponible qu’en fin d’année.

Le tableau de bord de la Peugeot 208.

Si les constructeurs ont su s’approprier les technologies d’informatique embarquée qui améliorent « l’expérience conducteur », la plupart des services offerts à bord d’un véhicule (qu’il s’agisse du système de divertissement, de l’ergonomie de l’écran du tableau de bord ou de la gestion et de l’analyse des données du trafic routier) proviennent de fournisseurs tiers. Loin des contraintes d’un outil industriel à maintenir (tout comme les emplois à préserver), les géants de la Silicon Valley ont commencé à imaginer de nouvelles automobiles. Et ce qui amusait hier (la voiture autonome de Google, par exemple) commence à sérieusement prendre forme. C’est que l’ampleur du marché donne le vertige.

En 2014, il s’est vendu dans le monde plus de 71 millions de véhicules, un chiffre en hausse de 2,3 millions par rapport à l’année précédente. Le secteur a généré un chiffre d’affaires de 60,4 milliards d’euros en 2013, uniquement pour la France. On comprend que l’industrie de la high-tech s’intéresse à ce marché, que ce soit pour en prendre une petite part (celle des services informatiques) ou… pour en dévorer tout le gâteau. Mais gare : au deuxième trimestre de 2014, la marge de BMW s’est hissée à 11,7%, celle de Mercedes-Benz a été de 7,9%. En 2013, la marge opérationnelle de Renault a été de 3%, et de 12,6% pour Ferrari. On est très loin des 39,9% d’Apple au dernier trimestre 2014… Sans oublier qu’avant de générer des profits, il faut d’abord investir lourdement. Que viendrait faire la Pomme dans cette "galère" ?

LES PIÈCES DU PUZZLE

L’investissement, ce n’est pas ce qui effraie le plus Apple. Il y a un an, Tim Cook aurait donné le feu vert au projet Titan, en mettant à sa tête Steve Zadesky. Ce dernier est un vieux routier d’Apple, qu’il a rejoint en 1999 pour travailler sur l’iPod; il est d’ailleurs récipiendaire de plusieurs brevets concernant le baladeur audio. Quelques années plus tard, il est un des premiers sur le coup de l’iPhone pour qui, là aussi, il dépose plusieurs brevets. Ce spécialiste de l’ingénierie mécanique, qui a travaillé chez Ford entre 1996 et 1999, est sous les ordres de Jony Ive depuis que son ancien mentor, Bob Mansfield, est en charge des « projets spéciaux ».

Une équipe qui roule

C'est un profil peu connu du grand public, bien que Zadesky soit un poids lourd chez Apple : il y a supervisé la conception de deux des plus gros succès de l’entreprise. Le blanc seing qui lui aurait été donné par Tim Cook l’autorise à mettre sur pied une équipe pouvant aller jusqu’à 1 000 personnes et débaucher des têtes bien faites parmi la concurrence — il ne s’en priverait pas.

Cette équipe, localisée à quelques kilomètres du campus de Cupertino, travaillerait sur la robotique, les métaux et les matériaux en lien avec la fabrication automobile. Apple s’intéresse depuis quelques mois à des profils gravitant autour de l’industrie auto. Rien ne dit qu’ils vont rejoindre l’équipe de Zadesky (ou s’ils travaillent déjà avec ce dernier), mais il s’agit de forts en thème comme Johann Jungwirth (ancien président et directeur général de la branche R&D de Mercedes-Benz pour l’Amérique du nord), Mujeeb Ijaz (qui supervisait les activités de développement de batteries innovantes pour A123 Systems), des ingénieurs de Tesla (les deux entreprises se tirent la bourre, lire : Apple et Tesla : la course au débauchage), sans oublier un certain Marc Newson, qui a dessiné pour Ford un concept car, la 021C… Certes, c’était en 1999.

La 021C dessinée par Marc Newson, ami proche et désormais collègue de Jony Ive, pour Ford.

Parmi les perles débauchées chez Tesla, un profil en particulier retient l’attention : c’est celui de Lauren Ciminera, qui a rejoint Apple en septembre dernier. Son rôle était stratégique chez le constructeur automobile, car c’est elle qui avait la charge d’en recruter les ingénieurs. Un poste pour lequel elle a sans doute constitué un solide carnet d’adresses qui profitera certainement à son nouvel employeur (lire aussi : L'équipe au volant de la voiture Apple).

Au dernier trimestre 2014, Apple a consacré 1,9 milliard de dollars à la recherche et au développement. C'est impressionnant sur le papier, mais cela ne représente que 2,55% de son chiffre d’affaires du trimestre; sur l’ensemble de l’année 2014 Apple a investi 3,30% de ses revenus en R&D. Une somme qui ne sera pas inutile : même s’il ne s’agit pas uniquement de concevoir un véhicule, le développement automobile est très gourmand en ressources. Les résultats des prochains trimestres seront à cet égard révélateurs.

Les dirigeants d’Apple sur les chapeaux de roue

On ignore si Tim Cook entretient une relation particulière au monde de l’automobile (le patron d’Apple semble plus intéressé par le fitness). Ça n’est pas le cas d’autres hauts dirigeants de l’entreprise. Le compte Instagram de Phil Schiller (qui n’existe plus) montrait la passion pour la voiture du vice-président du marketing. Eddy Cue fait partie du conseil d’administration de Ferrari. Mais de cet aréopage (qui dispose d'une aisance financière pour entretenir cette passion à un haut niveau), c’est Jony Ive qui demeure le cas le plus intéressant.

Dans un long portrait paru dans le New Yorker, le designer en chef d’Apple évoque son amour pour l’automobile. On y apprend ainsi que Ive roulait au quotidien dans une Mulsanne de Bentley (avec chauffeur, what else)… un choix très ostentatoire certes, mais que le vice-président tout puissant admet volontiers et défend en avançant des critères de design (lire : Jonathan Ive, sa montre, ses voitures, ses obsessions…). Il est également propriétaire d’une DB4 d’Aston Martin.

La Mulsanne de Bentley.

Passionnés de voiture, Jony Ive et Marc Newson se disent tous deux déçus par le design des voitures modernes. Chaque été, les deux larrons se retrouvent au Festival de la Vitesse de Goodwood, un coin perdu dans le sud de l’Angleterre, où ils peuvent admirer tout à loisir les vieilles mécaniques exposées. Les voitures modernes sont pour la plupart « insipides », juge Ive en pointant, toujours dans l'article du New Yorker, une Echo de Toyota passant à côté de sa Mulsanne. Et il eut comme un cri d'effroi lorsque le journaliste lui annonça que son collègue Jeff Williams roulait dans une vieille Toyota Camry.

Jony Ive, Marc Newson et Bono lors d’une vente aux enchères pour la fondation (RED).

Chez plusieurs des grands noms d’Apple, la voiture n’est donc pas qu’un outil purement utilitaire, c’est aussi une manière de vivre, une image de marque également véhiculée par le Mac, l’iPhone ou l’iPad. Plusieurs témoignages de première main ont aussi rapporté que Steve Jobs aurait aimé s’attaquer au monde de l’automobile. Millard Drexler, tout récent retraité du conseil d’administration de l’entreprise, avait révélé en 2012 que le fondateur d’Apple goûtait peu le design offert par les constructeurs américains (lire : Steve Jobs voulait dessiner une iCar).

SOUS LE CAPOT D'UN VÉHICULE APPLE

Si Apple devait réellement concevoir sa propre voiture, on ne peut pas imaginer un autre moyen de propulsion que l’électrique. L’entreprise fait suffisamment de publicité autour de son utilisation des technologies vertes pour ne pas avoir à promouvoir ni soutenir une technologie aussi polluante et ringarde que le moteur à explosion. Et comme Apple ne fait jamais rien à moitié, il ne devrait pas être question non plus d’hybride.

L’électrique, c’est fantastique

Alimenter un moteur électrique revient fort logiquement à utiliser des batteries. Dans ce domaine, la Pomme a une certaine expertise; certes, on peut moquer l’autonomie de l’iPhone, mais l’iPad et le MacBook Air demeurent des modèles en la matière, que la concurrence arrive seulement maintenant à tutoyer.

Apple a récemment renforcé sa matière grise en la matière, avec le débauchage (houleux, l’affaire devrait se transporter devant un tribunal) des principaux ingénieurs d’A123 Systems. Cette société développe des batteries lithium-ion et des systèmes de stockage de l’énergie, qu’elle fournit à ses clients de l’industrie automobile. La coïncidence est trop belle et elle apporte un peu d’eau au moulin de la rumeur, mais gardons à l’esprit que ces grosses têtes peuvent très bien être affectées à l’amélioration des batteries utilisées actuellement dans les produits d’Apple (notamment pour l’Apple Watch).

Plusieurs technologies de batteries sont utilisées grandeur nature dans les véhicules électriques actuels. Tesla a mis au point un système ESS (Energy Storage System) qui consiste en des centaines de cellules lithium-ion réfrigérées, chacune protégée par deux fusibles afin de prévenir les explosions ou les incendies. La Bluecar de Bolloré, qui circule à Paris (Autolib’) et à Lyon (Bluely) dans des versions modifiées, est elle propulsée par une batterie LMP (lithium métal polymère).

Ces batteries n’ont pas que des avantages. Elles n’offrent qu’un kilométrage limité : le Model S P85D, la version la plus haut de gamme, permet de rouler sur 480 km; la ZOE assurera entre 100 et 150 km. Qui dit batteries, dit aussi recharges régulières. Au lancement de la petite citadine de Renault, la voiture a souffert de l’absence d’un câble secteur permettant d’en recharger la batterie sur une prise standard… un câble finalement commercialisé 600 euros.

Le temps de recharge peut aussi poser problème : il faut 8 heures pour la ZOE sur une prise 16 Ampères. La technologie évolue rapidement dans ce domaine : Tesla développe un réseau de "Superchargeurs" de 120 kW capables de complètement remplir la batterie d’une Model S en 75 minutes. Si l'on est pressé, en 40 minutes ces bornes peuvent recharger une batterie à hauteur de 80%.

En France, le réseau Superchargeur n’est pas particulièrement bien loti quand on le compare à celui de l’Allemagne, en particulier si l’on habite dans le nord ouest de l’hexagone. Il ne faudra donc pas oublier de brancher le véhicule la nuit dans son garage… De son côté, EDF a annoncé la mise en place, sur tout le territoire, d’un réseau de 200 bornes de recharge rapide. Elles devraient apparaître cette année le long des axes les plus fréquentés. À terme, un réseau européen devra émerger pour voir le marché réellement décoller.

Autre problème lié à l’utilisation de batteries : ces composants coûtent cher, ce qui explique aussi en grande partie le prix de ces véhicules. Mais d’ici une décennie, les tarifs des batteries pourraient chûter de moitié à 100$ le kWh, calcule l’analyste Rod Lache de la Deutsche Bank, qui mise sur les économies d’échelle et l’amélioration des technologies. Le coût de la propulsion traditionnelle va lui continuer à augmenter, ne serait-ce que sous le coup des réglementations. À terme, la batterie de 47 kWh d’un véhicule d’une autonomie de 320 km sur une charge coûtera 5 400$; si on y ajoute le moteur électrique, le coût de l’ensemble revient à 6 100$ : ce sera plus de 1 000$ de moins que les 7 000 à 7 600$ de l’équivalent à combustion.

En 2014, Tesla a vendu 32 733 unités du Model S, le seul véhicule à son catalogue, et moins de 10 000 au dernier trimestre de l’an dernier (la marge opérationnelle de Tesla a affiché un solide 27,36%). Plus près de nous, la ZOE de Renault est la voiture électrique la plus populaire en France avec 5 511 exemplaires vendus en 2013, loin devant la Leaf de Nissan (1 438 unités).

Le marché des véhicules électriques est donc très réduit. On est loin, très loin des volumes faramineux de l’iPhone, et même de l’Apple TV (25 millions d’unités depuis janvier 2013). Comparaison n’est cependant pas raison : si la voiture est un bien de consommation courant, l’Apple TV ou l’iPhone le sont bien plus encore pour une raison simple — leur prix. La berline Model S de base coûte 65 440 euros; la ZOE, petite citadine au rayon d’action plus limité, est proposée à partir de 21 490 euros. En regard, l’iPhone le plus onéreux est commercialisé à 1 019 euros.

L’autonomie, c’est très gentil

C’est en 2017 que les premières voitures autonomes seront disponibles pour le grand public, pronostiquait Sergey Brin, le cofondateur de Google (et patron du labo R&D « moonshots » du moteur de recherche). C’était en 2012 et depuis, la date a été repoussée à 2020. Cette technologie consiste à simplement et purement éliminer le facteur humain de la conduite sur route, qui provoque la très grande majorité des accidents. Google travaille sur le sujet depuis 2010, avec un acmé en décembre dernier : l’entreprise a levé le voile sur le premier prototype complet de sa voiture autonome.

La technologie à l'œuvre pour ce type de véhicule repose sur un système complexe de caméras et de lasers (système LIDAR), permettant de générer une carte 3D détaillée de l'environnement immédiat du véhicule. En combinant ces informations avec des cartes très précises des routes, le véhicule peut se mouvoir seul, sans l'aide d'un humain. Si cela ressemble à de la science-fiction pour la grande majorité d'entre nous, ces véhicules autonomes sont d'ores et déjà autorisés à rouler sur les routes de plusieurs États américains (Californie, Nevada, Michigan et Floride), mais à des fins de test seulement. C’est heureux : le système de reconnaissance mis au point par Google est toujours susceptible de ne pas faire face à des événements inattendus sur la route, comme la présence de travaux. On peut penser qu’avec Waze (une app qui permet d’indiquer à la communauté la présence d’un problème sur la route), Google détient une partie de la solution.

La technologie de télémétrie LIDAR est aussi à l’œuvre dans les fameux vans banalisés d’Apple, que l’on voit rouler de plus en plus en Californie. Les dernières informations sur le sujet font état d’un équipement proche de celui d’une Google Car autonome : six caméras, deux capteurs LIDAR, des antennes GPS.

Un des vans Apple, pris ici en photo à Richmond, en Californie.Cliquer pour agrandir

La présence de ces véhicules dans les rues n’a pas manqué d’allumer le brasier de la rumeur : Apple développerait donc une voiture autonome… À ce stade, ça n’a rien d’impossible évidemment. Une source de Reuters a ainsi évoqué l’intérêt du créateur de l’iPhone pour la conduite autonome. Et le sujet est sur la feuille de route d'autres entreprises technologiques (comme Sony), ainsi que chez plusieurs grands constructeurs traditionnels : Volkswagen, BMW et Daimler s’y intéressent. Mercedes-Benz, une filiale de Daimler, a ainsi présenté au CES un concept car autonome d’allure très sportive, la F 015.

Le sujet est tellement à la mode que Gore Verbinski, réalisateur de trois Pirates des Caraïbes, s’apprête à mettre en boîte une comédie mettant en vedette une voiture autonome ! Pour autant, les véhicules d’Apple qui sillonnent les routes actuellement pourraient ne servir qu’à alimenter une base de données photographiques pour Plans, qui viendrait alors concurrencer Google Street View. Après tout, les véhicules du moteur de recherche utilisent peu ou prou la même technologie que la Google Car autonome. Le grand avantage du moteur de recherche, c’est que la collecte des images a débuté en 2007. Apple a encore pas mal de kilomètres à parcourir à travers le monde…

Ue Google Street View Car avec son équipement sur le toit.

QUEL OUTIL INDUSTRIEL POUR UNE VOITURE APPLE ?

Produire une voiture est un casse-tête à 10 000 pièces (le nombre moyen de composants qui rentrent dans la fabrication d’une automobile). Elon Musk déplorait à l’automne dernier la grande difficulté de construire un véhicule électrique, ce qui explique aussi les chiffres décevants du constructeur lors de son dernier trimestre : il lui est « vraiment difficile » d’augmenter la production de sa Model S.

« Nous prenons de l’acier et nous le transformons en voiture », explique de son côté Dan Akerson, l’ex patron de General Motors. Apple « n’a aucune idée de ce qui l’attend [s’ils] veulent se lancer ». Une admonestation un rien condescendante, que la Pomme aurait déjà pris en compte : des dirigeants d’Apple se seraient ainsi rendus chez Magna Steyr, la filiale autrichienne du canadien Magna International, dont l’activité consiste à produire des véhicules sous « marque blanche » pour d’autres marques.

La capacité de production de Magna Steyr est de 200 000 véhicules par an, ce qui en fait le constructeur sous contrat le plus important au monde. On lui doit entre autres l’assemblage de tous les modèles E-Class 4Matic de Mercedes-Benz (une technologie d’ailleurs développée par Magna Steyr).

Le coupé RCZ de Peugeot est assemblé par Magna Steyr

Apple, qui ne jure que par le modèle « zéro usine », fait produire ses appareils chez des sous-traitants, quitte à investir dans l’équipement d’un fournisseur (on l’a vu avec GT Advanced qui a reçu plus d’un demi-milliard de dollars pour sa défunte ligne de saphir de synthèse, qui n’a finalement rien donné). On imagine mal la Pomme construire ses propres usines d’assemblage de voitures, avec toutes les contraintes que cela implique (notamment la gestion de milliers de salariés). Magna Steyr ressemble effectivement au partenaire idéal - un Foxconn pour les quatre roues - dans l'optique de produire une éventuelle "Apple Car", ce d’autant que le constructeur pourra payer son fournisseur avec le trésor de guerre qui dort en Europe (et qu’Apple ne veut pas rapatrier aux États-Unis pour des raisons fiscales).

Si l'on a tendance à se focaliser sur le design ou les rumeurs autour d’Apple, on oublie trop souvent de saluer à sa juste mesure la formidable machine à produire qu’est devenue l’entreprise, d’abord sous le magistère de Tim Cook quand il était vice-président en charge des opérations, puis de Jeff Williams (que certains voient déjà à la tête d’Apple). Qu’on y songe : Apple a réussi à produire et vendre plus de 74 millions d’iPhone en un trimestre, ce qui exige des compétences organisationnelles et industrielles hors du commun (lire : Apple, la machine à fabriquer des millions d'iPhone).

La chaîne d’assemblage mise en place pour l’iPhone, l’iPad et tous les autres produits Apple n’a pas beaucoup d’autres équivalents dans le domaine des technologies… et on ne voit guère que la chaîne logistique des constructeurs automobiles pour rivaliser. Le constructeur de Cupertino a démontré à de nombreuses reprises qu’il savait parfaitement orchestrer la production d’un produit, quitte à asphyxier la concurrence en la privant de composants indispensables.

On devrait d’ailleurs avoir une nouvelle preuve de la puissance de la Pomme dans un secteur très spécifique : l’approvisionnement en or destiné à l’Apple Watch Edition. Les besoins d’Apple en la matière vont sans doute propulser l’entreprise parmi les plus importants clients du secteur. Les constructeurs de montres connectées qui voudront concurrencer Apple sur le (très) haut de gamme vont devoir s’accrocher pour garantir leurs propres livraisons du métal précieux… à moins d’augmenter leurs tarifs. Peut-on demain imaginer la même chose avec les batteries lithium-ion, par exemple ?

Y ALLER OU PAS

Et si ce faisceau de rumeurs, qui semble clairement dessiner une voiture Designed by Apple in California, n’était qu’un rideau de fumée cachant une réalité beaucoup plus pragmatique ? Toute cette agitation en coulisses pourrait en fait n’être qu’une manière d’investir dans les systèmes embarqués d’infotainment. Dan Akerson aurait ainsi été heureux de laisser à Apple le soin de gérer les appareils multimédia et les services connectés de « toutes les voitures GM »… Ce qui est pratiquement le cas avec CarPlay.

Le cas CarPlay

Annoncé en juin 2013 sous le nom iOS in the Car, CarPlay a été finalisé en mars 2014. En connectant l’iPhone au système audio/vidéo d’un véhicule compatible, l’écran du tableau de bord affiche alors des applications adaptées à une conduite sans danger : Téléphone, Plans, Musique, Messages, Podcasts et une poignée d’autres sont projetées depuis l’iPhone vers l’autoradio. Les véhicules et les kits à intégrer sont très peu nombreux encore, et malgré les promesses d’Apple d’une disponibilité dans plusieurs modèles à la fin de l’année dernière, il faudra encore attendre quelques mois pour voir CarPlay se déployer plus franchement sur les routes.

En dehors des aléas de développement, ce qui frappe avec CarPlay c’est la grande souplesse laissée aux constructeurs automobiles et aux fabricants de systèmes à installer après coup. Apple autorise ses partenaires à installer CarPlay derrière des écrans résistifs ou capacitifs, ou encore avec des contrôles manuels (lire : CarPlay : premières prises en main déroutantes). En fait, il est vraiment étonnant de ne pas voir actuellement plus de véhicules emporter CarPlay à leur bord au vu de la liberté d’intégration autorisée par la Pomme.

Cela souligne l’inertie dont fait preuve l’industrie traditionnelle de l’automobile. Quand bien même Apple (et Google avec son Android Auto tout aussi souple) offre une large palette d’intégrations possibles, les constructeurs auto donnent l’impression de prendre un temps infini pour proposer à leurs clients les nouveautés des géants de la technologie. Outre les problèmes de sécurité au volant, les constructeurs auto ont aussi à prendre en compte des choix technologiques parfois incompatibles ou tout simplement vieillots, tandis que leur système de production est bien moins souple que chez Foxconn.

Démarrer de zéro

Le temps des éditeurs informatiques n’est donc pas celui de l’industrie automobile. Quand on voit le délai entre l’annonce de CarPlay et les premières voitures qui embarquent réellement la technologie, on comprend mieux à quel point le développement d’un véhicule dans son ensemble peut être chronophage. Dennis Virag, président de l’Automotive Consulting Group, prévient d’ailleurs que « si vous démarrez de zéro, ça va vous prendre plus de dix ans. Une voiture est une machine technologiquement très complexe ». Un dysfonctionnement pendant l'utilisation d'un iPhone n'a pas les même conséquences que dans une voiture lancée sur la route.

C’est pourquoi la rumeur du lancement de la production du premier véhicule Apple en 2020, comme pronostiqué par Bloomberg, semble irréaliste. Un constructeur présent sur le marché depuis longtemps met généralement de cinq à sept ans pour développer une nouvelle voiture. On ne doute pas de la capacité d’Apple à aller plus vite que les autres étant donné les moyens que le constructeur peut se donner pour parvenir à ses fins, mais l’échéance de 2020 parait très proche : la conception d’une automobile électrique, voire autonome, n’aurait demandé à la Pomme — entreprise inexpérimentée sur ce secteur —, que six ans ?

L’usine d’assemblage de Tesla, à Fremont dans la Silicon Valley.

Pour aller plus vite, Apple pourrait s’offrir un acteur du marché. On pense immanquablement à Tesla, dont la valorisation de 35 milliards de dollars est certes conséquente, mais qui n’est pas si importante quand on dispose d’un trésor de guerre de 180 milliards. Et après tout, les gros chèques ne font plus peur à Apple : Tim Cook a bien lâché 3 milliards de dollars pour un constructeur de casques audio. Tesla est effectivement un beau parti, qui partage avec Apple bon nombre de points communs, des technologies innovantes, un réseau de bornes de recharge, une « gigafactory » de batteries lithium-ion dans le Nevada, un réseau de concessionnaires… Mais également une bonne connaissance de la législation et des problématiques liées à la sécurité routière.

Un bon parti donc, et la rumeur est alimentée par Elon Musk lui-même : en juin dernier, le patron de Tesla déclarait mine de rien que des contacts avaient été pris avec Apple. Mais sa décision de libérer les brevets de l’entreprise afin qu’ils puissent être utilisés par tout un chacun (la réalité est cependant un peu plus complexe) est à l’opposé de la défense bec et ongles exercée par Apple sur sa propriété intellectuelle (lire : Pourquoi Apple n'achètera pas Tesla).

UNE LONGUE ROUTE

Mais alors, n’y a-t-il qu’un tout petit feu sous cet épais nuage de fumée ? Le projet Titan d’Apple pourrait « simplement » être un moyen pour le créateur de l’iPhone de mieux comprendre le fonctionnement d’un constructeur auto et d’acquérir une expertise dans un domaine qu’elle ne maîtrise pas encore complètement (et ainsi, adapter ses technologies embarquées aux contraintes réelles de ses partenaires automobiles).

Ou bien encore de concevoir une flotte de véhicules « maison » pour photographier les rues du monde entier… Après l’immense foutoir du lancement de Plans, Tim Cook a promis de mettre l’argent qu’il fallait pour mettre le service à hauteur de Google Maps. Cette débauche de moyens parait surdimensionnée, mais Apple peut se permettre d’engloutir des sommes folles pour concurrencer Google.

Le marché de l’automobile donne en tout cas l’impression d’être à l’orée d’une nouvelle révolution industrielle qui ressemble, toutes proportions gardées, aux périodes ayant précédé les lancements de l’iPod, de l’iPhone, de l’iPad, et demain, peut-être, de l’Apple Watch. Apple va-t-elle se contenter d’accompagner ce mouvement, ou plus brutalement, devenir le fossoyeur d’une industrie qui n’a pas su se renouveler suffisamment vite ? Il faudra encore des années avant de connaître la véritable nature du projet Titan d’Apple, de voir un véhicule Tesla bon marché être distribué partout dans le monde, ou de se reposer dans sa Google Car autonome entre le travail et la maison.

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