Tout part d'un simple oubli. Sergey Brin, cofondateur de Google, arrive sur le tapis rouge d'une énième soirée de la Silicon Valley, visage nu de toute Google Glass. "Je les ai laissées dans ma voiture" a-t-il simplement déclaré. Une situation loin d'être anodine puisqu'il est difficile de se souvenir la dernière fois que l'on a aperçu le cofondateur de Google sans ses lunettes connectées.
Cet oubli est lourd de sens, à une période où les Google Glass commencent à perdre de leur superbe. Entre une sortie de masse qui ne cesse d'être repoussée et des développeurs qui se détournent peu à peu des Glass pour se diriger vers d'autres plateformes comme l'Oculus Rift ou les montres connectées; l'avenir des lunettes de Google semble être incertain. Bien loin de l'euphorique lancement du programme explorateur, destiné à fournir des prototypes à quelques testeurs et développeurs, contre monnaie sonnante et trébuchante.
Le site Reuters a interrogé seize développeurs lancés sur des projets liés aux Glass et, sur ces seize, neuf ont arrêté ou abandonné leurs travaux. "S'il y avait 200 millions de Google Glass vendues, on aurait une perspective différente, mais pour l'instant, il n'y a simplement pas de marché", assène le PDG du studio de développement Little Guy Games. Il a mis en suspens le développement d'un jeu pour ces lunettes, laissant entrevoir une perte d'intérêt des développeurs pour la plateforme.
Cependant, les Glass continuent leur bonhomme de chemin dans quelques domaines. Par exemple aux États-Unis, dix-neuf hôpitaux utilisent les lunettes intelligentes lors d'opérations médicales et dans l'assistance aux patients, et Google espère bien faire passer ce chiffre à la centaine d'ici l'année prochaine. De grandes entreprises comme Boeing, Taco-Bell (une chaîne de fastfood américaine), ou même la SNCF sont en train de tester les Google Glass pour différentes applications.
Mais ces pistes d'utilisation sont à mille lieues des premières démonstrations de Google, qui voyait ses lunettes comme l'assistant personnel ultime. L'utilisation en entreprise pourrait offrir une bonne sortie de secours aux Glass, qui passeraient alors à côté de leur usage originel.
Google semble avouer un échec à demi mot. Après avoir supprimé le site web destiné aux développeurs d'applications Glass (sous prétexte de favoriser une communication plus directe), beaucoup se plaignent d'un manque de communication commerciale. Le temps des défilés de mode et des pages spéciales dans Vogue semble bien lointain.
Dans les équipes internes, l'ambiance ne semble pas être différente. Toujours selon Reuters, l'équipe qui conçoit les Glass aurait vu les principaux ingénieurs partir, au profit d'autres projets. Twitter a également claqué la porte, en supprimant purement et simplement son application des lunettes. Le manque de communication générale de Google autour de ses Glass — complètement absentes des annonces lors de la Google I/O de juin — donne l'impression aux développeurs, et même au grand public, que l'on ne sort pas du carcan de l'expérimentation à grande échelle.
Ce manque d'intérêt pour le projet Glass peut aussi se vérifier très simplement sur les sites de revente. Il n'est en effet pas rare de croiser des paires de lunettes signées Google pour moins de la moitié du prix initial de 1500$. Les grandes entreprises misant sur les Glass bénéficieraient également d'importantes réductions sur le prix d'achat, de l'ordre de 50%. Si le prix de revente de ces lunettes peut paraître insignifiant, il est assez révélateur d'un manque d'intérêt du grand public pour l'objet, ou même du manque d'intérêt de nouveaux développeurs potentiels.
Si les Glass n'engagent pas énormément de perspectives positives pour l'avenir, qu'en est-il du reste du wearable computing ? Quelques mois après la sortie des premières montres sous Android Wear, on voit que ce genre de produits reste encore très anecdotique et flanqué d'une image très 'nerdy' qui les tient à l'écart du client lambda. Samsung s'est lancé il y a maintenant plus d'un an sur le marché des montres connectées, en sortant de nouvelles à tour de bras mais le produit n'a jamais vraiment décollé.
L'Apple Watch sera un bon indicateur du potentiel effectif de ce marché. Car si tout le monde la regarde avec intérêt aujourd'hui, personne ne sait vraiment si la montre d'Apple sera un réel succès. On peut compter sur la force de frappe d'Apple qui fera remonter le marché, quoi qu'il arrive. Mais de là à le transformer en profondeur, lui donner un réel intérêt commercial comme Apple l'a fait pour le marché des smartphones… pour tout cela, l'avenir est encore assez brumeux.
Si l'on regarde dans la branche du wearable qui se porte sur le visage, on peut aussi trouver l'Oculus Rift, ce casque de réalité virtuelle acheté par Facebook qui fait encore office d'attraction de foire plutôt que d'un véritable produit viable. Il a beau avoir été mis entre les mains de 100 000 développeurs, Mark Zuckerberg lui-même n'y voit un avenir que dans 10 à 15 ans et sous réserve d'en avoir vendu entre 50 et 100 millions d'unités.
Pour le moment, on voit que les entreprises informatiques veulent à tout prix lancer de nouveaux marchés, alors que le grand public ne répond pas présent, ou très rarement. Seul un public d'initiés semble être enthousiaste pendant les premiers temps, pour ensuite reléguer ces nouveautés au second plan. À l'heure où les smartphones règnent en maître sur l'industrie technologique, la question du succès du wearable se pose réellement.
On se souvient tous du Newton d'Apple. Le produit en lui-même était plus que prometteur, et en avance de plusieurs années sur le reste du marché. Et pourtant, il aura fallu attendre quelques années avant de le voir prendre son envol, et même dans ses beaux jours, il ne s'est jamais vraiment imposé comme un succès de son époque. Est-ce que les Google Glass sont victimes du même syndrome ? Et même le wearable en général ? Il est impossible de prédire le futur aujourd'hui, mais la nécessité d'un game changer comme pourrait l'être l'Apple Watch pourrait réellement donner son souffle à ce marché dans lequel les entreprises investissent tant.