De Rigueur s’est fait connaître avec sa réinterprétation du baise-en-ville, petit sac de voyage devenu luxueuse sacoche pour iPad. Malgré des débuts difficiles, la petite entreprise lyonnaise a présenté un nouveau modèle, puis des étuis jouant sur la même fibre vintage.
De Rigueur se lance aujourd’hui dans le marché très relevé des batteries externes, mais avec un parti-pris intriguant. La Connected Sleeve est une batterie qui recharge et se recharge par induction, et fait office de housse en cuir pleine fleur made in France.
Alors qu’elle sera bientôt proposée sur Kickstarter, nous avons voulu savoir quel était le marché de cette « maroquinerie connectée », comment une petite entreprise française travaillait avec des partenaires français et étrangers, et ce que le crowfunding pouvait lui apporter. Entretien avec Adrien Deslous-Paoli, fondateur de De Rigueur.
Avant la Connected Sleeve, De Rigueur s’était fait remarquer avec sa réinterprétation du baise-en-ville. Pourquoi se lancer, aujourd’hui, dans la maroquinerie ?
Le Baise en ville rendait en effet hommage au baise-en-ville que j’ai un jour retrouvé dans le grenier de la maison de mon arrière-grand-père. Un objet pratique, utilitaire même, mais aussi élégant. C’est devenu la raison d’être de De Rigueur : concevoir des objets pratiques et élégants pour les temps modernes. La technologie résout beaucoup de problèmes, mais en crée de nouveaux. Comment transporter tous ces appareils ? C’était le but du Baise en ville. Comment les recharger ? C’est le but de la Connected Sleeve.
Mais avec la Connected Sleeve, vous faites tout de même un grand saut, puisque ce n’est plus simplement de la maroquinerie, mais de la « maroquinerie connectée ». C’était une progression naturelle ?
Nous avons toujours voulu aller vers la « maroquinerie connectée », mais nous ne voulions pas le faire dès le début, et prendre le risque de nous planter sur toute la ligne. Nous avons commencé par apprendre à faire des objets en cuir, et nous apprenons maintenant à faire des objets connectés, avec l’aide de partenaires compétents. RTone nous a ainsi aidé à choisir les bons composants, tandis que ABMI nous a assistés pour la partie mécanique, notamment dans la conception de la languette en élastomère.
Vous avez participé cette année au CES. L’expression « de rigueur » est compréhensible aussi bien en français qu’en anglais, et la Connected Sleeve allie cuir et silicium. Comment avez-vous été accueillis ?
Avec un Innovation Award [NdR : catégorie « Portable Power »] ! Cela vient couronner des mois de travail, et c’est vraiment très encourageant.
Nous sommes arrivés avec un produit, mais aussi un univers qui fait un peu rêver, celui de la maroquinerie française. Notre stand ne mesurait que 2,50 mètres sur 2,50 mètres, mais nous avons réussi à attirer beaucoup de monde en le mettant en scène comme une boutique de luxe. Nous étions tous habillés en costume et nœud papillon, alors que les petites start-ups se contentent souvent de tee-shirts.
Nous tirons évidemment parti de l’image que la France peut avoir à l’étranger, mais cela permet de parler de ce que nous appelons la fashion tech, un concept qui a été bien accueilli par les Américains. Nous mettons en avant l’élégance et un certain art de vivre, présentons les savoir-faire associés, et les mettons au service de la technologie.
La fashion tech, c’est travailler avec un studio parisien pour évoquer une esthétique classique ?
Le challenge, c’est de marier l’artisanat français et les nouvelles technologies. Ces deux mondes ont des valeurs radicalement opposées : l’un joue sur l’intemporalité et la rareté, l’autre sur le renouvellement permanent. De notre point de vue, le design peut faire le lien entre les deux. Nous nous sommes donc tournés vers Elium, qui a travaillé sur de nombreux objets connectés, comme ceux de Withings.
L’idée, c’est de fidéliser nos clients en proposant une gamme de produits à l’apparence similaire, du portefeuille au sac de voyage. Mais pour que cela fonctionne, il faut que ces produits lui rendent service au-delà de l’apparence : nous nous concentrons aujourd’hui sur la recharge par induction, mais on peut imaginer travailler sur la connectivité ou le stockage, tout en restant dans le domaine de la maroquinerie.
Le fondement de la maroquinerie, c’est le cuir, un matériau qui n’est pas forcément facile à manipuler. Comment avez-vous choisi les cuirs que vous utilisez, et comment pouvez-vous vous assurer qu’ils vieillissent bien ?
J’ai passé un an dans des ateliers dans le nord de la France pour apprendre à choisir les cuirs, dessiner des modèles, travailler sur des gabarits… Nous avons sélectionné une dizaine de cuirs dont nous avons observé le vieillissement. Comme nous n’avons pas dix ans devant nous, nous utilisons des procédures de vieillissement accéléré, sur plusieurs semaines à plusieurs mois. Nous avons finalement retenu un cuir de veau pleine fleur Annalisa, qui se patine légèrement avec le temps, de manière plus esthétique qu’un cuir végétal, qui risque de se rayer ou de s’abîmer.
Et ce cuir n’est pas seulement français, il est local. Au-delà de « l’image made in France », c’est important dans la conception du produit ?
Oui, parce que nous faisons beaucoup d’allers-retours, aussi bien sur la partie cuir que sur la partie technologique. Les délais des uns s’ajoutent aux délais des autres, et chaque fournisseur n’a pas forcément une vision globale du produit.
Justement, la gestion des fournisseurs est une tâche difficile, même lorsqu’on n’est pas une TPE. Comment l’organisez-vous ?
Le cuir et beaucoup de composants viennent de France, d’autres puces viennent d’Allemagne ou des États-Unis, les batteries viennent de Chine… Les grands fournisseurs n’envoient pas forcément d’échantillons aux petites entreprises comme la nôtre. Nous devons passer par une entreprise qui peut commander des volumes importants : c’est le rôle de RTone, qui fait le lien avec les fournisseurs, et possède une réelle compétence dans le domaine des objets connectés.
Donc le cuir et certains composants viennent de France, tout comme le design et la conception. Mais un produit made in France, c’est un produit véritablement fabriqué en France. Ce sera le cas ?
Oui. Nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas se tourner vers l’Espagne ou le Portugal, qui savent travailler le cuir, vers le Maroc, qui a un beau savoir-faire en la matière, ou même vers la Chine. Mais nous avons fait le pari de fabriquer en France.
Il y a un environnement très favorable aux objets connectés. Le gouvernement met beaucoup de moyens dans le domaine, notamment avec la Cité de l’objet connecté à Angers ou avec sa participation au CES, et la BPI observe le domaine de très près. La France a pris du retard sur le big data ou le cloud computing, mais n’a pas l’intention de rater le mouvement des objets connectés, sur lequel nous avons des compétences et un coup à jouer.
Et cela veut dire quelque chose pour les marchés que nous visons au-delà de la France : les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la Chine. De gros distributeurs chinois sont prêts à acheter en volume pour financer notre production en France. La classe moyenne chinoise n’a pas forcément envie d’acheter des produits made in China, et comprend les références à la maroquinerie.
Le made in France n’est pas toujours facile, mais c’est un atout pour nos produits.
Parlons des technologies à l’intérieur de la Connected Sleeve. Elle intègre une batterie de 4 500 mAh, soit deux charges d’un smartphone moyen. Pourquoi pas une seule, ou trois ?
Le premier prototype [NdR : sur les photos qui accompagnent cet article] embarquait une batterie de 7 000 mAh. Nous avons eu de nombreux retours, notamment au CES, sur son poids et son encombrement. Il mesure trois centimètres d’épaisseur et pèse plus de 220 grammes, c’est trop.
Nous voulons que la Connected Sleeve rentre facilement dans la poche d’un sac, ou la poche intérieure d’une veste : nous sommes donc passés à une batterie de 4 500 mAh. Le modèle que nous présenterons au public mesurera donc 18x9 cm pour une épaisseur comprise entre 1,5 et 2 cm, et un poids de 180 grammes [NdR : la Connected Sleeve ne peut donc accueillir des appareils du calibre de l’iPhone 6 Plus, mais de l’aveu même d’Adrien Deslous-Paoli, ils ont une autonomie et un encombrement tels qu’il n’est ni nécessaire ni souhaitable de les accompagner d’une source d’alimentation externe.].
Il faut qu’elle rentre dans une poche, mais ce n’est pas non plus une housse de protection : comment imaginez-vous que la Connected Sleeve sera utilisée ?
On peut glisser le téléphone à l’intérieur de la Connected Sleeve, mais aussi le poser dessus. Au restaurant par exemple, vous pouvez poser votre téléphone dessus et le retirer simplement et rapidement pour répondre à un message. À la fin du repas, vous glissez le téléphone dedans, et le tout dans votre sac ou votre poche de veste. Dans tous les cas, le téléphone est rechargé, sans que vous ayez eu besoin de chercher une prise ou de le brancher à l’autre bout de la pièce.
La recharge s’effectue par induction. Pourquoi avoir choisi le Qi plutôt qu’une autre technologie ? Comment attirer les clients de l’iPhone, nombreux dans le marché que vous visez, alors que cet appareil n’est pas compatible avec la recharge par induction ?
Nous pensons que le Qi va s’imposer. Il est intégré à 62 modèles de smartphones sur le marché, dont la plupart des smartphones Android haut de gamme les plus récents, comme les Samsung Galaxy ou les Nexus.
Apple ne choisira probablement pas le Qi — ni aucun autre standard, d’ailleurs. Mais plusieurs coques permettent de recharger un iPhone par induction sans beaucoup l’épaissir ni l’alourdir [NdR : comme ce modèle de LingsFire], et on peut aussi trouver des sortes d’étiquettes à glisser derrière une coque et à brancher sur le port Lightning [NdR : nous avons testé une solution de ce genre]. Nous livrerons toutes les Connected Sleeve avec une de ces étiquettes, au format micro-USB ou Lightning selon la demande du client.
Notre service après-vente sera disponible pour assister le client dans la pose de cette étiquette, ou pour en renvoyer une en cas de besoin. Vue de cette manière, la technologie Qi s’impose comme une solution universelle.
Évoquons enfin la commercialisation du produit, qui interviendra après une levée de fonds sur Kickstarter. Pourquoi Kickstarter plutôt qu’une autre plateforme de crowdfunding ?
Nous avions échoué à financer le développement du Baise en ville sur Kickstarter, mais nous venions alors tout juste de nous lancer. Nous avions ensuite bien réussi sur KissKissBankBank pour le grand frère du Baise en ville, mais les sommes levées restaient modestes. Nous avons un temps envisagé de faire notre campagne sur Indiegogo, mais Kickstarter est tout de même bien connu en France, et il est entouré de nombreux outils qui permettent de gérer sa campagne au mieux.
Cette expérience de crowdfunding, vous êtes bien placé pour le savoir, est très éprouvante. Pourquoi s’y confronter ? C’est le seul moyen de lever des fonds, c’est le meilleur canal de promotion ?
Pour atteindre un prix raisonnable, il nous faut commander à un certain volume, et pour commander à un certain volume, il nous faut des fonds. Un succès sur Kickstarter montre aussi que le marché existe — c’est un argument fort auprès des investisseurs et des acheteurs, si l’on veut pouvoir passer à l’étape suivante, après la Connected Sleeve.
Mais c’est aussi une formidable campagne de communication internationale. Nous avons participé au CES, nous participerons prochainement au Pitti Uomo, nous voulons parler à la fois de technologie et de mode. Il faut que nous nous fassions un nom — qui sait, nous deviendrons peut-être la première maison de haute maroquinerie connectée !
Mais avant ça, il faudra tenir vos promesses. Beaucoup de projets Kickstarter n’existent que sur le papier, et même les mieux préparés sont parfois dépassés par leur succès. Où en êtes-vous ?
Nous sommes plus dans l’étude de faisabilité, nous avons déjà un produit qui fonctionne, le cuir et les composants. Et nous avons déjà identifié deux partenaires industriels : l’un pour la partie technologique à Angers, l’autre pour la partie cuir tout à côté, il faut que nous arrivions à les faire communiquer. Cela nous fait gagner des mois et des mois, et nous pensons pouvoir livrer les premiers exemplaires au début de l’été.
De Rigueur lancera sa campagne Kickstarter jeudi à 11 h 30. Celle-ci durera 30 jours, avec un objectif fixé à 50 000 €. Les 100 premiers exemplaires de la Connected Sleeve seront proposés à 99 €, les 200 suivants à 129 €, et les 300 suivants à 159 €. Le prix « normal » sera de 199 €.