Le mot de l'exclusivité

Alors qu'on fête aujourd'hui les cinq ans de l'iPod, c'est moins au baladeur qu'à son nom que nous nous intéressons. Au fil de ces derniers mois, après que le succès de l'appareil s'est clairement affirmé, Apple a en effet mené une série d'actions pour que le mot "iPod", ses dérivés aussi, ne soient pas utilisé par des tiers. Jérémie Verniau, Fondateur de la société WEBCONSEIL en 2001, spécialisée dans la fourniture de conseils juridiques en matière de nouvelles technologies, de propriété intellectuelle, et d'élaboration et de rédaction de contrats, a bien voulu répondre à nos questions sur ce sujet polémique.

Après le terme iPod, Apple cherche à ce qu'aucun usage commercial ne soit fait du mot pod. Elle a déposé la marque le 29 juillet 2004. Jusqu'où peut-elle aller comme cela ?

Tout d’abord, le principe de « spécialité » d’une marque de produits et/ou de services empêche que le titulaire d’une marque puisse invoquer l’exclusivité de l’usage de la dénomination concernée pour tous les secteurs d’activité commerciale.

En effet, une marque ne confère une protection que pour les produits et services qu’elle désigne dans son dépôt, et pour lesquels elle est effectivement exploitée par son titulaire.

Ce principe peut être nuancé par le caractère notoire ou non de la marque, mais cela signifie que pour empêcher que tout usage commercial soit fait du mot « pod », Apple devrait déposer une marque couvrant l’ensemble des produits et services existant, et ensuite utiliser ce terme pour chacun d’entre eux.

Apple aura certainement beaucoup de mal à satisfaire à cette double condition.

Surtout, Apple devra faire face à de nombreuses marques préexistantes à son dépôt, comportant toute le terme « pod », et couvrant un large éventail d’activités.

Il semble donc peu vraisemblable que Apple puisse prétendre interdire tout usage commercial du mot « pod », sauf naturellement pour des produits et services identiques ou similaires à ceux couverts par ses dépôts de marques, dès lors qu’un risque de confusion pourrait naître dans l’esprit du public.

Apple est particulièrement friande de la lettre i (iPod, iMac, iLife…). Peut-elle envisager certaines protections pour que ces "ibidules" ne soient pas utilisés par d'autres ?

Apple s’est crée une identité forte sur la base du préfixe « i » en tête des noms de ses produits et services, chacun de ces noms ayant fait l’objet d’un dépôt en tant que marque.

Apple bénéficie donc déjà, au travers de l’ensemble de ces marques, de moyens de protection lui permettant d’interdire aux tiers l’utilisation de la lettre « i » en tête de leurs noms de produits et services, dès lors naturellement que ces derniers s’inscriraient dans un secteur d’activité identique ou similaire à celui d’Apple, et serait donc susceptible de créer la confusion avec ses propres « ibidules ».

Pour le mot "podcast," les choses semblent plus compliquées. Que peut faire Apple sachant que le mot apparaît d'ores et déjà dans certains dictionnaires ? Sur quel fondement, Apple pourrait-elle déposer une telle marque ?

Le fait que le terme apparaisse ou non dans le dictionnaire a finalement peu d’importance dans la mesure où il est apparu après le premier dépôt par Apple de la marque « iPod », et où il s’apparente nettement à l’environnement des contenus audio en ligne, des baladeurs numériques, et donc par extension de l’iPod.

N’oublions pas en effet que le terme Podcasting est une contraction de iPod et de broadcasting (diffusion).

Du fait de l’antériorité et de la notoriété de sa marque iPod, Apple est donc tout à fait en mesure de déposer la marque iPodcast, ce qu’elle a d’ailleurs fait le 28 juillet 2005 (marque communautaire), mais il est cependant confronté à une popularisation massive du terme podcast, ainsi qu’à un nombre important de marques postérieures à la sienne contenant le terme « podcast » (pas moins de 17 autres marques, françaises, communautaires et internationales à ce jour).

Cela signifie que pour tenter de défendre une exclusivité sur le terme Podcast, que lui confère en principe la marque iPodcast, Apple devra déployer des ressources très importantes pour faire cesser l’utilisation commerciale, directe ou indirecte, de ce terme par les tiers, dans un contexte particulièrement aléatoire.

Zune comme iPod sont des pures inventions. Est-ce un hasard ? Lorsque Sony a sorti son premier baladeur, le walkman, le mot avait un sens…

Ce n’est pas un hasard, les marques les plus fortes sont en effet celles n’ayant pas de sens particulier, et en tous les cas un sens le plus éloigné possible du produit ou du service qu’elles désignent.

Cela tient autant à la volonté de se démarquer, qu’à l’exigence de distinctivité de la marque et à la raréfaction croissante des dénominations disponibles en tant que marques, noms de domaines, et dénominations sociales.

Le terme « pod » ne manque pas de significations (gousse, nacelle…), mais entretient un rapport plutôt éloigné du domaine de l’audio et des baladeurs numériques, et décliné à la suite du préfixe « i » caractérisant l’offre d’Apple, la marque iPod est autant distinctive qu’originale, remplissant sa fonction de démarcation vis-à-vis de la concurrence, tout en portant l’empreinte Apple.

Le choix de la dénomination « Walkman » en 1979 par Sony suivait une logique moins prononcée, mais tout à fait similaire.

La question n'est pas forcément d'ordre juridique, mais selon vous, quel est l'intérêt d'une firme de contenir la popularisation d'un terme ?

Une société est principalement connue au travers de ses marques, lesquelles sont rapportées aux différentes offres de produits et services qu’elle commercialise.

Une marque, surtout lorsqu’elle bénéficie d’une notoriété importante, peut donc être fortement valorisée, et constituer l’un des principaux actifs d’une société.

Il est donc de l’intérêt de toute société, de manière à préserver la valeur de ses actifs, mais également de son image et celle de ses produits et services, de lutter contre la popularisation de ses marques, et l’utilisation qui pourrait en être faite par les tiers.

Que ce soit Apple ou Microsoft, on a l'impression qu'ils utilisent la justice comme une arme qui peut être très puissante. Est-ce que ce sont les avocats qui poussent les dirigeants des grandes entreprises à attaquer à tout va ou est-ce une volonté des dirigeants ?

La justice représente en effet une arme redoutable, à la fois en raison de son coût pour le défendeur, ainsi que des conséquences que le simple engagement de la procédure peut avoir pour celui-ci.

Il a ainsi été jugé à de nombreuses reprises que l’action en justice, lorsqu’elle est mal fondée et qu’elle a pour seul objectif de déstabiliser le défendeur, et de l’évincer, par exemple, d’un marché, relève de la concurrence déloyale.

Les avocats ne sont cependant que des mandataires, lesquels, s’ils conseillent et assistent effectivement leurs clients dans la défense de leurs intérêts, ne font cependant pas le choix en dernier lieu de conduire ou non une action contentieuse.

Cette décision relève en effet exclusivement de leurs clients, lesquels sont maîtres de leur stratégie judiciaire.

Un petit mot enfin sur la loi DADVSI : de l'avis de tous, c'est un projet très compliqué. IL a été voté et va devoir être mis en application. Va-t-il l'être réellement ? Est-ce que dans la pratique, on pourrait avoir des surprises par rapport à ce qui est prévu dans la loi ?

Il est difficile de répondre à cette question, tant la loi manque effectivement de clarté. Sans envisager le bien-fondé ou non de celle-ci, l’application de cette loi, tout du moins en ce qui concerne les questions de l’interopérabilité et des mesures techniques de protection, de la copie privée et de l’utilisation des logiciels de P2P, semble pour le moins incertaine et compliquée à mettre en œuvre.