Jean-Louis Gassée avait été consulté par Nokia il y a deux ans, et avait conseillé à la firme finlandaise de changer radicalement de direction, d'abandonner Symbian et d'adopter Android. Le fondateur de Be Inc. le révèle dans une interview accordée à Computing, où il ne manque pas de critiquer fermement Nokia.
En 2010, le conseil d'administration de Nokia avait pris langue avec Gassée à New York : le Français a fondé la division européenne de HP dans les années 1970, celle d'Apple dans les années 1980 et remplacé Steve Jobs à la direction de la division Macintosh. Il avait alors conseillé à Nokia de se débarrasser de son CEO Olli-Pekka Kallasvuo, d'abandonner Symbian et d'adopter Android.
Le premier conseil coulait de source : Olli-Pekka Kallasvuo était déjà contesté à l'époque, l'incapacité de cet ancien avocat devenu comptable à s'adapter au marché de la téléphonie et à ses évolutions étant flagrante. Candidat idéal en 2006 alors que Nokia gérait sa domination, il ne l'était déjà plus en 2008 quand au lieu de reconnaître la révolution apportée par Android et l'iPhone, il multipliait les expériences autour de Symbian et d'OS à noyau Linux. Gassée ne parvient pas à trouver de compliment pour le décrire : « je doute aujourd'hui que Kallasvuo soit particulièrement intelligent, concentré et dur à la tâche. Quand bien même, cela ne comptait pas. Il n'avait aucun lien avec ce qui fait fonctionner ce marché. »
Les deux autres points sont plus délicats : Nokia a construit sa domination du marché sur Symbian, l'OS qui a transformé le téléphone mobile en ordinateur de poche. Gassée avait néanmoins préparé un laïus pour convaincre le conseil d'administration :
Je leur ai dit de tout lâcher et d'aller vers Android. Faites-le en secret et laissez parler les rumeurs… J'aurais utilisé le sens du design de Nokia pour fabriquer de jolis téléphones. J'aurais intégré Ovi [NdR : les services cloud de Nokia] à Android et les gens auraient dit que Nokia a fait le choix du gagnant. J'aurais été implacable avec Samsung, parce que Samsung ne fait pas de prisonniers. Ils ne se brossent pas les dents le matin — [ils s'en font des colliers].Il est évidemment aisé pour l'investisseur de réécrire aujourd'hui l'histoire, ou du moins de l'interpréter à sa manière — on sait en tout cas qu'il adore donner son avis. Cette sortie confirme néanmoins que Nokia a bien envisagé de passer à Android avant de finalement signer un accord stratégique avec Microsoft et d'adopter Windows Phone 7. À ce propos, Jean-Louis Gassée est particulièrement critique à l'encontre de Stephen Elop : son mémo de 2011 a condamné Symbian et donc tous les téléphones utilisant cet OS à l'époque ; aujourd'hui, aucun smartphone vendu par Nokia ne pourra passer à Windows Phone 8. De quoi faire s'effondrer les ventes selon les principes de l'effet Osborne. Nokia s'est par deux fois tiré une balle dans le pied, pour résumer : « Microsoft peut le faire avec les nouvelles versions de Windows ; IBM le faisait dans le temps. Mais je suis choqué que le conseil d'administration de Nokia permette à Elop de le faire. » Gassée n'a donc plus qu'un seul conseil pour Nokia, un conseil qui n'est cette fois pas sollicité : « je pense que Elop devrait être débarqué, mais je pense aussi que le conseil d'administration doit être renouvellé avec des personnes qui ont une compréhension et une connaissance effective du marché de l'informatique mobile. » L'ancien de HP et d'Apple reprend à son compte un diagnostic que d'autres ont déjà fait : un des principaux problèmes de Nokia est d'aujourd'hui être dirigée par des comptables et des avocats, alors qu'elle a construit son succès sur des visionnaires et des ingénieurs. Sur le même sujet - Jean-Louis Gassée : « Dieu merci, Apple n'a pas acheté BeOS »