Alors qu'elle faisait autrefois des téléphones cellulaires apprécié pour leur design (StarTac, RAZR), Motorola, bien que disposant d'une équipe talentueuse, a raté le coche des smartphones. Ironie du sort, l'iPhone mettait ses produits dans l'ombre, elle qui autrefois avait fourni les processeurs au cœur du Macintosh, et qui avait même sorti un téléphone conjointement avec Apple, le MotoROKR, capable de lire les fichiers protégés de l'iTunes Store.
Las, ses produits n'ont plus connu le succès depuis des années, et il aura fallu l'arrivée de Sanjay Jha, un ancien ingénieur fraîchement nommé co-directeur, pour remettre l'entreprise sur le chemin du succès. Pragmatique, l'homme fait bonne impression auprès des salariés, d'abord méfiants. Il n'a pas beaucoup de marge de manœuvre : il lui faut à tout prix un nouvel appareil capable de relancer Motorola pour Noël 2009. A l'issue de son discours d'intronisation en août 2008 durant lequel Sanjay Jha a évoqué Android, un ingénieur, Rick Osterloh, le prend à part pour l'informer qu'il travaille précisément sur un prototype basé sur l'OS de Google, dans l'un des avant-postes de Motorola situés dans la Silicon Valley.
Quelques jours plus tard, Osterloh et son équipe sont convoqués au siège de la société à Sunnyvale, pour présenter leurs travaux. Le co-directeur avait préalablement revu en détail la présentation PowerPoint d'une centaine de diapositives, demandant des précisions qui ont débouché sur l'addition d'une vingtaine d'autres. La formation d'ingénieur du dirigeant s'avéra précieuse : « Il était capable de comprendre ce que nous faisions à un niveau très détaillé. J'étais très impressionné », avoue Rick Osterloh. Ces mêmes compétences ont permis à Sanjay Jha de se rendre compte que l'équipe savait gérer la partie logicielle. Le projet était sur pieds.
Pendant ce temps, il aura fallu assainir la société : le dirigeant met un terme à nombre de projets, à commencer par la multiplicité de systèmes d'exploitations pris en compte par les produits de Motorola. Il n'en restera plus que deux, Windows Mobile et Android. Lorsque Microsoft annoncera le retard de Windows Mobile 6.5, le dirigeant fait le pari de ne plus s'investir que sur Android. Il fallut également opter pour un processeur entre ceux conçus conjointement par Motorola et Texas Instrument, et ceux proposés par Qualcomm, son ancienne entreprise, pour finir à contre-cœur par choisir les premiers. En outre, il ferme nombre de branches, dont certaines n'étaient composées que de travailleurs indépendants, qui passaient leur temps à corriger le même bug trois ou quatre fois d'affilée. Il amoindrit également les coûts et mis fin à des dizaines de téléphones, qui n'étaient pas rentables. A la fin de l'année 2008, ces choix drastiques ont coûté cher à l'entreprise, qui a vu ses pertes doubler et ses ventes s'effondrer d'un tiers.
Mais peu avant, Verizon avait contacté Motorola, cherchant un produit ambitieux à sortir au dernier trimestre 2009. Il fallait proposer quelque chose qui puisse contrecarrer l'iPhone. Sanjay Jha partit pour le siège de Verizon dans le New Jersey avec des maquettes des tout derniers designs de Motorola. Un modèle aux angles prononcés, créé à Londres, eut les faveurs des cadres de l'opérateur téléphonique. Il fallut alors faire de cette maquette un produit exploitable un an plus tard. Et surtout trouver le juste équilibre entre la puissance et les lignes du téléphone. On gomme un peu les angles et on adoucit le dos pour rendre l'appareil un peu moins viril et plus susceptible de plaire aux femmes. Mais à ce degré d'intégration, chaque modification entraine de lourdes conséquences sur la structure interne du téléphone, un simple changement de couleur pour la coque implique le réagencement des antennes intégrées.
Alors que T-Mobile faisait une commande ferme pour le Cliq en mars, Verizon était toujours quelque peu préoccupée par la capacité de Motorola à tenir ses délais. Sanjay Jha leur fit alors livrer un prototype fonctionnel. Trois semaines plus tard, Verizon commandait ce qui s'appellerait désormais le Droid, avec l'un des lancements les plus importants pour l'opérateur. De quoi satisfaire le dirigeant de Motorola : s'il reste encore à voir si le Droid rencontrera le succès, il a au moins réussi à sortir son entreprise de l'ornière.
source : New York Times