Le 9 janvier 2007, Steve Jobs dévoilait l’iPhone. La première étape d’une aventure qui allait transformer Apple et provoquer des cataclysmes chez les fabricants de mobiles et les éditeurs de logiciels et services. À l’approche de ce dixième anniversaire, cette Timeline revient sur les quelques mois qui ont entouré cet événement.
Comme aujourd’hui, où des rumeurs évoquent très en amont les projets d’Apple dans le domaine automobile, ses intentions autour du mobile ont été discutées et analysées pendant plusieurs années avant la sortie du téléphone. Un premier signal a été envoyé en décembre 1999 — Jobs était revenu depuis deux ans — avec l’enregistrement du nom de domaine iphone.org. Difficile de faire plus explicite.
Puis, en 2002, c’est le patron d’Apple qui livre quelques réflexions. « Nous partons du principe qu’entre aujourd’hui et l’année prochaine, le PDA allait être absorbé par le téléphone. Nous pensons que le PDA va disparaître » déclarait sans ambages Steve Jobs à John Markoff du New York Times, au mois d’août de cette année là.
Dans cet article publié cinq ans et deux mois avant la commercialisation de l’iPhone aux États-Unis, ce produit apparaît comme une suite logique — sinon vitale — des efforts de reconstruction d’Apple. Une remise en route déjà bien entamée avec l’iMac et la refonte de la gamme d’ordinateurs, mais qui passe aussi et surtout par une diversification vers des produits électroniques grand public.
M. Jobs et Apple n’ont pas souhaité commenter ces projets. Mais des analystes du secteur ont décelé quelques pistes qui démontrent qu’Apple réfléchit à ce que certains dans l’entreprise appellent un “iPhone”.
Jobs avait déjà un œil sur le futur de son entreprise, malgré une actualité produits chauffée à blanc. 2002 est l’une de ces années où Apple a fait feu de tout bois et régalé ses clients en nouveautés. Il y en a eu pour tout le monde ! La Pomme récoltait les fruits de ses premiers succès comme l’iMac et construisait les fondations des prochains.
Liste non exhaustive des faits marquants de 2002 : le démarrage par défaut de tous les Mac sur Puma (OS X 10.1.2) ; lancement de Jaguar (OS X 10.2) ; ouverture du cinquantième Apple Store ; iMac G4 “tournesol” (Jobs décrétera à cette occasion que « l’écran cathodique est officiellement mort ») ; l’iPod devient compatible avec Windows ; ouverture du service internet “.Mac” ; arrivée des Xserve ; achat de Logic pour les pros de l’audio ; création d’iSync pour synchroniser son calendrier iCal (tous deux développés par l’antenne parisienne d’Apple) et son carnet d’adresses entre son Mac et des téléphones mobiles de Palm et le Sony T68i.
Un téléphone signé Apple aura la vie dure
La (prochaine tornade) iPod n’a pas encore fêté sa première année, l’iTunes Store n’est pas encore né, que déjà on presse Apple de passer au chapitre suivant. Car à cette époque, les yeux restent tournés vers le Mac. Il y a chez certains l’idée que le pari fait avec OS X pourrait ne pas suffire. Si Apple escompte vraiment fabriquer un téléphone, il faudra mieux préparer son coup qu’avec le Newton. Ce marché du mobile n’est pas pour les tendres. La Pomme aurait d’ailleurs tenté d’acheter Palm, en vain.
Toujours dans l’article de John Markoff :
Le nouvel appareil d’Apple arriverait dans un domaine où d’autres entreprises ont déjà bien labouré le sol — entre autres Microsoft, Nokia et Motorola, ainsi que des start-ups comme Handspring (fondé par d’anciens de la division Palm de 3COM, ndlr) et Danger (qui portait les germes d’un succès à venir chez Google avec Android et d’un échec cuisant chez Microsoft lorsqu’il acheta cette entreprise, ndlr). Ce domaine très encombré pourrait présenter un risque pour Apple, si son produit devait être jugé comme insuffisant face à la concurrence.
Des indices font penser qu’un iPhone est bien dans les cartons. En se projetant un peu, il y a des technologies dans Jaguar qui pourraient être employées pour un terminal mobile : la reconnaissance de l’écriture Inkwell , l’utilitaire de recherche Sherlock qui sait maintenant aller sur internet, la naissance d’iCal et d’iSync, sans oublier iChat.
Steve Jobs, bien sûr, ne pipe mot dans cet entretien des réflexions en cours chez Apple. Le sentiment qui prévalait chez Apple était qu’il y avait quelque chose à faire dans la téléphonie mais que tous les éléments n’étaient pas réunis pour le faire correctement : réseaux faiblards pour un usage orienté internet, système de l’iPod sous-dimensionné, OS X trop lourd et le problème des opérateurs qui se posaient en interlocuteurs intraitables (lire Wired raconte la création de l’iPhone).
On apprendra aussi plus tard qu’en 2003, Apple a d’abord songé à faire un équivalent de l’iPad puis a fait passer l’iPhone en premier (lire Des anecdotes sur la conception de l’iPhone).
Jobs étant Jobs, il ne peut s’empêcher de donner son avis au journaliste qui l’interroge. Et s’il prend la peine de le faire, c’est bien que la question doit occuper ses pensées…
[Jobs] insiste sur le fait qu’il n’adhère pas à l’idée d’un assistant personnel conventionnel, en déclarant que ces appareils sont trop difficiles à utiliser et qu’ils sont le plus souvent d’une utilité relative. Mais un téléphone avec les fonctions d’un PDA, là c’est autre chose.
Et tout en assurant que l’entreprise n’avait aucune intention de lancer un tel produit, il admet à contre-cœur que mixer certaines des innovations d’Apple en design industriel avec celles en interface utilisateur serait une bonne idée pour un produit devant offrir des fonctions informatiques et téléphoniques.
La manière dont Steve Jobs abordait il y a dix ans cette éventuelle implication d’Apple dans la conception d’un mobile, ressemble à celle de Tim Cook lorsqu’il est titillé sur les voitures :
Je n’ai rien à annoncer quant à nos projets. Mais je pense qu’il va se produire dans les toutes prochaines années des changements significatifs dans l’industrie automobile, avec l’électrification et la conduite autonome. Et il est nécessaire de porter un intérêt tout particulier à l’interface utilisateur. Je pense donc que beaucoup de changements vont arriver dans ce domaine.
Un iPod sachant téléphoner
Au fil de l’année 2002 et les suivantes, la marque iPhone va être déposée dans de nombreux pays, alimentant l’intérêt. Sans parler de l’arrivée en 2005 du Motorola Rokr, premier téléphone à utiliser une version mobile d’iTunes. Le Rokr vite oublié tant il était mauvais, les rumeurs s’accélèrent lorsqu’on approche de 2007.
En mars 2006, Think Secret parle de retards et d’un développement suspendu. Apple veut concevoir son téléphone sur des bases complètement neuves mais cela ne se fait pas sans mal. Résultat, le produit pourrait ne sortir qu’au début 2007 au mieux, explique le site de rumeurs.
Le cabinet d’analyses ATR parle d’un format longiligne comme l’iPod nano et d’un choix parmi trois coloris.
En septembre 2006, ThinkSecret évoque les signatures et négociations entre Apple et les opérateurs. L’iPhone aura un écran de 2,2“ et un appareil photo de 3 mpx (il fera en fait 3,5” et 2 mpx). Le site parlait toujours d’une commercialisation début 2007.
Septembre encore, une source de MacRumors détaille un prototype à partir duquel le site réalise une image : un écran allongé, une roue d’iPod qui peut s’escamoter pour révéler un clavier numérique. La face avant est noire et l’arrière est en acier chromé. Comme pour de nombreuses rumeurs, cet iPhone sera surtout un iPod amélioré, capable de téléphoner et possédant les fonctions de base d’un PDA.
Fin novembre, un analyste parle déjà du développement de l’iPhone suivant, puisque le premier avec son format d’iPod nano serait déjà en production. Ce qui dans les faits était loin d’être le cas. Ne serait-ce qu’entre janvier et juin 2007, Apple a décidé de remplacer la vitre en plastique par du verre. Ce second iPhone mettrait l’accent sur iChat, bien plus que sur le mail. iMessages n’arrivera en réalité qu’avec l’iPhone 4s et iOS 5.
En décembre, Kevin Rose, alors une figure d’internet, fait grand bruit avec une série de détails qui s’avèreront pour la plupart à côté de la plaque. L’iPhone sortirait en janvier, il aurait deux batteries (une pour la partie MP3, l’autre pour le téléphone), il disposerait d’un clavier rétractable et peut-être d’un écran tactile.
Même mois, Think Secret assure que le téléphone aura une connexion de type GSM/Edge uniquement, pas de CDMA (la norme utilisée par Verizon, l’un des deux principaux opérateurs américains, qui ne sera prise en charge qu’en 2011). Il se synchronisera avec iTunes, rendant facultative la possession d’un iPod. La probabilité de voir l’iPhone en boutiques dès janvier 2007 commence à s’étioler.
15 jours avant la fin de l’année, une analyste de Morgan Stanley, Rebecca Runkel, livre un portrait bien plus fidèle : lancement au premier semestre 2007, écran 3,5", format plus large qu’un iPod nano, plus fin qu’un iPod vidéo, châssis en métal, roue virtuelle cliquable, plusieurs couleurs dont le blanc, le noir et l’argent, un seul opérateur américain et deux capacités de 4 et 8 Go. L’un de ses deux prix sera le bon.
Juste avant l’ouverture de Macworld Expo, John Gruber y va de ses prédictions : pas de téléphone VoIP en Wi-Fi mais un véritable appareil cellulaire. Une approche dans la conception de l’appareil qui surprendra les gens. Il avance une idée dont il rêve qu’elle se réalise : « Ce ne sera pas un iPod phone, mais plutôt la présentation d’un nouvel OS pour mobile ».
Lorsqu’on parcourt plusieurs de ces rumeurs et voit les formes imaginées par des graphistes, il est étonnant de voir à quel point l’écran n’était pas considéré comme une source possible d’innovation pour ce téléphone. Sa nature tactile était parfois mentionnée, mais pas davantage que pour n’importe quel autre PDA du moment.
La notion d’un écran, pas seulement tactile mais multitouch (un terme peu usité alors), associé à une interface capable de réaliser des prouesses (pincer pour zoomer) n’était même pas envisagée (un de nos lecteurs rappelle à juste titre la démonstration épatante du concept de multitouch par Jeff Han en février 2006, mais il paraissait bien difficile d'imaginer cela un an plus tard à peine dans un téléphone…). Il semblait tout aussi osé de songer à un téléphone s’émancipant de son clavier physique, où l’écran absorberait toute l’interaction utilisateur. En résumé, les rumeurs ne portèrent que sur les points les moins importants, l’essentiel fut gardé secret.
C’est pour cette raison que Steve Jobs est parvenu à ce point à créer la surprise le 9 janvier, avec cette présentation devenue historique. : on l’attendait avec curiosité par une porte, il est entré en fanfare par une autre !