La plateforme de musique en ligne Qobuz est en difficulté et s'est placée le 19 août sous la procédure de sauvegarde, malgré une activité soutenue. En cause, un problème de financement qu'il faudra avoir réglé dans les quatre mois afin d'assurer la continuité du service. Un coup dur pour cette boutique de streaming qui, depuis 2009, offre aux amateurs de musique des morceaux en qualité supérieure aux standards du marché, avec entres autres le support de l'OGG et du FLAC — y compris pour les mobiles.
Qobuz devrait générer 9 millions d'euros durant son année fiscale s'achevant fin septembre; le service est disponible dans 8 pays et il compte plus de 25 000 abonnés. L'entreprise emploie une cinquantaine de personnes. Elle cherchait à boucler un troisième tour de table en levant entre 20 et 25 millions d'euros afin d'assurer son développement européen.
Yves Riesel, président et fondateur de Qobuz, revient pour iGeneration sur les raisons de cette procédure, sans langue de bois.
Pour quelles raisons Qobuz s'est-il placé en procédure de sauvegarde ?
Le business est bon, seulement limité depuis hélas deux ans par notre capacité à investir en marketing, c'est-à-dire, surtout sur la partie « abonnés ». Or c'est un métier où chacun le sait, un client « se paie » par des frais d'acquisition. Le produit Qobuz est au point et sa qualité reconnue maintenant au niveau international. Nous avons en outre quelques chantiers très importants qui sont en train d'aboutir et qui ne connaîtront aucun retard. Ils concernent les satellites du produit (nouvelles applications et intégrations) et l'infrastructure.
Notre plus grand tort semble d'avoir été français et écrasé par le rouleau-compresseur de l'alliance Orange-Deezer en terme de notoriété depuis quatre ans — une distorsion de concurrence que je n'ai pas cessé de souligner. Les dégâts ne sont pas seulement commerciaux, croyez-le. Ils impactent la vision des investisseurs et leur capacité à décrypter les opportunités de la musique en ligne et de notre potentiel en particulier, nous qui proposons un produit novateur, qui pensons hors des clous du mainstream.
S'il faut une preuve qu'ils se trompent, c'est l'explosion actuelle des appareils pour écouter la musique à la maison. Nous avons un marché explosif, un produit qui correspond à la nouvelle vague elle aussi explosive des appareils audio-connectés. Ce qui nous manque c'est le carburant minimum, de l'argent pour nous développer. Et à ce jour c'est en France qu'il fallait le trouver pour un produit qui était français — mais dont le pays de naissance était le pire pour faire ses preuves dans le contexte décrit ci-dessus.
Qobuz est une plante qu'on n'a pas cessé de ne pas arroser suffisamment. Mais à ce jour une très belle plante, unique au monde, et dont nous affirmons que nous sommes fiers. L'avoir créée et menée là où elle est en terme de produit avec les moyens qui étaient à notre disposition fut un exploit. Le positionnement de Qobuz a ouvert un nouveau segment, qui est encore pratiquement vierge, et qui est plus que prometteur. Encore faut-il le comprendre, avoir les outils pour le comprendre quand on est un investisseur ou une structure publique d'aide au financement de l'innovation.
Qobuz est-il menacé de fermeture ? Les activités du site vont-elles en souffrir ?
Au contraire, la procédure de sauvegarde permet à une entreprise (comme son nom l'indique) d'être sauvée. Ça n'est pas nous qui le disons, c'est écrit dans les textes. Pour qu'une entreprise soit placée dans cette procédure, il faut qu'elle soit « in bonis », c'est-à-dire qu'elle ne soit PAS en cessation de paiements. Nous venons d'ouvrir huit pays, les échos sont plus que favorables et la progression du CA immédiate. La seule raison pour laquelle Qobuz pourrait mourir serait parce que nous ne trouverions personne pour nous aider à nous refinancer. Mais c'est « business as usual » et même mieux que « as usual » en cette rentrée où nous avons des tas de choses nouvelles prêtes à sortir et de nouveaux clients que nous touchons maintenant.
Ressentez-vous une frilosité aujourd'hui de la part des investisseurs pour l'activité streaming et internet en général en France ?
Un manque de compréhension, un manque d'outils pour analyser la situation de la musique en ligne. Je peux tout à fait le comprendre car c'est un domaine compliqué, subtil, pourri de menteurs et d'intox ! À un degré ou à un autre, pour des raisons de business immédiat, chacun raconte la salade qui colle le mieux à son business et même je dirais à la situation présente de son business, quitte à changer de position de temps en temps. Un sacré bal des menteurs et un beau défi pour décrypter avec sagacité.
Alors oui je comprends que ce soit difficile de savoir pour un investisseur pourquoi notre produit, sa vision du marché, son équipe, ses dirigeants savent ce qu'ils font, savent où ils vont et sauront exécuter le plan. Je suis dans le business de la musique depuis 25 ans, je travaille sur le numérique depuis plus de 10 ans, souvent en stratégie de défense par rapport à un terrain concurrentiel miné . Depuis 2010, nous avons montré de l'agilité marketing constante. Sans compter, je dirais, mes faits d'armes précédents. Si les analystes se rendent compte qu'il doivent chausser aussi les lunettes de la musique, les visions financières ou spéculatives n'ayant pas encore fait toute la preuve de leur pertinence, alors l'heure de Qobuz sera venue. C'est ce que nous allons expliquer. Après tout cette situation bien sûr malheureuse va peut-être éclairer l'analyse du sujet.
Attendez-vous un geste ou une implication de la part de la nouvelle ministre de la Culture Fleur Pellerin ?
Il existe en France une BPI (nouveau nom d'un ensemble de dispositifs en grande partie pré-existants) qui se destine je crois à financer l'innovation. Nous avions pensé que ce serait pas mal pour nous, à la base. La Ministre Fleur Pellerin, dont on ne peut pas suspecter le vif intérêt qu'elle porte aux nouvelles technologies, et qui je crois nous connait, pourrait nous être d'un grand secours si en effet elle donne aux gens de la BPI les éléments d'analyse de stratégie industrielle/culturelle qui peut-être leur manque pour comprendre à ce jour notre dossier.
Il y a deux ans on nous a dit : « Le dossier Qobuz, il n'y a pas de sujet, il y a déjà Spotify et Deezer ». Entre-temps des centaines de services ont été créés dans le monde, vous le savez. Pas un seul en revanche en France. Alors ? Il n'y a pas de sujet pour un malheureux deuxième service français de musique en ligne qui de plus a un modèle vertueux, original, segmenté, et dont la rentabilité est proche ? Je parle d'un vrai service, avec une différentiation produit, qui techniquement marche sur ses jambes, qui a innové technologiquement, qui lance des produits inédits... Pas d'une marque blanche qui ne fait que brander un service basique fourni clés en main par des tiers, en quelques semaines. Nous croyons que oui, Qobuz est non seulement viable mais particulièrement bien placé pour faire un beau chemin. Si on nous laisse travailler avec quelques armes dans la main.