Le ton monte encore entre Amazon et Hachette, le premier cherchant à augmenter la marge qu'il réalise sur les livres de la maison d'édition vendus en ligne (soit 50% au lieu des 30% habituels). Le distributeur agit ici comme un supermarché standard qui joue de toutes les ficelles commerciales pour pousser ses fournisseurs à baisser leurs prix : précommandes impossibles, stocks réduits, long temps d'attente pour recevoir les bouquins achetés en ligne (lire : Livre numérique : Amazon joue à un jeu dangereux avec Hachette). Exception faite que ce sont désormais les fournisseurs du fournisseur, à savoir les auteurs eux-mêmes, qui se rebiffent.
900 écrivains, parmi lesquels Stephen King ou John Grisham, ont signé une lettre ouverte à paraître dans le New York Times. Le Guardian anglais a pu s'entretenir avec Douglas Preston, auteur américain à l'origine de cette initiative. « Nous nous sentons trahis parce que nous avons aidé Amazon à devenir une des plus importantes entreprises au monde. Nous l'avons encouragé dès le départ, nous y avons contribué avec des blogs gratuits, des commentaires et toutes sortes de choses qu'Amazon nous a demandées sans aucune rétribution ». Tout cela n'a servi à rien : « Nous pensions avoir un assez bon partenariat mais ces cinq dernières années, le comportement d'Amazon ne tient plus compte des auteurs ».
Si les auteurs signataires veulent voir Amazon réussir en tant qu'entreprise (c'est aussi dans leur intérêt que la société vende beaucoup de livres), ils refusent de subir les conséquences d'une affaire qui ne les concerne pas. Amazon a déjà répondu aux allégations de cette lettre en s'attaquant directement à Preston, qui « devrait écouter les lecteurs » : « [Ils] ont clairement choisi les livres numériques à moins de 10$. Même quatre ans après que les lecteurs aient exprimé cette préférence, M. Preston leur répond publiquement : "Le sens du droit du consommateur américain est absolument étonnant". (…) Ce qui est "étonnant" est qu'il pense que les lecteurs ne vont pas reconnaître un opportuniste qui cherche leur soutien tout en travaillant activement contre leurs intérêts ». Amazon, fort de sa position sur le marché, va donc continuer de jouer les gros bras contre Hachette et tous les éditeurs qui ne voudront pas plier contre sa volonté, et ce sans ménager une certaine brutalité.
La situation de monopsone d'Amazon, dans lequel l'entreprise n'écrase pas tout le marché mais est trop puissant pour qu'un concurrent crédible puisse proposer mieux, est un piège dans lequel sont tombées les maisons d'édition — et la condamnation d'Apple pour entente sur les prix, certes justifiée par les pratiques du constructeur et des éditeurs, empêche la Pomme de batailler sur ce front (Apple cherche néanmoins à améliorer son service, comme on l'a vu encore très récemment avec l'acquisition de BookLamp).
Dans cette bagarre, Amazon a cependant des alliés. Une pétition, lancée sur Change.org par l'écrivain Hugh Howey pour défendre Amazon face aux maisons d'édition qui ont « une longue histoire de mauvais traitements pour les auteurs et les lecteurs », a recueilli plus de 7 500 signatures. Howey n'est cependant pas tout à fait objectif : c'est un auteur qui doit sa réussite à ses œuvres auto-produites via le système Kindle Direct.